— Paul Otchakovsky-Laurens

Troisième Personne

Valérie Mréjen

On était deux, on devient trois, ce n’est pas rien...Valérie Mréjen décrit et essaie de comprendre ce bouleversement dans la vie quotidienne, mais aussi dans la perception que l’on a du monde. C’est un regard surpris, perplexe qu’elle porte sur l’enfant qui survient et, du coup, sur ce qui l’entoure : les gens comme les choses, les comportements. Tout en s’autorisant des décrochages et des digressions le texte, comme d’habitude écrit dans la plus grande simplicité et la plus belle plasticité, suit les premières années de l’enfant et ce dès la sortie de la clinique, avec immédiatement, alors que le taxi ramène chez eux la mère,...

Voir tout le résumé du livre ↓

Consulter les premières pages de l'ouvrage Troisième Personne

Feuilleter ce livre en ligne

 

Traductions

Espagne : Periferica

La presse

Un et un font trois


La naissance d’un enfant bouleverse la vie d’un couple.


Valérie Mréjen est bien plus qu’une romancière. Elle est également une réalisatrice, vidéaste et plasticienne qui expose dans le monde entier. Une artiste multiple qui use des mots et des images. Cela se ressent dans son nouveau titre, Troisième Personne, où elle réalise une sacrée performance sur un sujet pourtant rabâché par beaucoup et traité par les plus grands : lorsque l’enfant paraît. Ce thème renvoie bien trop souvent au pathos, lyrisme et autres excès. Avec elle, c’est tout le contraire : le minimalisme explose d’émotions. L’arrivée d’un nourrisson dans le couple est décrite avec la froideur d’un procès-verbal, ou presque. Les ressentis ne sont pas soulignés à gros traits, et cela n’en est que plus fort. Le résultat est épatant. Le titre du roman dévoile joliment la démarche et l’objet: Troisième Personne, c’est à la fois cet enfant qui vient chambouler la vie à deux, et la manière de conter de Valérie Mréjen qui abandonne le «je» de narration typique des qu’il s’agit de dire ses sentiments, ses impressions, ses étonnements. L’utilisation de la troisième personne du singulier (par moments du pluriel) amène une distance salutaire. L’émotion n’en est pas absente pour autant, ni même l’humour. C’est tellement mieux. En une centaine de pages, par le biais de saynètes, de paroles rapportées au style indirect, l’auteur effectue un grand tour d’horizon. Il y a, d’abord, cette vie de couple qui, avec l’arrivée d’une petite fille dans le foyer, devient une fiction ancienne : « (...) et pourtant ils se demandent bien comment était leur vie il y a encore deux mois. De toute façon, la sidération est trop grande pour arriver à effectuer cette simulation du passé. Leur esprit, désormais, est occupé par cette sidération. » Les désormais parents vivent «un vortex spatio-temporel qui les absorbe totalement» . On sourit à l’évocation.


Établir une complicité

Dans cette situation-là, rien n’a changé mais tout a changé : « Tout est bien à sa place mais la perception a changé. Entre le jour où ils sont partis en panique et celui où ils rentrent, pas beaucoup plus placides avec leur nourrisson, ils emménagent pour la deuxième fois dans le même espace. Après six jours d’absence, elle découvre avec étonnement la disposition de l’appartement (...) » ! La jeune mère toujours appelée «Me» découvre chez une partie de la population une inclinaison à l’attendrissement, une promptitude à distribuer des sourires bienveillants, l’envie d’établir une complicité... «Elle n’a jamais autant parlé avec des inconnus. » Il y aurait tant de choses à raconter - c’est fou ce que dans un court récit, Valérie Mréjen réussit à exposer. Même les personnages fugaces possèdent une densité incroyable - comme cette voisine qui rêvait d’avoir une fille -, elle a un garçon, et c’est dit comme si c’était un drame. Ou cette scène d’une émotion extrême, contée, là aussi, avec distance, quand la petite fille sourit à un homme seul sur un trottoir. Ce moment de grâce renvoie aux vers de Hugo dans Lorsque l’enfant paraît: «Son doux regard qui brille/ Fait briller tous les yeux.»


