— Paul Otchakovsky-Laurens

Mon histoire avec Robert

Patrice Robin

Patrice Robin a rencontré le cinéaste américain Robert Kramer en juin 1999, à Paris à l’occasion d’une rétrospective de son oeuvre. Il connaissait ses films tournés sans aucune concession à la machinerie hollywoodienne, et son intransigeance qui l’avait contraint à quitter son pays pour s’installer en Europe, mais il découvre aussi son engagement à vingt ans dans les mouvements de luttes pour les droits civiques et contre la guerre du Vietnam. Mon histoire avec Robert raconte non seulement cette fascination pour la vie du grand cinéaste, témoin du monde, mais surtout comment l’écrivain est renvoyé alors au rêve de ses quatorze ans :...

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La presse

Sans clou fêrir


Rencontre avec Patrice Robin



[...] Dans son huitième et nouveau livre, Mon Histoire avec Robert, voici l’auteur finalement invité au Venezuela, sur les traces d’un vieux documentaire politique auquel a participé le cinéaste Robert Kramer, sur les traces d’un rêve révolutionnaire qu’il ne rejette pas puisqu’il fut d’abord pensé pour le peuple. A Merida, il prend le téléphérique le plus haut du monde : « A partir de la troisième station, le brouillard s’épaissit et j’ai une légère sensation de nausée. Qui se double, lorsque nous quittons la quatrième et dernière cabine, d’une impression d’étau autour de mes tempes. Mes accompagnateurs me recommandent de marcher lentement, de ralentir mes mouvements. Nous gagnons l’extérieur. On distingue à peine le bout de la longue terrasse aménagée pour jouir du panorama. L’atmosphère est humide, glaciale, il y a un peu de vent. Je n’ai pas prévu de vêtement chaud de séjour. Je pose pour le photographe, au pied de la Vierge des neiges sur son rocher, cheveux en bataille, en saharienne, col relevé, besace kaki en bandoulière, regard perdu dans le lointain en direction du plus haut sommet du Venezuela, invisible.» [...]


[...] Mon Histoire avec Robert est un récit où l’auteur observe sa propre vie, ce qu’il rêvait d’en faire et ce qu’il en a fait, dans le miroir de cinq films du cinéaste : Route One USA, Walk the Walk, Doc’s Kingdom, People’s war, Cités de la plaine. Pour ceux qui ignoreraient qui est Kramer, ce grand documentariste de la contreculture américaine, ce cinéaste oublié des oubliés, marginal des marginaux, voici comment Patrice Robin le présente : « De Robert Kramer, je savais deux choses. Son engagement d’abord, à 20 ans, dans les mouvements pour les droits civiques et contre la guerre du Vietnam, cet engagement affirmé plus tard dans ses films tournés aux USA et dans le monde entier. Son absence totale de concession à Hollywood ensuite, une intransigeance qui l’avait contraint à quitter son pays en 1980 pour s’installer en France où l’oeuvre était mieux accueillie.»

En décrivant chaque film, il décrit des moments de sa vie, des projets aboutis ou avortés, comme ce voyage en Algérie inspiré par la lecture de Camus qu’il n’a jamais fait. L’ensemble est très finement tissé. Robert Kramer devient une sorte de guide, un éclaireur fantôme permettant à Patrice Robin d’effectuer un bilan d’étape, non dépourvu d’autodérision, souvent politique. Une phrase de Kramer résume son propre travail d’écrivain : « Un jour ou l’autre, tous les films que je fais formeront un unique et long film. Une histoire en continuel devenir, le compte rendu détaillé d’une conscience qui se déplace à travers les lieux et les époques, essayant de survivre, de comprendre, de trouver une maison adéquate, et, au long de tout ce chemin vivant avec les images, la forme-film comme une unique pratique qui unifie ce projet. » A 17 ans, Patrice Robin s’était inscrit à une école de cinéma. Sa mère n’a pas signé l’autorisation : « Je l’ai pris très très mal. Je me demande aujourd’hui si je serais venu à Paris ou si ça relevait du fantasme. Je n’ai pas redemandé à mes parents et j’ai décidé de ne plus jamais dépendre de personne.»



Philippe Lançon, Libération, 1er juin 2019.



Chemins croisés


Dans Mon histoire avec Robert, Patrice Robin raconte comment son existence et ses livres se tissent avec les films du documentariste états-unien Robert Kramer.



Les derniers livres de Patrice Robin sont des récits de rencontres. Une place au milieu du monde (2014) évoque les adolescents de milieux déshérités qui participaient à ses ateliers d’écriture. Des bienfaits du jardinage (2016) parle des malades mentaux avec lesquels le jardinage a été, pour lui, un mode d’approche. Mon histoire avec Robert relate une rencontre d’un tout autre type : le Robert en question est le cinéaste Robert Kramer. Parce que celui-ci est un fameux documentariste, et que Patrice Robin a fait sa connaissance alors qu’il travaillait pour un groupement de cinéma dit « de recherche », ce livre pourrait être saturé de cinéphilie. S’il n’en est pas dénué, Mon histoire avec Robert reste en cohérence avec la démarche littéraire de l’auteur, chez qui l’esthétique et le politique sont liés - tout comme chez Kramer, d’ailleurs.

