— Paul Otchakovsky-Laurens

Le Zoo des Absents

Joël Baqué

Incroyable destin que celui de René Cormet. Petit français moyen qui naît dans le sud de la France viticole, près de Béziers. Il passe toute sa vie professionnelle comme comptable d’une charcuterie, les « Salaisons occitanes ». Mais à sa retraite, bien méritée, sa vie bascule. Il fait la connaissance de Stella, caissière de supérette et végétarienne, qui l’entraîne à la découverte d’un nouveau monde : celui du véganisme et de l’antispécisme. Découverte qui aura raison de son ennui et de son existence sans histoire. Plus ou moins malgré lui, René décide de rejoindre ses nouveaux amis en Suisse....

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La presse

Une histoire d’amour loufoque, ni chair ni poisson


Comment un petit comptable effacé, qui souffre d’allergie alimentaire, tombe dansles griffes d’ultravéganes en Suisse, un pays où les chiens ultraconnectés aboientavec modération.


A la supérette de Béziers, où il a l’habitude de faire ses courses, René, comptable taciturne et routinier, tout juste retraité des Salaisons occitanes, se voit remettre un tract par une jolie caissière : soirée antispéciste au Hangar. Venez nombreux ! Des antispécistes, René ignore tout. II ne mange ni viande, ni poisson, non par conviction végane mais parce qu’il ne digère pas la première et est allergique au second. Intrigué, un peu par désoeuvrement, René se rend sur place. II fait la connaissance de Lison, jeune militante adepte de la défense des animaux sauvages. Elle élève un rat sauvé d’un laboratoire où l’on étudiait les syndromes post-traumatiques.

De fîl en aiguille, René, « homme du juste milieu », se laisse embarquer dans une aventure pas piquée des vers. On y croisera des militants de tout poil, dont les L214, qui posent des caméras dans les abattoirs, mais aussi leur avocate à l’odeur d’encens, le chignon traversé par d’énormes épingles, ainsi que des véganes du rang. On mange des algues, du cresson, de la salicorne et des galettes à la coriandre, et l’on écoute, bouche bée, avec néanmoins un peu de méfiance, des antispécistes radicaux. Ces Rwas (acronyme de Reducing Wild Animal Suffering) ont un seul objectif : réduire la souffrance des animaux sauvages. Établir la liste de ceux qui doivent vivre (les proies) et ceux qui doivent mourir (les prédateurs). Leur projet, basé en Suisse ? Le « retrait » à terme de 28 espèces de prédateurs par stérilisation (du renard aux petits félins, de la loutre aux reptiles et autres rapaces ciblés pour leur férocité).

LA DINGUERIE
DE NOTRE ÉPOQUE


René, homme du « clapotis mais pas du tsunami », suiveur médiocre, lâche son existence routinière pour se rendre en Suisse, où Lison et sa clique lui font miroiter un poste de comptable dans leur fondation antispéciste dernier cri. L’arrivée là-bas est en soi un régal de lecture. Les chiens suisses, ultraconnectés, sont porteurs de puces électroniques. Ils aboient avec modération et pissent dans les clous...
Le livre de loël Baqué, Le Zoo des absents, restitue la dinguerie de notre époque dans un miroir déformant salutaire. Son héros, féru de sudoku, est aussi neutre et déprimant qu’un personnage de Houellebecq. Une carrière désespérément plate, une mère folle du présentateur Jean-Pierre Pernaut, une vie sexuelle aussi rabougrie que le pin parasol nain offert par sa société pour sa retraite. La rencontre de cet « homme de la quiétude et non du stress » avec une bande d’agités du bocal volontiers sectaires va vite virer au cauchemar. On se souvient que le personnage de Louis, dans La Fonte des glaces (P.O.L, 2017), également retraité taciturne, ancien charcutier, veuf à la vie tranquille et ordonnée, devenait rnalgré lui une icône planétaire de l’écologie au terme d’un parcours commencé dans une brocante. René, lui, n’aura pas cette chance !