Mohammed Aïssaoui, Le Figaro littéraire, 9 février 2017



Le rôle de la mère


Un récit autobiographique sur la maternité qui échappe à la banalité, notamment grâce à sa forme théâtrale. Ça commence comme une pièce de théâtre ou un film : le décor, une chambre, les accessoires, piles de vêtements, sacs. Puis les personnages : l’enfant - le père, la mère - un chauffeur de taxi, des dames en blouse, etc. La première parole nettement rapportée est celle du chauffeur de taxi «je suis le premier qu’il verra» . Beaucoup de «premières» pour l’enfant. Première chambre, première sortie, premier voyage à travers Paris. C’est ce temps des premières fois que nous restitue Valérie Mréjen dans Troisième personne. Un temps autobiographique, comme celui de ses premiers livres, Mon grand-père, l’Agrume, Eau sauvage, avec de subtiles différences. Alors que ces romans se concentraient autour d’actes de langage, Troisième personne marque une distance avec le «je » des premiers temps. Comme son titre l’indique, il est écrit à la troisième personne. Et le livre s’emplit d’objets, de trajets, d’espaces où les personnages vont venir prendre place, comme dans le long mouvement (de caméra, a-t-on envie de dire) qui les conduit de la clinique à la première maison du «petit être aux mains ridées » . La mère, celle qui tient la plume, ne s’absente pas. Son rôle de mère, elle le désire de toutes ses forces, mais il faut qu’elle y entre. Elle le fait « avec un naturel qui la surprend » . Cette dimension théâtrale est très présente dans le texte, où les « coulisses » , les « trois coups » , la « répétition » et le « metteur en scène» concourent à mettre à distance, tout en les partageant, les émotions. Troisième personne, ainsi, n’est pas de ces livres où le lecteur est brutalement propulsé, immergé dans un monologue intérieur envahissant. Comme la mère, il est amené à réfléchir sur ce qui se passe quand la société se modifie, quand on est vu autrement, quand le temps, l’espace, la langue se métamorphosent. Sur une expérience commune à tous, Troisième personne réussit à être un livre qui échappe à la banalité. Valérie Mréjen, par sa maîtrise des niveaux du discours, de la distance et de l’identification, fait preuve d’une virtuosité discrète qui fait de ce livre émouvant et joyeux un objet littéraire de haute tenue.


Alain Nicolas, L’humanité, 9 février 2017



Critique


Si tout commence par un jeu de mots, dans le récit de Valérie Mréjen, ce n’est pas seulement que, dans la vie du couple qu’elle dépeint, un nouvel être est arrivé. C’est aussi qu’elle en parle à la « troisième personne ». Même si l’on se doute que cette maternité qu’elle raconte est celle qu’elle a vécue, Valérie Mréjen se garde bien de verser dans ces épanchements qu’induit souvent le thème abordé. On est ici dans un monde où la vie appelle un mode d’emploi. Pas ou peu d’effusions, quand le bébé (c’est une fille) vient au monde, mais tout de suite un problème insoluble qu’il appartient aux parents d’élucider : comment passer la jambe du nourrisson dans ce truc à bretelles conçu pour porter le nouveau-né sur son dos ? « N’importe qui doit normalement être en mesure d’assembler le harnais sans se tromper. Pourtant, les dessins avec flèches et pôles contraires conçus pour s’emboîter naturellement lui semblent d’une complexité considérable. » Avec ce sens de l’observation qu’on lui connaît, et cette écriture à la fois sensuelle et technique, dont elle a fait sa marque, Valérie Mréjen recense le parcours du combattant d’un couple moderne face à la pratique ancestrale de l’enfantement. C’est la fatigue éprouvée le soir quand, une fois le bébé endormi, on se dit qu’on va pouvoir rattraper le retard qu’on a pris dans son travail pour finir claqué sur le canapé et s’endormir tout habillé. Ce sont les jouets bruyants et colorés qu’on rêve de jeter par la fenêtre. C’est le rangement quotidien du bazar qui, miracle encore inexpliqué, se reforme aussitôt celui-ci effectué. Ce sont les premiers émerveillements, les inquiétudes naturelles, les menaces proférées, les envies de vivre comme autrefois, quand on avait du temps pour soi. En somme, Valérie Mréjen a réussi l’impossible mariage du magazine « Parents » et du style de Francis Ponge. La maman est aux anges, le bébé se porte bien, il fait 150 pages et il a les yeux bleus.