Patrice Robin et Robert Kramer n’ont été en présence l’un de l’autre qu’une seule fois, en vue de l’organisation d’une rétrospective. Quatre mois plus tard, le réalisateur disparaissait subitement. La rétrospective prévue se transformant en hommage, Robin s’est plongé dans l’oeuvre, les écrits et les entretiens de Kramer. Il s’agit donc surtout d’une rencontre a posteriori, de l’homme comme de son oeuvre.

S’il n’y a pas de meilleure rencontre avec un artiste qu’en s’imprégnant avant tout de ce qu’il (a) fait, celle-ci est particulièrement puissante, à haut degré de résonance. Bien qu’il en soit éloigné biographiquement, Patrice Robin, en toute modestie, se découvre de nombreux points communs avec lui. Il y a, par exemple, les personnes vers lesquelles Kramer a tourné sa caméra : celles des classes populaires, milieu dont l’auteur est issu et qui est aussi, pour l’essentiel, au coeur de ses livres. Et peut-être avant toute chose, le cinéaste, qui a bourlingué aux quatre coins du monde pour filmer des populations en lutte et en prise avec l’Histoire, l’incite à mesurer ce qu’il en est de ce même rêve porté en lui à l’adolescence mais qu’il n’a pas mis en pratique.

Mon histoire avec Robert est ainsi construit de manière très originale. Au fur et à mesure des films qu’il revisionne, Patrice Robin revisite des moments de sa vie, enlaçant les images posées sur la pellicule et celles de sa propre existence, dans un écho, qui n’élude pas les différences, fortement évocateur. Le cinéma de Kramer n’est pas ici un modèle - puisque ce récit s’élabore a posteriori - mais un révélateur, une façon pour Patrice Robin de jeter sur sa vie et sur ses livres un regard neuf. Cette confrontation entre le cinéma, la biographie et la littérature est absolument passionnante.

Ainsi passe-t-on de Doc’s Kingsdom (1987), où un médecin américain, politiquement engagé depuis les années 1960, exerce dans un hôpital des faubourgs de Lisbonne, au port du Havre, où habite alors l’auteur, rappelant les efforts qui furent faits naguère dans cette ville pour mettre en relation les travailleurs et la culture. Ou de People’s War (1969), qui montre la guerre du Vietnam côté peuple et Vietcongs, aux ateliers d’écriture que Patrice Robin a animés dans le Nord, en particulier dans un centre médico-psycho-pédagogique de la banlieue lilloise (qui apparaît dans Une place au milieu du monde), où « tous tentaient de remettre ces adolescents sur les rails, de pallier les insuffisances des parents, de l’école, de l’État, tous livraient, sans se décourager, parfois avec succès, leur modeste guerre du peuple, pour le peuple ».


Puis Mon histoire avec Robert bascule dans une autre dimension : un récit de voyage. Par deux fois, au printemps 2016 et, surtout, à l’automne 2017, l’auteur, invité par le conseiller culturel de l’ambassade de France à Caracas, se retrouve plongé dans l’âpre réalité du Venezuela. Il va enfin exaucer son rêve d’adolescence, découvrant entre-temps que le premier film auquel Robert Kramer a participé s’intitule FALN (1965), sur une branche militaire du Parti communiste du Venezuela. Rien n’est jamais achevé, écrit en substance Patrice Robin. La preuve. Peut-être même n’a-t-il pas fini de rencontrer Robert Kramer...



Christophe Kantcheff, Politis, le 27 juin 2019.



Les chemins du monde


La rencontre avec le réalisateur Robert Kramer ressuscite les rêves de l’adolescent Patrice Robin et permet, vingt ans après, leur concrétisation. Comme un héritage.



À la fin de Le Voyage à Blue Gap, Patrice Robin décrit la montre à gousset ayant appartenu à un grand-oncle : « on pouvait lire l’heure sur son cadran à la fois en chiffres romains, discrètement entourés d’un liseré d’or, et en chiffres arabes d’une belle couleur rouge, moderne, preuve, me disais-je, que son propriétaire avait, lui aussi, eu le souci de relier le vieux monde au nouveau ». Ce « lui aussi » dit assez bien l’un des projets littéraires de l’auteur : relier le passé au présent, lier ensemble l’avant et l’aujourd’hui pour dessiner la trajectoire d’une vie, rester en mouvement. Le vieux monde dans Mon histoire avec Robert se situe pour peu de temps encore au siècle dernier : c’est 1999 et la rencontre avec le réalisateur Robert Kramer. L’Américain, par son existence, renvoie le tout jeune écrivain qu’est Patrice Robin (son premier roman vient de paraître) à son adolescence et à ses rêves brûlés. Ce que Robert Kramer a réalisé durant toute son existence, Patrice Robin ne l’a pas même amorcé à 45 ans quand il rencontre le cinéaste : il n’est pas parti, ou pas bien loin. Il a abandonné l’idée de faire du cinéma, son mariage s’est conclu par un divorce et l’exil au Havre, mais cela entre en écho avec ce que filme Kramer : « Comme ses films, (...) sa vie m’avait renvoyé à la mienne (...) m’avait renvoyé surtout à mon rêve d’adolescent : parcourir le monde pour en témoigner et tout ce que cela impliquait dans mon esprit d’engagement et de solidarité avec ceux qui luttaient pour une vie meilleure. »