Muriel Steinmetz, L’humanité, 10 février 2022



Un homme ordinaire entraîné aux confins du transhumanisme


Les petites conversations anodines à la caisse de la supérette peuvent mener loin. C’est par une telle scène que débute le dernier roman de Joël Baqué, qui narre la vie peu trépidante de René Cormet, comptable bientôt retraité, s’écoulant entre ses promenades le long des allées Paul-Riquet, à Béziers, le soin apporté au pin parasol version bonsaï qui orne son appartement, et donc ses courses du quotidien, qui ne vont pas sans un brin de causette avec Stella, la sympathique jeune caissière végane. Et c’est là que la vie du taciturne monsieur Cormet, végétarien parce qu’il ne digère pas la viande et est allergique au poisson, va basculer.
L’atypique romancier Joël Baqué, policier dans une première vie, et qui s’intéressa dans son précédent roman aux ermites des premiers siècles de la chrétienté (L’Arbre d’obéissance, 2019), nous emmène ici dans une fable moderne autour de l’homme et de l’animal, allant jusqu’aux confins du transhumanisme, sur un ton distancié voire facétieux, mais qui va bien au-delà de la simple farce. Car si son héros est une sorte de monsieur Jourdain des nouveaux habitus alimentaires, il va se trouver entraîné dans le combat animaliste et ses enjeux. Comment lutter contre la souffrance animale ? En dénonçant les mauvais traitements dans les élevages et les abattoirs? En cessant d’exploiter les animaux, donc en ne mangeant ni viande ni oeufs et en ne portant pas de cuir ? En allant jusqu’à intervenir dans la nature pour retirer du monde vivant les prédateurs (lions, renards, loutres ou chats) et éviter ainsi une insupportable souffrance à leurs proies? Les pérégrinations du bon René vont le conduire à fréquenter les militants, à lire les théoriciens de l’antispécisme, à déménager en Suisse pour s’investir dans un projet dantesque : le Global Animal Protect. Jusqu’à finir en hologramme, gardien éternel d’un zoo des prédateurs disparus d’un monde sans souffrances. La dystopie n’a ici rien de la caricature, elle invite sereinement à la réflexion, par la seule grâce de la fiction.


Stéphane Ehles, Télérama, Semaine du 12 février 2022



Antispéciste, mais pas trop.


Les folles aventures d’un pourtant très raisonnable comptable parmi les militants animalistes radicaux.


On retrouve Joël Baqué avec un plaisir redoublé, puisqu’il publie ses sixième et septième livres chez P.O.L, de nature et de forme bien différentes : un roman et un recueil de ce qu’il faut bien qualifier de poésie, mais qui n’est pas sans rappeler la forme fragmen taire du génial La mer c’est rien du tout.
Dans le premier, l’auteur installé dans le sud de la France pour suit la voie esquissée dans ses précédents romans. Des histoires tenant à des degrés divers de la fable et de la satire, qui dépeignent la solitude (qu’elle soit due à l’intransigeance de l’âge ou à celle des esprits obtus) avec une sorte de mélancolie amusée qui la transfïgurerait presque, mettant au jour le décalage entre soi et un rnonde qui nous échappe nécessairement.
En toile de fond, à travers l’exploitation de thèmes très actuels tels que le rapport de l’humain au vivant, le réchauffement climatique et la préservation de l’environnement, Joël Baqué s’amuse des conflits sociaux ou idéologiques avec une fausse naïveté et un humour qui les dépolluent de l’hystérisation habituelle.
Un petit exploit qui mon tre l’absurdité des controverses et des postures, autant qu’il trahit chez l’auteur une certaine tentation de l’absolu. Pour incarner ces aventures renouvelant l’épopée donquichottesque, on trouve un antihéros à l’ambition ne s’élevant guère au-delà de l’estomac, qui finit par connaître un destin hors du commun.

Un végétarien aux Salaisons occitanes

Ainsi René, le personnage principal du Zoo des absents, rappelle forcément Louis, celui de La fonte des glaces (2017). Le second était un boucher à la retraite devenant malgré lui un symbole de la lutte climatique ; le premier est un comptable pensionné qui a passé toute sa carrière dans une entreprise de charcuterie industrielle sans en consommer les produits en raison d’un végétarisme même pas idéologique (il ne digère ni viande ni poisson) qui le mènera au coeur des cercles les plus radicaux du militantisme animaliste. Outre le lien avec la viande (on ignore au juste si une motivation plus profonde pousse l’auteur dans cette curieuse fixation au delà du simple effet comique et symbolique), les deux hommes se caractérisent par la plus grande simplicité, voire banaité qui contraste avec les aventures qui les attendent. Car la vie tranquille de René dans une petite ville du Midi, lui cet homme raisonnable "élevé dans le culte maternel de Jean-Pierre Pernaut", cet homme du genre à avoir un siège préféré dans le bus et à ne jurer que par la fiabilité des chiffres, va basculer le jour où il rencontre, au supermarché du coin, une militante végane qui l’invite à une conférence antispéciste. René découvre alors, entre curiosité et effarement, bien embarrassé par son passé aux Salaisons occitanes, les idées de ce courant de pensée qui vise à éradiquer la domination humaine et la souffrance animale, ses mouvances internes plus ou moins radicales. Certains, constate le comptable qui se prend d’amitié pour Lison, une militante et théoricienne plus modérée, vont même jusqu’à prôner l’élimination d’espèces sauvages au motif qu’elles en font souffrir d’autres. Et si Joël Baqué grossit le trait en moquant gentiment (quoique) ce mouvement RWAS (pour Reducing wild animal suffering), c’est pour mieux servir son intrigue qui mènera le héros jusqu’à un mystérieux complexe scientifique établi dans un des anciens bunkers qui fourmillent sous les montagnes suisses (et au fameux zoo). Toujours avec cette douce ironie si plaisante à lire.

