— Paul Otchakovsky-Laurens

Chino au jardin

Christian Prigent

Dans ce troisième volet d’un cycle amorcé par Les Enfances Chino (2013), Les Amours Chino (2016) et Chino aime le sport (2017), Chino visite les jardins de son enfance. Ce livre est un roman mais rien n’est chronologique. Entre 1950 et 2019, les époques se mêlent. N’apparaissent que des mondes furtifs, des souvenirs à trous. Tout se forme et se déforme dans une langue qui passe sans crier gare de l’élégiaque larmoyant au mirliton comique, du savant au populaire, du français grand style aux argots. C’est aussi un grand éloge du jardin. Pas de lieu plus fini qu’un jardin : clos, cadastré, et aucun qui soit davantage capable...

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La presse

« Chino au jardin », nouveau plant autobiographique poussé dans le réel que cultive son auteur. Fertilité de la langue et de la vie Christian Prigent en bourgeon.


Autant le dire d’emblée, tout net et sans parabole. Impeccablement rythmé pour faire sonner à neuf les mots débarrassés de leur gangue usuelle (ce n’est pas un hasard si l’on compte Céline et l’Italien Gadda parmi les auteurs des citations dispersées en exergue de chaque chapitre), Chino au jardin offre une excellente occasion de se lancer à la découverte ou à la redécouverte de l’oeuvre majeure de Christian Prigent, étrangement marginalisé sur la scène contemporaine. Essayiste mêlant volontiers poésie et arts plastiques dans une réflexion théorique des plus vivifiantes (L’Incontenable, 2004, P.O.L comme la plupart de ses livres), poète hors normes lyriques (Écrit au couteau, 1993), romancier hors normes narratives (Grand-mère Quéquette, 2003), Christian Prigent a aussi été au siècle dernier un homme de revues, dont l’une au moins épousa fidèlement les préceptes les mieux normés de l’avant-garde de son temps (fondée en 1969 avec Jean-Luc Steinmetz, la revue TXT oeuvra dans l’orbite de Tel Quel tout en accueillant aussi bien Valère Novarina que Jean-Pierre Verheggen). Sans qu’il soit en rien nécessaire de les avoir lus pour goûter Chino au jardin, ce dernier s’inscrit dans la continuité de la série autobiographique commencée avec Les Enfances Chino (2013) puis pour suivie dans Les Amours Chino (2016) et Chino aime le sport (2017), tous deux présentés comme des « romans en vers » (et contre tout ?). « Après ce détour dans la fantaisie tu en reviendras au jardin que baigne la sueur de ton père et sur lequel goutte désormais la tienne : celle de ton désir de malgré les emmerdements et les anicroches comme tout le monde banalement vivre. »



Une enfance cultivée

Dans Chino au jardin, Christian Prigent ressuscite les jardins ouvriers qui entouraient sa ville, faisant revivre sa jeunesse dans une langue explosive.

La justification de Chino au jardin est là : « Car déjà s’il ne vit pas tout à fait ce qu’il vit que va-t-il rester dans ses inconsciences du temps qu’il vécut quand allait et venait là le galopin qu’il fut ? » L’écriture comme tentative de restitution d’un passé dont les témoins et les traces s’effacent. Un récit autobiographique, donc, mais à la manière de Christian Prigent, que l’on connaît bien dans ces pages parce que nous le tenons pour un écrivain doublé d’un poète majeur. Sa manière est tout sauf conforme à la petite musique attendrie, fréquente dans les écrits rétrospectifs sur soi.
Chino au jardin - surnom qu’il reçut quand il était « galopin » - s’inscrit dans la série des Chino qu’il a déjà publiés. Le jardin est à la fois bien réel et métaphorique. Réel, parce que Prigent ressuscite les jardins ouvriers qui foisonnaient autour de la ville de Bretagne où il a grandi, aujourd’hui recouverts par du bitume et du béton. Métaphorique, parce que ce livre a été écrit pendant le premier confinement, le plus strict, et que le mouvement intime de l’écrivain l’a porté à ouvrir les horizons, à évoquer le ciel (même s’il ne croit pas au Très-Haut) et l’ici-bas (la mer, la végétation), à raconter des épisodes imaginaires et même fantasmatiques (le chapitre « Chino au jardin délicieux », où un concombre joue un rôle licencieux), et à introduire la grande histoire (les guerres d’Indochine et d’Algérie, les Trente Glorieuses) dans ses tableaux de vie quotidienne.
Foin de nostalgie ici - ou alors, l’auteur s’en méfie tant qu’elle est très contenue -, mais une ardeur à rendre on ne peut plus vivant ce qui l’était, à restituer l’énergie juvénile au pays des grands, pas toujours compréhensibles ni conciliants. Là, c’est la découverte craintive mais enchantée de l’univers des postiers méprisés parce que réputés alcooliques ; ici, un grand repas de famille où Chino s’adonne à des portraits mémorables de convives ; là encore, des chevauchées en bandes joyeuses transformant tout en jeu, fictions anodines ou dangereuses. Chino, entre angoisses enfantines et plaisirs familiers, dévale la pente du temps vers son avenir inconnu.
L’écriture de Christian Prigent fait ici feu de tout bois, peut-être plus que jamais (ce qui place la barre haut). Ce grand lecteur de Rabelais sait y faire pour extraire de la langue - surtout orale - ses minerais les plus coruscants, les plus effervescents, les plus drolatiques. Au moyen d’une syntaxe aussi rythmée qu’élastique, d’une abondante richesse lexicale où accents et patois créolisent le français, d’une propension à l’auto ironie et au contraste comique entre prosaïsme et raffinement, l’auteur insuffle une énergie inouïe à son texte et perfore le langage commun. Il réalise ainsi par la forme son projet de retrouver les sensations d’alors. Même s’il se désole que la laideur urbanistique ait tout recouvert, il termine sur une célébration hilarante du mouvement des gilets jaunes, qui ont enfin donné leurs lettres de noblesse aux affreux ronds-points. Le jardin de Prigent ne craint pas le gel : il donne cette année des fruits gargantuesques.