Dans la lignée de ses premiers livres, Mon histoire avec Robert revisite l’adolescent qui devant « Cinq Colonnes à la Une » quittait « Mauléon (Deux-Sèvres) pour l’Afghanistan, l’Éthiopie, la Chine, la Yougoslavie, le Mexique, le Japon, le Brésil... et n’en revenait pas tout à fait. » Refaisant le parcours qui fut le sien, Patrice Robin dévoile ici plus que dans ses autres livres la part politique que sa sensibilité implique. Sa sympathie pour ceux qui luttent et ceux qui souffrent trouve dans les films de Kramer sa traduction en image. L’oeuvre du cinéaste comme miroir où voir la part indicible de soi... Avec sa délicatesse habituelle, cette façon si précise d’agencer des phrases simples pour contourner la pudeur et parvenir à toucher à la complexité des sentiments, Patrice Robin tresse ensemble les films de Kramer et ses propres lectures, les images de Kramer et ses souvenirs, le combat de Kramer et son combat pour sortir du déterminisme de sa naissance et devenir, par l’écriture, le témoin de ce peuple qui l’accompagne. Un peuple en souffrance où les morts et les vivants se retrouvent en communauté avec ceux qu’a filmés Kramer. Une forme de fraternité naît de ces pages, qui passe par l’art (cinéma ou littérature) et une attention aux êtres. Un art, chez l’écrivain comme chez le cinéaste, qui passe par le détail. C’est Robert Kramer qui parle : «  Personnellement, cela fait longtemps que j’ai renoncé à toute idée de panorama. Ce n’est que par un travail sur les fragments que je trouve encore un peu la possibilité de reconstituer une vision du monde tout en ménageant un espace de réflexion. »


Quatre mois après leur rencontre, Kramer mourait dans sa maison normande. Mais probablement vit-il assez dans la mémoire de l’écrivain pour que celui-ci accepte d’aller au Venezuela parler de littérature alors que le pays se déchire dans la violence et la crise. Il découvrira alors que Robert Kramer, avant lui, avait aussi écrit sur ce pays et son peuple et que si l’Américain a pu filmer le monde, le Français peut désormais l’écrire.


Thierry Guichard, Le Matricule des Anges n°204, juin 2019.



De quelle empreinte inattendue et indélébile un cinéaste peut-il marquer son spectateur ? Malgré ce que laisserait penser son titre, le livre de Patrice Robin ne se résume en rien à un recueil d’anecdotes partagées ou à un assemblage de confidences inédites sur le grand documentariste américain Robert Kramer. C’est au contraire l’histoire d’un rendez-vous manqué. Patrice Robin a connu Kramer trop tard et trop vite : le temps d’une réunion préparatoire pour une rétrospective organisée en 1999, hommage qui s’avèrera tragiquement posthume, Robert Kramer s’éteignant quelques semaines après cette unique rencontre. Une liberté de baroudeur, des engagements politiques courageux, une intransigeance assumée vis à vis de Hollywood… Tout chez le cinéaste paraît puissant et romantique à l’œil de l’écrivain, même sa mort survenue après une nuit passée à la belle étoile. L’auteur passe en revue le fil de sa propre vie et tente de la relier par des nœuds ténus à celle du cinéaste aventurier. Le parallèle s’avère peu glorieux entre voyages avortés, rupture amoureuse et vie étriquée de comptable à la petite semaine. Kramer, au contraire, incarne l’artiste flamboyant, le voyageur sans peur qui s’engage contre la guerre du Vietnam (People’s war), sillonne les franges de l’Amérique (Route One USA), traîne sur les docs glauques de Lisbonne (Doc’s Kingdom) et échoue dans une gare routière d’Odessa au petit matin (Walk the Walk) tout en explorant les frontières mouvantes entre réel et fiction. Pourtant, et contre toute attente, un compagnonnage émouvant et subtil s’établit entre la figure épique du hobo, caméra en bandoulière, et celle de l’anti-héros, animateur culturel auprès des laissés-pour-compte d’une France sinistrée. Malgré les routes qui ne se croiseront jamais et les destins irréparablement parallèles, émerge cette fraternité inattendue, celle qui se noue autour de la volonté commune de donner à entendre ceux qu’on écrase, autour de l’espoir d’un réveil révolutionnaire, ou du goût pour les zones portuaires. Le cinéma, nous assure Patrice Robin, nous guérit de l’étroitesse de nos vies. Le cinéma nous pique, nous gifle et agit sur nous comme un implacable éperon. Enfin et surtout, le cinéma nous donne la force de tenter un jour à notre tour l’aventure, seul véritable remède à la médiocrité

Laetitia Mikles, POSITIF, Octobre 2019.


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