— Paul Otchakovsky-Laurens

Il est avantageux d’avoir où aller

Prix FIL de littérature en langues romanes 2017, décerné par la Foire internationale du livre de Guadalajara au Mexique

Emmanuel Carrère

Ce livre de plus de 500 pages réunit la plupart des articles écrits par Emmanuel Carrère depuis 25 ans dans la presse (du Nouvel Observateur à La Règle du jeu, en passant par Les Inrockuptibles ou XXI). Ces textes couvrent les sujets les plus divers : de l’amour à la politique, de la littérature au cinéma, de la société et des faits divers à l’intime. On y lit l’amorce de préoccupations qui donneront plus tard lieu à des livres, on y vit avec l’auteur, ses doutes, ses échecs (par exemple une calamiteuse interview de Catherine Deneuve...), ses réussites, ses enthousiasmes, de Truman Capote à Sébastien Japrisot, du...

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La presse

Beau geste



Chez Emmanuel Carrère, l’écrivain ne s’efface jamais derrière le journaliste.
Ce que nous rappellent les articles réunis ici en un passionnant volume.



D’autres vies que la sienne... à la sienne mélées: depuis qu’il a dit adieu au roman, le geste littéraire d’ Emmanuel Carrère c’est toujours un peu cela- s’attacher à des fragments de réalité, à des individus et leurs histoires particulières, y confronter ou y confondre des éléments de sa propre vie. Son geste journalistique n’est pas si différent, et c’est cette cohérence même qui fait tout l’intérêt, toute la valeur de ce recueil passionnant où sont rassemblés une trentaine de textes, écrits par Carrère entre 1990 et 2015 et parus dans divers supports, journaux et revues.

Essentielle pour Carrère, la question morale qui se pose à celui qui, pour écrire, s’empare de la vie des autres est ici récurrente. parfois centrale, lorsqu’il évoque le rôle joué par De sang-froid, de Capote, dans la genèse de l’Adversaire ("Capote, Romand et moi"), ou quand il analyse l’ouvrage Le Journaliste et l’Assassin, de Janet Malcolm. Parfois sous-jacente, mais néanmoins essentielle, par exemple lorsqu’il s’attache au travail de la jeune photographe américaine Darcy Padilla (dans le sobre et poignant "La vie de Julie") ou rend compte de celui de l’historien Orlando Figes, spécialiste de l’Union soviétique ("Les Chuchoteurs, d’Orlando Figes")

Bien entendu, dans ces pages, on le croise à plusieurs reprises au fin fond de la Russie post-soviétique hautement décadente, mais aussi, notamment, dans les couloirs a priori plus policés d’un sommet de Davos, passant par le Sri Lanka, l’Etat de New York, où il part à la rencontre de georges Crockcroft, alias Luke Rhinehart, l’auteur du mythique L’Homme-dé, ou encore dans un bar parisien, où il plante magistralement une interview avec Catherine Deneuve...

Par-delà la variété des sujets, par-delà l’hétérogénéité des climats et des tons que ces motifs imposent existe pourtant une unité fondamentale, qui tient à la présence même de Carrère dans ces textes- comme il est présent, omniprésent dans ses livres, par le biais de l’autobiographie, mais tout autant par son écriture précise et efficiente, la lucidité de son regard souvent teinté d’ironie et d’autodérision, l’attachement à la vérité qui est sien, la dimension spéculative vers laquelle tendent ses pensées, et toujours sa curiosité pour l’autre- "je me considère dans ma partie comme une sorte de portraitiste".


Na.C, Télérama, 02/16



Carrère journaliste


"Il est avantageux d’avoir où aller" rassemnle vingt-cinq années d’articles signés par l’écrivain. Un éclairage fascinant sur son oeuvre littéraire.


