— Paul Otchakovsky-Laurens

Première à éclairer la nuit

Jocelyne Desverchère

A aime B qui est mariée avec C, dont elle a une petite fille mais qui la trompe avec D. B l’apprenant elle succombe, mi par amour mi par vengeance, aux avances de A dont elle est rapidement enceinte. Mais elle choisit finalement de revenir avec C qui élèvera la fille de A comme si c’était la sienne. A refera sa vie avec E qui est l’infirmière qui le soigne après un grave accident. Que A s’appelle Antoine, B Christine, C Louis, et E Viviane (tandis que D n’a pas de prénom, c’est simplement « la grande ») ne change rien au fait qu’il s’agit d’une histoire d’amour, de tromperie, de rupture à la fois conventionnelle et triste à laquelle son simple...

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La presse

Chaîne d’amours et mandoline


Premier ouvrage de l’actrice Jocelyne Desverchère


Les événements sont impossibles à dater : Antoine, le narrateur, fut «instituteur» : le terme ne s’utilise plus. Il travaille désormais dans l’administration d’un lycée lyonnais. Les élèves du lycée et leurs problèmes n’entrent pas dans l’horizon du jeune homme. Avec le directeur de l’établissement et ses trois collègues - Annabelle, Christine et Marguerite- Antoine ne parle pas des sujets qui fâchent, il déguste des choux à la crème. Antoine pourrait être de notre époque car il se sent très seul et, au bureau, « Tout est ouvert, c’est nouveau, moderne ». Mais il joue de la mandoline, ce n’est pas fréquent de nos jours. Il avait commencé la guitare grâce à Mlle Rosier, sa professeur de musique en quatrième qui lui disait : « Tu sais, Antoine, quand on joue d’un instrument, on n’est jamais seul ». La sagesse de Mlle Rosier évoque celle de Delphine Seyrig incarnant la fée de Peau d’Anne ou Fabienne Tabard dans Baisers volés. Rarement un roman contemporain français parle des émotions, de l’amitié, de la famille avec tant d’inventivité et de fantaisie discrète. De surcroît, c’est amusant, mais c’est du couple qu’il est le moins question dans Première à éclairer la nuit, qui raconte pourtant une classique chaîne d’amours contrariés. Ce bref roman est le premier de la comédienne Jocelyne Desverchère. Elle a tourné avec Olivier Assayas, Pierre Salvadori et d’autres cinéastes aux univers différents.
Antoine a 28 ans seulement et derrière lui une vie amoureuse au complet, avec son lot de déceptions et peu d’extases. Il va tout nous raconter sans s’épancher : il tombe amoureux de sa collègue Christine (Antoine Doisnel dans Baisers volés aime aussi une Christine), mais celle-ci est déjà mariée, avec Louis. Or Louis trompe Christine. Antoine est témoin de l’adultère. Il les observe depuis la fenêtre d’un restaurant : « Mon envie d’andouillette ne fait pas le poids avec mon désir de guetter le mari de celle que j’aime avec une autre. » Il s’arrange pour que Christine les découvre aussi. Le résultat de cette manigance pour la bonne cause n’est pas celui escompté. Alors Antoine entre pour toujours dans une autre vie, raisonnable et sans passion. Antoine le pur, le gracieux, le timide, apprécie de se balader sans « culotte » sous ses pantalons ; lui qui paraissait si peu sexuel aime l’amour avec Christine. Et décidément la sensualité ne lui est pas étrangère, car devant un corps trop musclé, il se demande « comment ça fait, les doigts sur cette peau sans souplesse, une surface dure qui doit renvoyer la caresse ». Son seul ami s’appelle François : télescopage d’époques ici encore, puisqu’Antoine précise que François est le fils de feu Simon Goldstein, dont les parents furent déportés. Mais l’histoire de Simon s’arrête à ce stade ou presque. Première à éclairer la nuit est une suite de décalages, comme des déraillements : un roman historique s’amorce que remplace un conte ; nous sommes dans le mélodrame et la comédie prend la relève.
Le titre étrange est emprunté à Vénus, une chanson écrite par Manset pour Bashung. On trouve de tout aussi dans cette chanson : « Un liquide saumâtre et d’acide / Probablement qui vous rongerait les os/ Et puis les fruits à portée de main / Et les délices divers / Dissimulés dans les entrailles d’une canopée. »


Virginie Bloch-Lainé, Libération, 7 octobre 2016



L’OMBRE EST LUMIERE


Dans l’escalier du lycée où il travaille comme intendant, Antoine croise une élève qui mange un chou à la crème. Irrésistiblement attiré, il croque dans la pâtisserie avant de s’enfuir, fou de honte. Cette seule anecdote suffirait presque à dessiner le personnage d’Antoine, jeune homme qui parle peu, mais dont l’intensité des sentiments transparaît à chaque ligne. ll n’y aura pas un mot de trop, pas une description inutile ni un effet de style gratuit dans Première à éclairer la nuit, ce tout petit livre qui renferme une grande histoire. Des phrases simples, au présent et à la première personne. Comme dans «Baisers volés», de Francois Truffaut. Antoine est amoureux de Christine. Il y a là une évidence et aussi un mystère. On ne sait trop, au début, par quel miracle I’auteure parvient à rendre si lumineux le récit de cet amour initiatique. Il faut chercher du côté de la photographie en noir et blanc pour se souvenir que, lors du développement d’un cliché, tout n’est pas qu’affaire de temps d’exposition et de bain révélateur. C’est bien celui ou celle qui oeuvre dans le laboratoire, qui décide quelle part d’ombre et de mystère il va donner à voir au spectateur. Jocelyne Desverchère, cette comédienne dont la subtilité fait merveille dans les films de Brigitte Sy ou des frères Larrieu transmue son talent dans son premier roman.


