— Paul Otchakovsky-Laurens

Là où le coeur attend

Prix écriture et spiritualité 2018

Frédéric Boyer

Là où le cœur attend est un titre emprunté au texte biblique des Lamentations. Texte de plainte dans l’exil et le malheur qui définit l’espoir comme un mouvement de retour vers l’intimité profonde, physique, de chaque personne. Intimité qui est attente, tension. Et que ce lieu-là vienne à être détruit ou oublié, c’est la dignité de la personne même qui s’en trouve détruite. Ce livre est à la fois le récit et l’étude de cette question qui est autant personnelle que collective. Autant philosophique que politique. Il arrive dans la vie de chacun de perdre pied. De vouloir en finir. De ne plus trouver nulle part en soi...

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La presse

Frédéric Boyer plaide pour l’espérance


Dans « Là où le coeur attend », l’écrivain s’efforce de réhabiliter une notion malmenée à l’ère du désenchantement


Voici un essai à la fois déchirant et rare. Il parvient en effet à ébranler son lecteur en sourdine, en évoquant une chute personnelle - un épisode dépressif survenu «une nuit de décembre» - tout en fournissant des armes pour se relever. Frédéric Boyer, éditeur, écrivain, traducteur de saint Augustin et conseiller littéraire de «Francfort en français» (l’ensemble d’événements organisés par la France à la Foire du livre), confesse avec pudeur et discrétion avoir été tenté de se suicider. Celle qui l’emmena se remettre sur les bords de l’Arno s’appelait Anne, à la mémoire de laquelle le texte est dédié. Anne Dufourmantelle, la compagne de Frédéric Boyer, est morte le 21 juillet à Ramatuelle (Var), en tentant de porter secours à des enfants, ce qui, compte tenu du thème abordé, confère à ces pages écrites avant cette catastrophe, une intensité vertigineuse.


Affronter l’expérience du vide

L’épisode d’acédie, de mélancolie morale et physique subi par l’auteur n’est jamais détaillé, même s’il martèle l’ouvrage de sa présence. Car Là où le coeur attend (le titre renvoie aux Lamentations de Jérémie 3,21) se veut surtout la réhabilitation d’une mal-aimée de notre ère prétendument « désenchantée » : l’espérance. Frédéric Boyer la distingue subtilement de l’espoir. Ce dernier vise une réalité déterminée, tandis que seule l’espérance affronte l’expérience du vide, du rien, de la précarité absolue, celle qu’incarne dans le texte biblique le personnage de Job, dont il est proposé ici un commentaire original. Job, le juste plongé dans le malheur, n’est plus le symbole de la déshérence absolue face à l’arbitraire divin ou au mystère du mal. Il devient celui qui «sauve l’espérance de sa malédiction». « Ce que la figure de Job vient rappeler, écrit Frédéric Boyer, c’est la signification radicale de toute souffrance, de chaque injustice. Non pas précisément sa justification mais bien sa révélation. » Chrétien convaincu, croyant, Frédéric Boyer se désole du mépris haineux dans lequel est aujourd’hui tenue la notion d’espérance dans un monde où les grandes utopies religieuses ou séculières sont censées avoir fait faillite et où seule la nécessité règne. L’intégrisme révèle également, selon lui, cette fatigue de l’espérance. Ne prétend-il pas instituer ici et maintenant une société peut-être idéale mais privée d’avenir et surtout d’«attente», autre maître mot de ce parcours ? Loin des dépressions collectives ou individuelles, le moindre mérite de cette méditation grave mais sans amertume et d’une incroyable délicatesse, n’est pas de nous entrouvrir la voie d’un possible salut.


