Voyage au centre
Pierre Patrolin
Si on veut essayer de se représenter quelqu’un qui décide, un matin au réveil, de se rendre jusqu’au centre de la Terre depuis la chambre de son appartement parisien, il faut d’abord commencer par l’imaginer préparer une tasse de café avant d’emprunter l’escalier qui descend de chez lui vers la rue. Puis atteindre les caves qui s’enfoncent sous le bâtiment, et se diriger, tant bien que mal, vers les couches plus profondes du sous-sol du Bassin parisien.
Tout commence donc par la perception du sol et du parquet, la conscience du galbe de la tasse entre les doigts et de l’amertume du café dans le gosier, ou du matelas et des draps dans le lit. Puis, parvenu dans les rues de Paris, celle des...
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Si on veut essayer de se représenter quelqu’un qui décide, un matin au réveil, de se rendre jusqu’au centre de la Terre depuis la chambre de son appartement parisien, il faut d’abord commencer par l’imaginer préparer une tasse de café avant d’emprunter l’escalier qui descend de chez lui vers la rue. Puis atteindre les caves qui s’enfoncent sous le bâtiment, et se diriger, tant bien que mal, vers les couches plus profondes du sous-sol du Bassin parisien.
Tout commence donc par la perception du sol et du parquet, la conscience du galbe de la tasse entre les doigts et de l’amertume du café dans le gosier, ou du matelas et des draps dans le lit. Puis, parvenu dans les rues de Paris, celle des trottoirs et des chaussées, et la réponse sensible du sol sous chaque pied. Dans la quête naturelle d’un point de départ, nécessaire pour entamer le voyage vers l’intérieur de la terre depuis la surface du sol. Sans imaginer encore ce qu’il y en dessous. Dans la seule intention de s’enfoncer progressivement dans l’épaisseur de la planète. Et son obscurité. Mais, depuis la douche jusqu’à la cafetière, il faut également parvenir à concevoir ce que peut signifier l’idée du centre d’une terre dont la masse et la substance paraissent inaccessibles. Et inconnues. Pour entreprendre un voyage impossible, et atteindre ce que la science actuelle présume être une sor te de boule de feu, il faut aussi échafauder les conditions du possible et de son contraire, et envisager les conditions techniques d’une telle odyssée vers des températures, des pressions et une pesanteur considérables. Sous les contraintes extrêmes que devra supporter le vaisseau. Et le corps du voyageur.
Et surtout, afin de pouvoir suivre le personnage emporté dans cette aventure, il faut savoir partager chacune de ses inspirations, et les vertiges physiologiques, physiques aussi bien que métaphysiques, qu’il devra éprouver en chemin. Accepter l’expérience du silence et de l’obscurité, la géométrie d’un déplacement sans paysage, la désorientation naturelle d’un corps privé des repères usuels qui n’ont plus de raison d’être quand on prétend se rendre au coeur de la matière, au point d’admettre qu’un tel voyage sera devenu un voyage dans le temps autant qu’un voyage dans l’espace.
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La presse
Voyager avec Pierre Patrolin est toujours une expérience vertigineuse, une plongée dans l’inconnu, dans la fabrique d’un langage et l’apprentissage de la lecture. Il y eut La Traversée de la France à la nage (2012), La Montée des cendres (2013), puis L’homme descend de la voiture (2014). Voyage au centre achève cette tétralogie, que l’auteur a voulu centrer sur les quatre éléments qui composent l’univers, l’eau, le feu, l’air et, donc, la terre. Au-delà du clin d’oeil à Jules Verne, Voyage au centre est une exploration de la matière, en compagnie d’un héros qui veut quitter le monde superficiel pour pénétrer au coeur du noyau terrestre. Il faut faire une confiance aveugle à Pierre Patrolin, accepter de descendre avec lui dans les entrailles, jusqu’à la boule de feu qui figure tout en bas, au «centre» de tout. On commence, comme son personnage, par se lever, prendre son café, faire sa toilette, dévaler les escaliers, se rendre dans la cave de l’immeuble, puis dans les carrières souterraines de la ville... Un déplacement qui est aussi intérieur - accepter de «s’engager dans une durée infinie, dans un temps constamment insaisissable»... La minutie obsessionnelle de l’écrivain, sa manière de décrire les mêmes objets en déplaçant légèrement le point de vue constitue un plaisir de lecture qui tourneboule l’esprit. On est emporté par un mouvement permanent, avant de se retrouver suspendu au-dessus du vide. Mais l’auteur nous tient la main jusqu’au bout, et l’on finira par remonter sain et sauf de ce «monde du dessous», grâce à la puissance de son écriture et de son univers malicieux. -
Christine Ferniot, Télérama, le 2 décembre 2016