— Paul Otchakovsky-Laurens

Les Premières fois

Santiago H. Amigorena

Tout ce que nous découvrons adolescent, tout ce que nous n’avons jamais senti, jamais craint, jamais espéré, jamais fait, mais aussi tout ce qu’enfants nous avons déjà senti, déjà craint, déjà espéré, déjà fait, nous le percevons alors comme une première fois. Et la puissance précise de comprendre que ce sont des premières fois s’accompagne de la puissance infinie – qui n’existe qu’à cet âge béni – de croire qu’il y en aura d’autres, innombrables ; que chaque première fois sera suivie d’autres fois – qui ne seront pas premières mais qui, croyons-nous alors,...

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La presse

Ravissements adolescents


Si, dès l’ouverture de son nouveau roman, Santiago Amigorena dit pis que que pendre de la « triste rue Corvisart », de la rue des Glacières et du lycée Rodin où il fut élève, Les Premières fois n’en est pas moins une ode au 13e arrondissement de Paris. L’exilé uruguayen y découvre l’hiver parisien, mais en conserve « le souvenir de la plus grande peine et de la plus grande joie », et d’une première « année trépidente d"amour et d’amitié ». Poursuivant sa belle entreprise autofictionnelle, l’écrivain évoque ses années d’adolescence, où la tristesse et les larmes le disputent au ravissement de « ces premières fois qui promettent la conquête d’une liberté nouvelle par l’acquisition d’une expérience que l’on sait destinée à se répéter de nombreuses fois dans notre vie future ». Nourrie des phrases des thèmes et des motifs proustiens, l’écriture d’Amigorena sinue dans les plis de sa langue d’adoption, s’adresse directement au lecteur, et sollicite une bienveillance qu’on lui accorde d’autant plus volontiers que, après l’adolescence, « nous nous contentons d’attendre (...) la seule première fois qu’il nous reste à vivre : celle qui sera aussi la dernière ».


Florence Bouchy, Le Monde, 23 décembre 2016




L’homme au brushing d’argent


Santiago H. Amigorena poursuit son autobiographie avec l’adolescence. On succombe au charme mélancolique de ses introspections.


Depuis plusieurs années, l’auteur porte ce projet fou et ambitieux : faire le récit de sa vie dans un livre, jusqu’à la recouvrir entièrement.
Suite d’Une enfance laconique et de Premier amour, Les Premières Fois se concentre sur l’adolescence de l’écrivain argentin et sa scolarité dans un lycée du 13e arrondissement parisien. Une plongée dans les années 70 et son lot prometteur de flirts fougueux et d’amitiés littéraires « malgré les dictatures, le marketing, la pub et les nouveaux philosophes ». Dans cette confession aux accents néoproustiens, Amigorena examine avec finesse et entêtement son milieu social d’origine (son déclassement vers la « petite bourgeoisie »), ses anciennes amours et ses premiers pas d’écrivain.Une oeuvre fleuve pour apprendre à vivre (et à survivre) aux chagrins d’amour.


Emily BARNETT, Grazia, 19 août 2016.



AVANT L’AMOUR


Santiago H, Amigorena nous mène plus avant dans l’histoire de sa vie, Les Premières Fois ou le récit d’une adolescence dans les années 70, guidée par l’amour et l’écriture.


Quitter Montevideo pour le XIIIe arrondissement de Paris. Abandonner l’enfance pour le territoire incertain de l’adolescence. Les Premières fois pourrait s’intituler « histoire de mes ruptures » tant Santiago H. Amigorena signe un livre doux sur ses premiers arrachements. Concluant la troisième partie de l’immense travail autobiographique que l’auteur a entrepris en 1998, ce livre-ci embrasse les années 70, les émotions adolescentes du futur écrivain et amant. Comme dans ses livres précédents, Amigorena reproduit les notes, les poèmes, les récits écrits à l’époque, en archiviste de sa propre existence, confrontant la voix de qui il fut, et de qui il demeure. On y retrouve bien sûr les obsessions d’Amigorena : la brutalité de l’exil, le cheminement de l’enfant vers le français jusqu’à l’adoration de cette langue conquise. Et l’amour, sans cesse, en classe, au rebord des fenêtres, sur les ferrys qui le mènent en vacances.
Plus proustien que jamais, Amigorena écrit ses Jeunes Filles en fleur. Le décor s’avère certes plus austère que Balbec : le XIIIe arrondissement accueille une grande partie de cette adolescence, de la rue de la Glacière à la Butte-aux-Cailles, du boulevard Arago au boulevard de l’Hôpital. Ceux qui connaissent ce quartier savent à quel point le jeune Amigorena se trouvait éloigné de la luxuriance argentine. Peu importe, n’est proustien que celui qui a le pouvoir de transfigurer. Ainsi de cette anonyme aperçue à son balcon, un soir de l’été caniculaire de 76, boulevard Saint-Jacques :
« La plénitude dense, pondéreuse du galbe de son sein, la courbe épuisée et accomplie de ses épaules, la tendresse de mon genou comme elle souleva soudain son pied pour le poser sur le rebord où elle était assise afin d’y poser son bras et d’appuyer la légèreté infime de son menton-tout en elle avait une grâce irrespirable que je contemplais, ébahi et ému. » La voici avouée, cette émotion qui unit l’adolescent des années 70 et l’homme d’aujourd’hui: le désir. L’adolescent qu’il nous décrit est entièrement ouvert à l’expérience amoureuse, comme elle lui serait innée. Le jeune Santiago, à quinze ans, embrasse une Napolitaine en Grèce, le lendemain, il la suit sur l’île d’Ios pour passer la nuit avec elle. En vain mais qu’importe. Plus que nécessaire, le désir lui permet de restaurer une continuité dans sa vie diffractée, et de nourrir le livre d’une énergie constante. Nike, Hélène. Delphine, une femme grecque qui traverse Palmes, une parisienne à sa fenêtre, la fiancée de son professeur d’histoire, Christine... Les noms, les visages se succèdent et se superposent dans ce grand jeu imaginaire et sensuel orchestré par l’esprit à vif de l’adolescent.
Frénésie d’un garçon vierge qui, tout à ses amours possibles, tente de tous les nourrir à la fois. Lui qui s’ignore encore écrivain, mais qui écrit sans cesse, dès que l’émotion le submerge, recherche dans la beauté féminine à expérimenter aussi l’écriture.
« Je n’avais jamais fait l’amour et j’avais eu l’idée, très saugrenue et très farfelue, d’écrire un roman tout entier qui ne raconterait, ou plutôt qui ne dirait, que tout ce qui se passe, que tout ce que l’on sent, avant de faire. l’amour ». C’est chose faite.