Christophe Kantcheff, Politis, 24 juin 2021



Christian Prigent en bourgeon

« Chino au jardin », nouveau plant autobiographique poussé dans le réel que cultive son auteur. Fertilité de la langue et de la vie Christian Prigent en bourgeon.

Autant le dire d’emblée, tout net et sans parabole. Impeccablement rythmé pour faire sonner à neuf les mots débarrassés de leur gangue usuelle (ce n’est pas un hasard si l’on compte Céline et l’Italien Gadda parmi les auteurs des citations dispersées en exergue de chaque chapitre), Chino au jardin offre une excellente occasion de se lancer à la découverte ou à la redécouverte de l’oeuvre majeure de Christian Prigent, étrangement marginalisé sur la scène contemporaine. Essayiste mêlant volontiers poésie et arts plastiques dans une réflexion théorique des plus vivifiantes (L’Incontenable, 2004, P.O.L comme la plupart de ses livres), poète hors normes lyriques (Écrit au couteau, 1993), romancier hors normes narratives (Grand-mère Quéquette, 2003), Christian Prigent a aussi été au siècle dernier un homme de revues, dont l’une au moins épousa fidèlement les préceptes les mieux normés de l’avant-garde de son temps (fondée en 1969 avec Jean-Luc Steinmetz, la revue TXT oeuvra dans l’orbite de Tel Quel tout en accueillant aussi bien Valère Novarina que Jean-Pierre Verheggen). Sans qu’il soit en rien nécessaire de les avoir lus pour goûter Chino au jardin, ce dernier s’inscrit dans la continuité de la série autobiographique commencée avec Les Enfances Chino (2013) puis pour suivie dans Les Amours Chino (2016) et Chino aime le sport (2017), tous deux présentés comme des « romans en vers » (et contre tout ?). « Après ce détour dans la fantaisie tu en reviendras au jardin que baigne la sueur de ton père et sur lequel goutte désormais la tienne : celle de ton désir de malgré les emmerdements et les anicroches comme tout le monde banalement vivre. »

Ivrognes et poète

Le plus souvent situés dans la Bretagne de l’immédiat après-guerre, les jardins de Chino, « ceux des enfances délicieuses ou suppliciées », ne sont pas tous perdus. On y croise autant d’ivrognes que de poètes moins sorciers qu’à l’enfance il y paraissait, peut-être: « Quand ils l’ont croisé sur le chemin, Chino a fait son grillon maritime de la Manche pour un clin d’oeil fin: André Breton, a-t-il dit, passe ! Le barde au long poil a modestement souri. » Il y aura cependant la visite dans « la maison de C. alias P., l’écrivain des choses réhabilitées », Francis Ponge pour ne pas le nommer, qu’on retrouve ici en son propre jardin. Il ne faudrait pas croire pour autant que la vie côté jardin n’aura été que buissonnière ou poétique. Dans un tableau animé qui pourrait s’intituler « La jeune femme aux cucurbitacées », on apprendra que le releveur de compteurs EDF sonne toujours deux fois, comme certains facteurs, sachant faire retour pour s’assurer de ce qu’il a vu et bien vu : quand au jardin une jeune femme nue s’empare de l’obscène, il reste au poète à l’écrire, peut-être, des années plus tard et toujours fébrile, il semble - « Concédons peut-être à l’air du temps que tout ça cocotte le vieux temps dégueulassement inconscient de cochon de juste après celui des corsets et des fixe-chaussettes puis des couronnes keep cool sans soutien-gorge de fleurs d’avant qu’on les #balance même en Californie avec les orties des siècles obscurs au fumier. Aimons cependant que ça ait eu selon Chino lieu dans les labyrinthes pas si lointains des âges sans que nulle ni nul n’y fasse la gueule outrée en coin ou le cul pincé de travers à cause de principes excellents en progression de moeurs. » Quand bien même l’âge adoucirait les enjeux formels, Prigent reste assurément de ceux qui oeuvrent à trouer la langue commune, cette carapace insensible qui couvre nos vies d’habitudes de pensée et de raisonnements hérités, si souvent stéréotypés: la trouer pour y laisser revenir un peu de ce réel insaisissable dont Georges Bataille avant Jacques Lacan nous a donné l’impossible mesure. Prigent, mêlant essai et poésie dans le remarquable Ce qui fait tenir (2005), le définissait ainsi : « Le réel est évidemment ce qui nous tient au besoin de dessiner, de peindre - ou d’écrire. Mais qu’est-ce que le réel ? Disons : le donné sensible en tant qu’il échappe à nos langues et que nos langues, devant son défi, refluent, sèchent et se fondent dans l’habitude insignifiante des paroles atones et des images apathiques. » La pensée de la langue, de la poésie et de la vie sont une seule et même chose, ici - même lorsqu’il s’agit de laisser libre cours aux remontées d’enfance erratiques qu’éprouve derechef et tente d’orchestrer Chino, revenu de tout ou peu s’en faut.


Bertrand Leclair, Le Monde de Livres, 18 juin 2021



"Christian Prigent, Chino au jardin", un article de Bruno Fern, à retrouver sur la page de Poezibao.


Et aussi

Christian Prigent, Grand Prix de Poésie 2018 de l'Académie française

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