Didier Jacob, L’Obs, 2-8 mars 2017?



Un regard neuf


Dans Forêt noire (POL, 2012), la narratrice emmenait sa mère, morte depuis vingt-cinq ans, en promenade à travers Paris, lui montrant tout ce qui avait changé depuis son décès. Troisième personne reprend la balade avec la génération suivante. Car ce roman pourrait se résumer à une longue traversée de la capitale : celle qu’un couple effectue en voiture avec un nouveau- né, cette « troisième personne » qui les a fait passer au statut de famille. Ils rentrent de la maternité, chez eux, à l’autre bout de la ville, et la mère pose sur les rues, les immeubles, la Seine et les passants, un regard neuf: comme elle l’expérimentera de retour dans son appartement, « tout est bien en place, mais sa perception a change» . Le récit de ce trajet minuscule prend des allures d’épopée et s’étire, interrompu par des scènes de la vie de l’enfant, qui s’enchaînent et se répondent selon un principe bout-de-ficelle-selle de cheval éprouvé. La matière du temps que restitue cette superposition est l’une des grandes réussites de ce texte. L’autre, la plus incontestable, est sa justesse. Valérie Mréjen l’obtient par la distance légère que lui offre le choix de raconter à la « troisième personne » et l’effet de perplexité gracieuse qu’elle en tire. Cette justesse repose aussi sur la constante conscience de ce que, avec la parentalité, elle s’attaque à l’une des expériences les mieux partagées au monde, tenue pour exceptionnelle par chacun. Elle joue de ce paradoxe avec le lecteur, tout au long de ce livre qui exerce en permanence à sa propre encontre une salutaire et vigilante ironie. Raphaëlle Leyris, Un regard neuf
Dans Forêt noire (POL, 2012), la narratrice emmenait sa mère, morte depuis vingt-cinq ans, en promenade à travers Paris, lui montrant tout ce qui avait changé depuis son décès. Troisième personne reprend la balade avec la génération suivante. Car ce roman pourrait se résumer à une longue traversée de la capitale : celle qu’un couple effectue en voiture avec un nouveau- né, cette « troisième personne » qui les a fait passer au statut de famille. Ils rentrent de la maternité, chez eux, à l’autre bout de la ville, et la mère pose sur les rues, les immeubles, la Seine et les passants, un regard neuf: comme elle l’expérimentera de retour dans son appartement, « tout est bien en place, mais sa perception a change» . Le récit de ce trajet minuscule prend des allures d’épopée et s’étire, interrompu par des scènes de la vie de l’enfant, qui s’enchaînent et se répondent selon un principe bout-de-ficelle-selle de cheval éprouvé. La matière du temps que restitue cette superposition est l’une des grandes réussites de ce texte. L’autre, la plus incontestable, est sa justesse. Valérie Mréjen l’obtient par la distance légère que lui offre le choix de raconter à la « troisième personne » et l’effet de perplexité gracieuse qu’elle en tire. Cette justesse repose aussi sur la constante conscience de ce que, avec la parentalité, elle s’attaque à l’une des expériences les mieux partagées au monde, tenue pour exceptionnelle par chacun. Elle joue de ce paradoxe avec le lecteur, tout au long de ce livre qui exerce en permanence à sa propre encontre une salutaire et vigilante ironie.