Oriane JEANCOURT GALIGNANI, Transfuge, septembre 2016.



L’écrivain et cinéaste Santiago H. Amigorena poursuit son étonnante entreprise littéraire et autobiographique.


Les frontières du roman sont poreuses, on le sait bien aujourd’hui, alors que toutes les variantes et modalités du récit de soi s’invitent dans la sphère romanesque. Chez Santiago Amigorena, cette porosité, loin d’être combattue, est élevée à une puissance supérieure, et même à une sorte d’apothéose. On peut dire que le roman, ici, sans rien perdre de ses prérogatives, encore moins de sa liberté, est pris d’assaut par le moi de l’auteur. Un moi qui, par de subtils chemins de traverse, par son caractère méticuleusement torturé, échappe, comme par enchantement, à la surcharge et à l’emphase narcissiques - pourtant fort répandues en ce domaine. Ainsi, un paradoxe se met en place : nous sommes bien, sans contestation possible, dans le domaine de l’autobiographie (et non de l’autofiction), mais considérablement élargi, dilaté, par une imagination parfaitement maîtrisée. Une capacité d’invention et de fantaisie (plutôt morose, précisons-le) transcende alors, et moque, l’omniprésence et l’omnipotence du « je ».
Depuis 1998, Santiago Amigorena a publié, avec celui qui paraît aujourd’hui, neuf livres, chez le même éditeur (P.O.L). De nombreux indices formels laissent soupçonner une entreprise littéraire autobiographique dûment concertée et agencée. Par exemple, sur la couverture de Les Premières Fois, est inscrit le mot « roman » ; il l’était, mais sur la page de garde, dans La Première Défaite (2012) ; il ne l’était nulle part dans Le Premier Amour (2004), ni d’ailleurs dans aucun des autres livres publiés. Ces trois titres, sans former une trilogie explicite, peuvent pourtant être rangés dans un même projet, ou un même rêve - un seul désir en fait : celui du retour fiévreux et obsessionnel aux commencements.
L’article défini (et les majuscules afférentes) de ces trois titres, contre celui, indéfini, des trois premiers livres (1), souligne moins une volonté de maîtrise des événements narrés que le désir de trouver un semblant d’ordre, même fantasmatique, à une matière soumise par définition à la loi du plus grand désordre, de la plus systématique anarchie. Quelle matière ? Celle de la vie, de l’amour et de l’écriture. Vivre. Aimer. Écrire. Ces trois verbes, à la fois distincts et solidaires aux yeux de l’écrivain, selon des éclairages et des hiérarchies variables, sont indéfiniment conjugués – avec un goût marqué pour l’imparfait du subjonctif – dans la prose du « taciturne têtard graphophile », du « crapaud graphomane », de l’« insonore carpe »… C’est par ces appellations, et d’autres, que l’auteur aime lui-même s’interpeller, avec une insistance dont le lecteur, parfois, s’impatiente.
Dans Le Premier Amour, Amigorena évoquait une « folie pensante » secondée par une « affolante pensée ». L’étude ludique et océanique de ces Premières Fois par l’écrivain d’origine argentine illustre à nouveau cette double et convergente direction : la pensée cadre et encadre la folie qui, à son tour, donne des ailes à la pensée, et surtout à sa mise en écriture. Cette conjonction ouvrant la voie (et la voix) à une surprenante liberté narrative, à une poésie sans frein mais pas sans discernement. En retrait, avec un discret sourire ironique, silencieux, taiseux même, l’auteur laisse son jeune narrateur se débrouiller par lui-même de cette vie qu’il découvre au-dedans de lui-même comme dans le large dehors qui s’offre…
Nous sommes à la fin des années 1970, dans différents quartiers de Paris, surtout le 13e arrondissement et le lycée Rodin, où le jeune adolescent fait ses classes. Époque bien spécifique aux yeux de l’auteur puisqu’elle précède immédiatement la décennie suivante contre laquelle il ne cesse de vitupérer. Né en 1962 à Buenos Aires, Amigorena, après un premier exil en Uruguay, débarque à l’âge de 12 ans dans la capitale française. C’est là, en ce temps et en ces lieux, que le jeune narrateur fait, au sens le plus large des deux termes, son éducation amoureuse et littéraire. En fait, il s’initie moins au désir lui-même qu’à tout ce qu’on peut en dire et penser. Et là, fort heureusement, il est intarissable.


(1) Une enfance laconique (1998), Une jeunesse aphone (2000) et Une adolescence taciturne (2002)

Patrick Kéchichian, La Croix, septembre 2016.

Vidéolecture


Santiago H. Amigorena, Les Premières fois, Les Premières Fois Santiago H. Amigorena août 2016

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