Le fond mouvant des choses

Dans un tout autre registre, Trois chaos invite également à une forme de jouissance. Ce sont de courts versets poétiques, formant bout à bout un récit morcelé, impressionniste, des vues ou des souvenirs d’apparence onirique mais très vivante, qu’il s’agisse de corps humains remuant sur une plage ou de scènes naturalistes dans une vallée alpine.
Un subtil jeu de déclinaisons et de répétitions où l’on retrouve la pureté, la beauté de la langue qu’on a aimée dans les poèmes et la prose plus autobiogra phique de Joël Baqué, le regard tendre et impitoyable sur l’adolescence, la méditation sur la vie sauvage et minérale, sur "le fond mouvant des choses". Une soixantaine de pages pleines de lumière et de couleur, qui se savourent longtemps, longtemps.


Alexis Maroy, Arts libre, Semaine du 23 février 2022



Portait AGENT DOUBLE


MAIS QUI ESTDONC JOEL BAQUË, ANCIEN POLICIER, ROMANCIER ET POETE PLEIN DE FANTAISIE ?


Lorsque René fait la connaissance de Lison, jeune militante animaliste au phrasé irrésistible, son quotidien paisible de comptable retraité s’en trouve bouleversé : sa promenade du matin est repoussée à l’heure du déjeuner, et le nombre de contacts dans son téléphone portable passe de deux à quatre. Mais ce sourire I Cette voix ! René envisage bientôt de quitter Béziers pour épauler la jeune femme dans son projet de fondation antispéciste en Suisse. II y a dans toute l’oeuvre de Joël Baqué un goût pour les antihéros embarqués dans une aventure qui les dépasse. En même temps que Le Zoo des absents, l’ancien commandant à la police des frontières de Nice (il a pris sa retraite en 2017) publie le recueil Trois chaos, une poésie qu’il dit basée sur « le descriptif, le sensitif et la précision », et à laquelle il est venu par hasard lorsqu’il était maître-nageur en Corse : un livre d’entretiens entre Philippe Sollers et Francis Ponge égaré sur la plage fut le point de départ de cetautodidacte. Après quoi, il lira toute la poésie du XXe siècle puis celle contemporaine, avant de s’attaquer à la littérature. « Tout cela aurait pu ne pas arriver, précise-t-il. Cela m’a pris du temps de comprendre qui j’étais en tant que lecteur, puis en tant qu’auteur. J’écris sans savoir où je vais, je laisse courir mon imagination, je n’ai pas de plan, c’est une méthode d’écriture qui n’en est pas une. » II le reconnaît, « les chiens ne font pas des chats », ses personnages sont un peu lui, il peut « passer des jours sans parlerà personne, hormis au téléphone ». Car il n’est question que de cela chez l’écrivain : de la solitude de notre humaine condition et de la possibilité d’une rencontre, des accidents qui peuvent la faire advenir. Comme un livre oublié sur une plage peut faire advenir la littérature.


Avril Ventura, Elle, 10 février 2022



La Loi de la jungle : Héros aquoibonistes


« La loi de la jungle, c’est bien plus féroce que la traduction charcutière.»

 

Alliage méticuleux d’humour grinçant et de poésie désabusée, le style Baqué fait mouche pour saisir les manies inoffensives de héros solitaires, par défaut ou par habitude, aux traits consensuels jusqu’à l’effacement. Une façon de rendre immédiatement attachants ces anonymes hagards, dont le triomphe modeste culmine dans « le domptage d’un demi-cahier de jeux de chiffres, force cinq ». II y a là quelque chose de l’ordre des antihéros chers à Jean Echenoz, des aquoibonistes ragaillardis par le hasard-pas toujours les plus dégourdis, bousculés dans leurs certitudes, propulsés malgré eux vers l’aventure voire, qui sait, une épopée. Sur la somme des effacements personnels qui peuplent une vie, purgatoire des relégations, Baqué procède à pas de loup pour décanter - une mélancolie douce-amère. Ainsi les trois relations affectives du sexagénaire, brossées en deux pages, se dégustent comme un vin de garde tandis que l’allégorie de 40 ans de vexation professionnelle grésille sous « des néons (..,) diffusant une sorte d’ombre albinos ». Dans la dernière partie, quelques coups de pinceau houellebecquiens viennent parfaire le geste d’ensemble tandis qu’affleurent des clones cousins du Daniel de La Possibilité d’une île. Côtoyant les succédanés de René guidant des visites scolaires en des galeries de l’épouvante, peuplées d’espèces éteintes, le lecteur s’impatiente de voir le Biterrois accéder à la reconnaissance qu’il mérite amplement. «  Ah bon, répondit René pris de court par ces précisions non sollicitées.  »


Fabrice Delmeire, Focus vif (Belgique), 10 mars 2022

Agenda

Du vendredi 17 au dimanche 19 mai
Neige Sinno et Joël Baqué au Festival La Comédie du Livre (Montpellier)

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