En reçevant le prix littéraire du Monde pour Le Royaume (POL, 2014), Emmanuel Carrère confiait ne faire "presque pas la différence" entre la littérature et le journalisme, tels qu’il les pratique l’une et l’autre. "Ce qui m’intéresse, détaillait-il, c’est de pouvoir écrire un reportage comme je le ferais pour un livre. A la première personne, en tournant autour du pot, en ayant la possibilité de raconter les choses d’une façon un peu sinueuse." Pour constater cette proximité entre ces deux pans de son travail, il suffit de se plonger dans Il est avantageux d’avoir où aller, anthologie réunissant vingt-cinq années d’articles en tous genres: reportages - de la Roumanie de 1990 au Davos de 2012 -, comptes-rendus d’audience, préfaces de livre, chroniques pour un magazine féminin...
Chacun de ces textes est intéressant en lui-même, dans ce que Carrère y décrit avec, toujours, la même intelligence dans sa manière de "tourner autour du pot" afin d’aller, en réalité, au coeur des choses. Mais leur succession aussi est fascinante, parce qu’elle semble retranscrire l’itinéraire de l’auteur. Elle donne l’impression d’accéder aux coulisses de son oeuvre, tant il est évident que les articles rassemblés ici ont participé de sa réflexion sur son travail - sur l’emploi du "je", comme sur le rapport à la vérité -, quand ils n’ont pas directement constitué un point de départ ou d’étapes pour ses livres. Ainsi de l’article "Le Hongrois perdu" (Télérama, mars 2001), premier pas vers Un roman russe (POL, 2007). Ainsi de "La mort au Sri lanka" (Paris Match, janvier 2005), et de "Chambre 304, Hôtel du Midi à Pont-Evêque, Isère" (paru dans le recueil Rooms, dirigé par Olivier Rolin, au Seuil, 2006), dont la juxtaposition annonce D’autres vies que la mienne (POL, 2009). Ainsi du "Dernier des possédés" (Revue XXI, janvier 2008), qui se transformera trois ans plus tard en Limonov (POL, prix Renaudot), dont il affiche déjà le ton, l’exacte distance à l’égard de son sujet.


Tropismes et oscillations


Mais Il est avantageux d’avoir où aller ne nous parle pas seulement du formidable écrivain qu’est Emmanuel Carrère: ce recueil, revendique celui-ci en quatrième de couverture, "peut se lire comme une sorte d’autobiographie". Pas dans la mesure où il raconterait précisément sa vie, mais en ce qu’il témoigne de ses tropismes et montre ses oscillations (comme dans le délicieux "Deux mois à Balzac", paru à l’été 1997 dans la revue L’Atelier du roman, où il évoque ses rapports fluctuants au fil des époques avec l’auteur de La Comédie humaine); en ce qu’on y trouve, surtout, l’ensemble des sujets d’intérêt qui peuvent traverser, concomitamment ou non, un esprit humain tel que le sien.
S’y côtoient ainsi la fascination pour les "soixante-douze ans de l’expérience soviétique", pour "le gigantesque chamboulement de l’après-communisme" et le goût du sexe - qui lui vaut d’être embauché puis viré d’un magazine italien jugeant ses chroniques trop crues -, l’admiration pour le cinéaste Claude Miller ou pour l’écrivain Sébastien Japrisot (notons que le recueil ne comprend pas sa critique enthousiaste, donnée au Monde, du Soumission de Houllebecq), son rapport à l’affaire Romand, cet homme prétendumment médecin ayant assassiné sa famille en 1993, et les problèmes d’ego qui lui font "complètement rater" une interview avec Catherine Deneuve (Première, mars 2008): "tout faraud" d’avoir été choisi par l’actrice, il se retrouve à employer, écrit-il, "un ton bénin, éthéré, comme embué par une vie intérieure ineffable, en sorte que comparé à moi Jacques Chancel à son plus mielleux, c’est Noël Gosin l’enchanteur".
On y voit des angoisses récurrentes, des questions qui reviennent sans cesse, comme celle des vies multiples, on y lit des amitiés qui perdurent (avec l’ancien éditeur Olivier Rubinstein) et d’autres qui se brisent (avec l’écrivain renaud Camus, devenu un idéologue d’extrême droite). Dans le choix des textes et leur montage, comme dans l’adjonction d’une sorte de Carrère au début ou à la fin de certains articles, Il est avantageux d’avoir où aller dresse, sur vingt-cinq ans, un portrait de son auteur, en homme, en journaliste et en écrivain, absolument passionnant.


Raphaëlle Leyris, Le Monde Des Livres, 19 février 2016.




Emmanuel Carrère construit sa route



"Il est avantageux d’avoir où aller" regroupe des textes éparpillés de l’écrivain.



