— Paul Otchakovsky-Laurens

Les Porteurs d’eau

Atiq Rahimi

L’action de ce nouveau roman d’Atiq Rahimi se concentre en une seule journée : le 11 mars 2001. Ce jour-là, les Talibans détruisent les deux Bouddhas de Bâmiyan, en Afghanistan…
Un couple à Paris au petit matin. Tom se lève et s’apprête à partir pour Amsterdam. Il a décidé de quitter sa femme, Rina, qui dort près de lui. Tom est afghan, commis-voyageur, exilé en France. Il souffre de paramnésie, la sensation obsédante de déjà-vu ou déjà-vécu. À Amsterdam, il a rendez-vous avec sa maîtresse, une mystérieuse Nuria. Mais elle a disparu. Lui croit que sa vie bascule quand une vieille femme, Rospinoza, lui...

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La presse

Les Porteurs d’eau



Ils sont afghans mais l’un vit à Paris et l’autre à Kaboul, sous le joug taliban. Le 11 mars 2001, ils vont voir tous deux leur vie basculer.



A Paris, au moment de se lever, Tom entend le fracas de la pluie sur les vitres. Il a décidé de prendre la voiture dès l’aube pour Amsterdam, quittant son épouse, Rina, afin de retrouver une autre femme prénommée Nuria. Tom est un exilé, parti d’Afghanistan à l’âge de 20 ans. Mais il repousse de toutes ses forces la nostalgie de sa vie passée, renonçant à parler sa langue maternelle pour « se déguiser en citoyen français ». A Kaboul, le même matin, Yûsef n’a guère envie d’abandonner sa couche et de s’éloigner de Shirine, sa belle-soeur, dont il est - inconsciemment -amoureux. Yûsef est porteur d’eau, un métier essentiel dans cette ville asséchée et glaciale. A chaque minute, il risque de soulever la colère des talibans et de subir leurs coups de fouet, car il devrait aller prier à la mosquée plutôt que courir à la source connue de lui seul. Mais il est « le sauveur des assoiffés », comme le surnomme son ami hindou, Lâla Bahâri. Nous sommes le 11 mars 2001 et les talibans viennent de détruire les deux bouddhas de Bâmiyân, en Afghanistan. Dans ce très beau roman, Atiq Rahimi reprend ses thèmes de prédilection : les grandes tragédies de l’histoire contemporaine, la cruauté des hommes, la douleur de l’exil et de la clandestinité, motifs places au coeur de l’association subtile d’un récit réaliste traversé par le conte persan. Alternant au fil des chapitres les voix de ses héros, l’auteur de Syngué Sabour (Goncourt 2008) fait basculer leur vie en l’espace d’une journée. Cette réduction temporelle convient à la concentration des faits, la description des gestes, la rigueur d’une écriture rythmique où chaque mot semble déterminant. Tom et Yûsef vont prendre conscience de leurs désirs respectifs dans un monde où régnent le mensonge, la trahison et le silence. Leur réveil passe par l’exigence de leurs corps, mais autour d’eux le monde s’écroule et la culture est ravagée. Quand la nuit tombe, Tom cesse enfin de chercher qui il est, en reprenant son vrai prénom de Tamim, tandis que Yiisef ne craint plus son destin en se dépouillant de tout. Mais, dehors, la folie des hommes continue de frapper, et Atiq Rahimi sait que la poésie ne gagne pas face à l’intégrisme et sa jumelle, l’intolérance.



Christine Ferniot, Télérama, janvier 2019



Voyage au bout de l’exil



ATIQ RAHIMI L’écrivain met en scène deux Afghans, le premier vit à Paris, le deuxième est porteur d’eau à Kaboul. Les deux ont le désir impérieux de voir leur destin basculer.



C’est par cette phrase, seule sur une page blanche: «11 mars 2001: les talibans détruisent les deux Bouddahs de Bâmiyân, en Afghanistan», qu’Atiq Rahimi, écrivain et cinéaste, Prix Goncourt en 2008 avec le merveilleux Syngué sabour, Pierre de patience, entame son roman. Ensuite, l’écrivain déroule trente chapitres où il met en scène, tour à tour, deux personnages. Le premier, il le tutoie, il s’agit de Tom, un Afghan exilé à Paris, qui a francisé son prénom. Il s’appelait Tamim, avant. Il songe à quitter sa femme, Rina, pour rejoindre à Amsterdam sa maîtresse, Nuria. Il laisse aussi sa fille, Lola.

Le deuxième personnage est Yüsef. Il vit à Kaboul où il est porteur d’eau pour les fidèles de la mosquée. Mais la mission qui l’obsède le plus se passe à la maison, il doit s’occuper de Shirine, la femme de son frère parti on ne sait où. Depuis quelque temps, Yüsef aimerait bien se lover dans les bras de sa belle-soeur...