Hélèna Villovitch, Elle, 9 décembre 2016





Première à éclairer la nuit est un emprunt à la chanson Vénus écrite par Gérard Manset pour Alain Bashung. Le personnage principal du livre, Antoine, décide aussi de se laisser guider « par une étoile ». Elle s’appelle Christine. Ils travaillent tous les deux dans l’administration d’un lycée. Ils appartiennent à un monde qui se contente d’une certaine étroitesse, à la fois rassurante et accommodante avec quelques aspérités. Elle est mariée, et a une petite fille. Cet obstacle ne le rebute pas. Un soir, Antoine tombe sur Louis, le mari de Christine, « très affairé à caresser les seins d’une femme ». Il échafaude alors un stratagème pour que Christine découvre la trahison de Louis. Il emporte cette partie. Christine se laisse conquérir. Mais, quelques péripéties plus loin, la porte, à peine ouverte, se referme et l’abandonne aux prises avec son propre vide et ses douloureuses interrogations.
Dans ce premier roman prometteur, Jocelyne Desverchère donne un relief particulier à une histoire d’amour qui a du mal à équilibrer l’envie « de faire des beaux rêves », et les déceptions, les coups bas et les compromis. L’auteure cherche moins à développer, à expliquer qu’à produire des images aptes à se plier aux incitations les plus inattendues, et donc à engranger des capacités de rebond par une évaluation appropriée du grain à moudre. L’enjeu n’est pas de s’embarquer dans une sorte de pêche au gros qui a tendance à vouloir tout englober, tout pénétrer, mais de resserrer, d’être au plus près, de s’en tenir à saisir des sensations, des détails et d’en accentuer l’impact. Les personnages s’observent, se rapprochent, se séparent, et tirent sur un fil pour faire apparaître sans cesse le noeud qu’ils n’arrivent pas à défaire et avec lequel ils apprennent à vivre.

Didier Arnaudet, Artpress, n°439, décembre 2016





UNE HISTOIRE SIMPLE


Jocelyne Desverchère : Le fil rompu de l’amour
Antoine aime Christine qui est mariée à Louis. Dans « Première à éclairer la nuit », un court récit à la première personne adressé à une lectrice inconnue, l’amoureux confie sa passion dévorante et comment elle va l’emporter, dans le décor fantomatique de la ville de Lyon des années 60 ou 70. Un roman vécu comme de l’intérieur avec intensité.


Tout commence par l’image. Une photo de jeunesse retrouvée par le narrateur prise dans un pays étranger où il était instituteur. « J’ai eu vingt ans moi aussi », commente Antoine à l’adresse de celle qui aura aussi vingt ans lorsqu’elle fera sa connaissance. Rien de plus. Le fil du mystère se dénouera à la fin de cette brève et poignante histoire, longue et souterraine confession d’un homme qui cherche l’amour comme on cherche la lumière, au coeur de sa propre obscurité.
Christine, Annabelle, Viviane..., il n’y a de toute façon qu’une femme à pouvoir le sauver. De la vie solitaire et égoïste qu’il mène à Lyon, de cette ville inconnue où il a débarqué pour enseigner en lycée et où il mène une morne existence d’employé, de son rapport aux autres « comme avec des animaux ». Victime désignée de la fulgurance amoureuse, Antoine ne se remettra pas de sa rencontre avec Christine : « Je suis tombé littéralement amoureux, en amour total quand elle est arrivée. » Fasciné par la secrétaire du directeur - « J’aime ses choix, son goût. Même dans mon imaginaire, je suis d’accord avec elle. Alors que j’aurais tout loisir de dire non, puisque ce n’est que mon imaginaire » -, le narrateur débute une longue traque au cours de laquelle il imagine tout, y compris la tuer, jusqu’à ce que, par hasard, il découvre l’aventure extra-conjugale de son rival.
« Rempli par ce dont je venais d’être témoin, je n’avais plus faim, je suis rentré. Je n’ai pas dormi. Surexcité. Je me suis posé la question. Dire ou ne pas dire. A Christine bien sûr. » Antoine ne dira pas, mais fera en sorte que les vies basculent, déclenchant le commencement d’un nouveau roman, jusqu’à l’issue douloureuse et inattendue qui ramènera le lecteur à cette photo noir et blanc et à l’inconnue qui devrait enfin la contempler.
Le premier roman de Jocelyne Desverchère, actrice plus familière des scénarios que de la littérature, se lit d’une traite, aussi intensément que la passion d’un homme entier pour une femme simple. Les phrases courtes, le ton direct de la confession, les brouillards de la ville et les petites choses de la vie donnent à ce livre quelques chose de sombre, de fantomatique et de captivant. Il y a l’amour qui frappe, il y a ce que l’on espère de son pouvoir d’envoûtement, il y a aussi la froide réalité des existences qui, parfois emportées par la crue des sentiments, ne tardent pas à retrouver leur lit. Et Lyon est la ville aux deux fleuves.
Vénus, planète lointaine et déesse de l’amour est bien Première à éclairer la nuit. Après Gérard Manset et Alain Bashung, Jocelyne Desverchère le chante à sa manière, avec intensité.

L. B., Tageblatt, 19 novembre 2016


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