Nicolas Weill, Le Monde des livres, octobre 2017



L’inextinguible espérance de Frédéric Boyer


Ce n’est pas, cette fois, sur le travail des autres que se penche l’écrivain Frédéric Boyer, traducteur passionné de grands textes comme la Genèse, les sonnets de Shakespeare et Les Confessions de saint Augustin. C’est en lui qu’il puise son dernier ouvrage. « L’effort de ce petit livre fut de retracer le plus honnêtement par quelles traductions (de textes et d’expressions de la vie) j’ai dû passer pour traduire mon chagrin en espérance. »Là où le coeur attend est le livre d’un homme debout, qui s’est relevé après l’épreuve. Une épreuve indicible, dont on ne saura rien - ou si peu. Car ce qui compte, ici, est bien l’histoire d’un relèvement.
« Espérer » avec Frédéric Boyer, c’est croiser saint Paul et Dante, le prophète Daniel et Kierkegaard, Nietzsche et le docteur Faust. Mais le romancier écrit surtout en disciple de Job. À tel point qu’au fil des pages, un doute vous étreint : n’est-ce pas ce personnage biblique, soumis par Dieu à toutes les épreuves, qui a écrit ce texte ? La lecture du livre de Job fut d’ailleurs essentielle pour Frédéric Boyer après sa descente aux enfers.
Non, l’espérance n’est pas l’apanage des faibles, des doux rêveurs et des naïfs. C’est même tout le contraire. « Celui qui espère a longtemps été, autrefois, non seulement celui qui se confronte avec le démesuré, mais aussi et d’abord celui qui affronte la radicale incertitude de l’existence. »
L’espérance, insiste encore Boyer, n’est pas non plus une fuite. C’est plutôt une manière d’avancer, d’assumer la douleur. Il n’est pas question d’oublier, mais plutôt d’apprendre à vivre avec la cicatrice de la perte. L’espérance, c’est cette « question posée à l’abandon et à la détresse ». « Espérer c’est posséder déjà ce qu’on espère, c’est avoir la preuve sans le voir. »
Mais au-delà de tout, ce livre constitue un plaidoyer pour remettre l’espérance au coeur de nos sociétés. Car « ce qui marque notre temps, écrit Boyer, c’est l’espérance désactivée ». Preuves de la désespérance de notre temps ? « Son obsession sécuritaire, les dérives de l’économie de marché et de la financiarisation des échanges », mais surtout « la non-reconnaissance de la puissance d’espérer d’autrui, de chacun ».
Ce livre est un voyage initiatique à travers ce qui ressemble fort au « lieu de toute confiance et de plénitude dans le repos » dont parle le poète Claude Vigée. Le nouveau livre de Frédéric Boyer semble être écrit d’un seul trait de plume. Il est un grand cri dont l’écho se propage encore longtemps en soi après l’avoir refermé.


Loup Besmond de Senneville , La croix, octobre 2017



«Là où le coeur attend», envol de nuit


A partir d’une expérience personnelle du désespoir, Frédéric Boyer propose de renouer avec l’espérance.
Une douloureuse nuit de décembre a suscité ce que Frédéric Boyer appelle ce « petit livre ». Petit livre ? Sans doute est-ce parce que, pour une fois, ce traducteur de la Bible, des Sonnets de Shakespeare, des Confessions de saint Augustin (les Aveux, P.O.L) et de la Chanson de Roland, et romancier, traite de sa vie personnelle. Mais parler de petit livre paraît bien modeste par rapport à la réflexion poussée qu’il propose et qui ressemble à la traversée d’une longue nuit au bout de laquelle perce la lumière. Le moment qu’il prend pour point de départ semble insoluble. « Je n’attendais plus rien. Ni rêve ni conquête. Je ne savais pas de quel côté me tourner. » L’auteur se trouve au bord du suicide. « Il m’est arrivé, cette nuit-là, de vouloir mourir et de tenter d’agir en ce sens comme si l’action, à cet instant précis, n’avait plus que son contraire pour s’affirmer encore dans la nuit.