Ainsi, tout le long du roman se succèdent les pensées de Tom/Tamim et la vie peu rêvée de Yüsef. S’il y a quelque chose qui lie ces deux hommes, c’est bien ce désir profond d’agir sur leur destin, de ne pas subir le sort, de se détacher de la volonté des autres. Chez Yüsef, c’est évident. A force de porter la vieille outre remplie d’eau - une charge héritée de son père -, il en est devenu "l’eunuque", comme on l’appelle à Kaboul. Mais il veut s’émanciper, un désordre sensuel se produit en lui, Shirine occupe toutes ses pensées et son corps. Il a peur de cette chose nouvelle, d’autant qu’"une voix éternelle" lui hurle "Comment peux-tu songer aux bras de Shirine ? N’as-tu pas honte ? Va-t’en !"



Se couper de ses racines

Chez Tom, c’est plus compliqué. Il flotte. Il est atteint de paramnésie, ce trouble de mémoire qui donne l’illusion de déjà-vu ou déjà-vécu avec l’impression d’avoir déjà assisté à la scène qu’il est en train de vivre. Il a beau essayer d’oublier le Tamim qu’il était, il se rend compte que tout le rappelle à lui, surtout au moment de quitter sa femme - une fuite de lui-même, en vérité. Il passe d’une langue à l’autre, du persan au français, de la langue maternelle à la langue d’asile. Il y a tout de même une obstination en lui à désirer se couper de ses racines. " Tu regardes en arrière uniquement pour voir s’éloigner ce que tu abandonnes derrière toi, toute une vie construite en exil pendant vingt-cinq ans. Ta maison, cette banlieue parisienne, ta femme, ta fille, tes souvenirs...Sans regret aucun. Sans nostalgie", lui dit l’écrivain, avec ce tutoiement troublant - à qui s’adresse l’écrivain ? A lui-même ? Un jour, sa soeur lui a dit, en ironisant : " Alors tu n’es qu’un Afghan empaillé ! "

Il faudrait aussi parler de Nuria, la Catalane, qui apporte un souffle de fraîcheur et de force : elle parle avec grâce et conviction de la pérennité de l’art, du fait qu’une " oeuvre garantit la trace de l’humanité dans l’univers " - cela dit en offrant un baiser rageur à Tom.
Avec Les Porteurs d’eau, Atiq Rahimi nous offre un sacré roman, une écriture comme de la dentelle, cette calligraphie des âmes. Avec lui, la poésie n’est jamais loin. L’écrivain est passé maître dans l’art de faire d’une réflexion sur l’exil et le désir impérieux de liberté un fabuleux conte.


Mohammed Aissaoui, Le Figaro littéraire, 17 janvier 2019



Adultère et châtiment


En suivant deux hommes, l’un à Amsterdam et l’autre à Kaboul, le prix Goncourt 2008 pose la question de la trahison


On l’a un peu oublié, mais six mois avant le 11 septembre 2001, un autre attentat a eu lieu. «11 mars2001 :les talibans détruisent les deuxBouddhas deBâmiyân, enAfghanistan. »
Le roman d’Atiq Rahimi est situé le jour de cette « défaite de l’Histoire ». C’est pour mieux en raconter d’autres, dans une narration alternée entre l’Europe et Kaboul. D’un côté, un Afghan exilé en France quitte sa femme pour en rejoindre une autre à Amsterdam, et roule sous la pluie en écoutant Dylan chanter « One more cup of coffee for the road ». De l’autre, un puceau chargé de veiller sur l’honneur de sa belle-soeur découvre à quel point il la désire, et souffre des pulsions contradictoires qui le déchirent. D’un côté, l’exilé se dit que l’adultère est « une révolte intime contre le régime totalitaire du monothéisme conjugal », qui le condamne à une nouvelle clandestinité, d’une banalité tragique. De l’autre, c’est « un crime aussi impie que le blasphème », qui peut conduire à se faire lapider dans le stade de Kaboul. Il y a ici parfois des bavardages un peu ésotériques, mais l’auteur franco-afghan de Syngué sabour sait glisser de nombreuses questions en évitant d’y répondre, le plus sûr moyen de les laisser faire leur chemin hors de son livre. Par exemple sur l’attentat du 11 mars 2001, puisque « les êtres humains peuvent se reproduire, pas les oeuvres d’art ». Ou encore sur la difficulté qu’il y a à dire ses sentiments quand on « vient d’une culture dans laquelle on ne parle que pour cacher sa pensée », et à se projeter dans l’avenir quand, dans sa langue maternelle, « le futur n’a pas sa propre fonne, comme en français ». Comment sortir de l’impression de déj à-vu ? Devenir soi en affrontant la culpabilité de trahir les siens ? A l’arrivée, une seule morale : « L’amour n’est pas un péché. » Ce que dit autrement cette citation de La Rochefoucauld retranscrite approximativement sur le mur d’un W.-C. d’Amsterdam : « La violence qu’on se fait à soi-même pour demeurer fidèle à ceux qu’on aime ne vaut guère mieux qu’une infidélité. »

Grégoire Leménager, L’Obs, mars 2019

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Atiq Rahimi, Les Porteurs d’eau , Atiq Rahimi invité de Laure Adler France Inter janvier 2019