Où va-t-il, Emmanuel Carrère, depuis les années 1990, après des romans qui étaient de pures fictions ? Les lecteurs des ouvrages qui ont suivi La Classe de neige, le dernier de ses livres à pouvoir être rangé sous cette étiquette, le savent : vers le "roman de non-fiction", genre dans lequel Truman Capote a écrit un chef-d’oeuvre avec De sang-froid et où Carrère s’illustre depuis L’Adversaire, paru en 2000. Un Roman russe, D’autres vies que la mienne, Limonov et Le Royaume ont suivi, sur des sujets variés mais dans le même registre, avec la présence d’un narrateur qui ne se cache pas, au contraire des théories de Truman Capote.
Il est avantageux d’avoir où aller regroupe des textes éparpillés dans la presse, et montre comment l’écrivain a construit la route sur laquelle il se trouve : tracé, nivellement, travaux de surfaçage et aménagements paysagers. Tout est là, du making-of au débriefing.
A propos des options littéraires qui s’offraient à lui devant le dossier Jean-Claude Romand, pas encore devenu L’Adversaire, le tracé de la route en quelque sorte, Emmanuel Carrère raconte s’être engagé d’abord dans une mauvaise direction : "Je m’obstinais, quant à moi, à vouloir copier De sang-froid. A vouloir raconter la vie de Jean-Claude Romand de l’extérieur, en m’appuyant sur le dossier et sur ma propre enquête, et je crois ne m’être jamais consciemment posé la question de la première personne."
Il a passé quelques années dans ce piétinement improductif, n’arrivant à rien, sinon à la décision d’abandonner le projet. Jusqu’au jour où il l’a repris avec une phrase de départ dans laquelle lui-même se trouvait. "En consentant à la première personne, à occuper ma place et nulle autre, c’est-à-dire à me défaire du modèle Capote, j’avais trouvé la première phrase et le reste est venu, je ne dirais pas facilement, mais d’un trait et comme allant de soi."
Le romancier s’explique en 2006, bien après la publication de L’Adversaire. Mais Il est avantageux d’avoir où aller propose aussi, dix ans auparavant, deux articles consacrés à l’affaire Romand dans Le Nouvel Observateur. Emmanuel Carrère s’y fait chroniqueur judiciaire, comme il l’avait déjà été pour L’Evénement du jeudi en 1990 - trois "papiers" de ce type ouvrent d’ailleurs une compilation à travers laquelle la curiosité d’un homme se donne à voir, ainsi que la manière dont il utilise cette curiosité pour donner naissance à des textes parfois inattendus.
On lui propose de rencontrer Catherine Deneuve, c’est elle qui a souhaité l’avoir comme interlocuteur ? Très bien, il y va, fort de sa connaissance des films qu’il a déjà vus, de sa lecture des carnets tenus par l’actrice au cours de sa carrière. Il se dit qu’il ne va pas l’interviewer mais qu’ils vont converser entre gens de bonne compagnie, entre artistes. La rencontre se passe. Ils n’ont rien à se dire. Rien d’intéressant, du moins. Rien qui mérite un article. Sauf celui-ci : "Comment j’ai complètement raté mon interview de Catherine Deneuve".
Selon ce que chaque lecteur préfère dans l’oeuvre d’Emmanuel Carrère, les pistes suivies peuvent être différentes. La veine russe est bien sûr importante, qui touche aussi à la famille et aux questions de la délicatesse à avoir, ou non, vis-à-vis des personnes qui se retrouvent personnages dans un livre. La part érotique s’applique, bien que très progressivement et d’une manière, à la fin, presque comique, dans une série de textes écrits pour un magazine italien, le dernier ayant pour but d’en finir avec cette histoire qui commence à lui peser. Et puis, l’écrivain parle merveilleusement bien des autres écrivains : la Roumanie l’a fait revenir à Philip K. Dick, des rééditions lui fournissent l’occasion de relire Perutz, Karinthy, De Foe, un désaccord profond l’éloigne de Renaud Camus dont il était l’ami. On n’est plus seulement dans la littérature, mais dans la vie. Ce qui, au fond, chez Emmanuel Carrère, est indissociable.



Pierre Maury, Le Soir, samedi 27 et dimanche 28 février 2016

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