Raphaëlle Leyris, Le Monde des Livres, 24 février 2017



« IL » ETAIT UNE FOIS



Troisième personne est le livre le plus joyeux et emballant de ce début d’année.



Avouons-le, on aurait aimé écrire Troisième Personne , de Valérie Mréjen, et on est prêt à parier que tout parent adorerait être l’auteur de ce récit sobre, jamais mièvre et pourtant complètement amoureux, qui relate les sensations et étapes de la naissance d’un bébé jusqu’à ses premiers pas de course, quand l’enfant se précipite pour saluer les vagues. Comment raconter ce miracle toujours renouvelé de l’arrivée d’un nouvel être à la maison, les menus bouleversements, la fatigue, l’inquiétude, et surtout l’émerveillement : celui du bébé pour le monde nouveau et celui qu’on lui porte, alors qu’il ne cesse de bouger. Comment saisir ce mouvement ? Valérie Mréjen a une baguette magique, un truc, pour éviter l’attendrissement poisseux et provoquer l’identification du lecteur vers quelque chose de plus universel : la troisième personne Qui n’est pas seulement le nouvel arrivant, mais la forme grammaticale privilégiée pour évoquer la mère, le père, et tout ce que la mémoire gomme : les premiers bruits de succion, le premier rire aux éclats, le premier « je t’aime » du nouveau-né, sa première conscience d’autrui, mais aussi les deux octogénaires aux boucles gris mauve, sur le quai d’un métro, qui pressent le pas pour embrasser le bébé qu’elles auront oublié deux minutes plus tard. Dans cette nouvelle vie, il y a bien sûr l’épuisement et la difficulté à se mettre à travailler le soir, puisque la journée est entièrement dévolue au petit être, mais aussi la première fois où la mère parvient enfin à dire « ma fille » dans une conversation, c’est-à-dire à se positionner autrement. Le récit pourrait être énumératif. Il ne l’est jamais, car Valérie Mréjen est continuellement réflexive, chaque remorque engendre sa pensée qui rejoint constamment celle du lecteur. On rêve de glisser ce livre dans toutes les poussettes des bébés connus, inconnus, croisés dans la rue, dans la besace des futurs parents, grands-parents, parrains, marraines. Et finalement dans les mains de l’humanité tout entière.



Anne Diatkine, ELLE, 6 janvier 2017





Dans l’oeuvre en forme de carnet du jour que fait épisodiquement paraître Valérie Mréjen, les faire-part de décès et de naissance se succèdent avec la même intensité. Après s’être arrimée à la mort, dans son puissant livre-tombeau Forêt noire (2012), la voilà qui se blottit au creux de la vie, dans ce délicat ouvrage échographique, dont le titre, Troisième personne, est une caresse au nouveau-né qui vient transformer le quotidien d’un couple. Loin d’elle la tentation de rechercher la complicité de celles qui sont passées par là, ou de céder au nombrilisme de la femme persuadée que la circonférence de son ventre fécondé équivaut à celle du globe terrestre.

Dans une écriture très distanciée, et pourtant enfouie à l’intérieur de la chair d’une parturiente, Valérie Mréjen capte les changements subreptices que cette mise au monde implique. Transparentes et décidées, ses phrases filent comme le temps, et suivent la croissance d’une petite fille invisible, jamais nommée, mais promise à l’inéluctable détachement. Comme toujours chez cette écrivaine, l’admi­ration pour Nathalie Sarraute se chuchote entre les mots, simples, essentiels, concrets, un peu moqueurs parfois, et soudain retenus. Un roman dense, manifeste et léger comme le souffle d’un nourrisson, que toute future mère devrait glisser dans sa valise pour la maternité.



Marine Landrot, Télérama, 9 janvier 2017

Vidéolecture


Valérie Mréjen, Troisième Personne, Valérie Mréjen lit les premières pages de Troisième Personne