Aiguillon. Mais il ne s’appesantit pas sur la possibilité de l’acte lui-même, et reste pudiquement à distance des raisons qui l’ont conduit à cet état aigu. Encore que, page 27, le lecteur apprendra qu’il a subi un double lavage d’estomac. Mais quand il l’écrit, il est déjà passé à autre chose, de l’autre côté de la nuit, ailleurs, à contempler avec sa compagne les toits de sa chambre d’hôtel de Florence.


Ce qui guide Frédéric Boyer, c’est l’autopsie de cet instant, comme celle d’un angle mort. Et c’est fascinant de le voir revenir aussi longuement sur cette aporie existentielle et de se frotter à tous ses coins en cherchant un passage. Et de nous prendre à témoin, dans la description du symptôme, aussi intime que collectif : « Vous savez, vous voyez, vous devez connaître, ce sentiment embarrassant de vivre sans direction, sans ouverture. Un poids qu’on traîne derrière soi. De la poussière partout. » Oui, ce moment où l’on n’a plus envie de rien, où rien ne nous concerne plus, où le vibrant aiguillon de la curiosité s’est tu. Rien ne le déclenche, plus de pulsion, plus rien d’intrigant sur quoi accrocher son regard. « Ah, la perte du sentiment d’inconnu, la perte de l’incertain, et l’effacement du détail. Le détail étant ce qui nous retient étrangement en vie. » C’est comme s’il n’y avait plus de tableau à contempler, seulement le poids du temps à subir. Un temps sans référence, qui ne s’écoule plus, qui n’a plus de limites, « un temps perdu, immobile [...] un temps sans perspective. Sans espoir ».


Drôlerie. Après ces magnifiques pages d’interrogations sur ce désespoir au coeur de la nuit, la clé que trouve Frédéric Boyer s’appelle l’espérance, et non pas l’espoir. Le chemin qui y mène, pour ce passionné de latin, c’est la traduction dans tous les sens du terme, celle de textes comme celle d’expressions de la vie. « Vivre, c’est traduire », constate-t-il, parce que ça déplace aussi le chagrin. Et cela ne concerne pas seulement celui qui a la compétence du polyglotte.« Il y a donc, je l’ai éprouvé, une façon de perdre la vie qui est une façon de ne plus la traduire comme langage dans sa propre langue. »


L’écrivain s’est donc saisi de l’espérance, ce « double infini » du présent, selon Nietzsche. C’est le vécu de la souffrance qui nous la révèle le mieux. Dans cette bouleversante enquête et patiente exégèse, il convoque Anselme de Cantorbéry, Charles Péguy, saint Paul, Dante, Victor Hugo, Kierkegaard ou même Duras. Retournant lire et traduire le Livre de Job comme souvent en « espérant » y trouver un écho à ses souffrances, Frédéric Boyer réalise que, jusque-là, il n’avait pas compris sa féroce drôlerie. « Le Livre de Job est un conte explosif qui met en pièces morale et justice traditionnelles, qui convoque toute la violence du monde pour interroger ce qui reste quand on n’a plus rien et qu’on ne (se) sait plus rien. » Job, c’est l’expérience de la radicalisation de l’épreuve. Contre toute attente, l’espérance se trouve dans le pire. « L’espérance appartient aux faibles », enseigne le Livre de Job, autrement dit à ceux, ajoute Frédéric Boyer, « qui soupirent dans un ciel sans étoiles ». Il réhabilite l’espérance déniée de nos jours dans un monde contemporain désenchanté et indigne. Là où le coeur attend bouscule les ténèbres pour montrer l’espoir en ces jours glacés de décembre.


Frédérique Roussel, Libération, décembre 2017

Et aussi

Vendredi 13 novembre 2015, mémorial par Frédéric Boyer

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Frédéric Boyer dans La Croix

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Son

Frédéric Boyer, Là où le coeur attend , Frédéric Boyer invitée de Laure Adler France Inter l'Heure bleue 13/09/2017