— Paul Otchakovsky-Laurens

La Chambre du milieu

Anne Parian

Une enfance écrite au présent, à la première personne, qu’on peut dire autobiographique, arrêtée à la dixième année.


Les souvenirs qui en constituent le témoignage ne respectent pas la chronologie, mais la mémoire. Ils respectent l’ordre de leur apparition dans chaque séance d’écriture.

Il ne s’agit pas de l’enfance passée, mais de l’enfance présente (telle qu’elle se (re)présente).

Le plus exactement possible c’est l’enfant qui parle.

Ce qui est rendu est aussi sa position, par exemple : « J’existe comme les pissenlits. »

Anne Parian a voulu établir...

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La presse

Le livre comme scène de mémoire et comme « chambre claire » à partir desquelles tout un pan de l’enfance perd de ses ombres et en vient à l’articulation — des sentiments aux mots, des terreurs aux paroles, des interdits aux transgressions. Un bref prologue annonce une direction, croque un paysage, et précise que les enfants sont, en partie, soumis à un protocole exclamatif : « La 403 noire roule vers la maison blanche./ Passé le pont d’où de plus grands plongent dans la rivière il faut nous exclamer. » La mauvaise foi, au sens sartrien du terme, est incarnée et jouée par les parents sans doute malgré eux. Mais la transmission des valeurs et des attitudes rencontre un point de rupture, qui ouvre à une fuite cependant cadrée par la langue : « Je ne peux pas m’enfuir aussi souvent qu’il faudrait ». Consensus, habitus et mensonges vont être déconstruits par une série de quarante-deux sections regroupant, chacune, des propositions flashées.


C’est à prendre ou à laisser. Le lecteur est embarqué et n’a pas vraiment le choix de renoncer au voyage. Lui aussi roule vers une « maison blanche », peut-être l’autre nom du livre. Et ce dernier fonctionne comme un manège : cris d’enfants, rengaines lancinantes, puits de lumières et de sons, rotation du temps qui n’en finit pas de repasser. L’adulte-lecteur reste à l’écart, observe, craint, tente de saisir, au passage, les regards de ses rejetons, le regard de l’enfant qu’il a lui-même été. Mais la syntaxe l’emporte, qui énonce implacablement des affirmations mêlant sensations et synesthésies. Il se retrouvera, au terme de cette rencontre, avec une cervelle tout feu tout flamme. La quatrième de couverture précise : « Nous avons dix ans. La limaille de fer fait à Léonard la bouche et les yeux noirs dans le visage blanc. L’enfance me brûle la cervelle. »


Du côté de la narratrice, les couleurs, les parfums, les sons et les goûts (é)lancent la mémoire, et constituent des repères bien plus fiables que les noms propres ou la psychologie. Maman et papa sont absents. Marionnettes et pantins, automates toujours en fuite, ils sont typifiés : le père, la mère, la cousine, la tante Riquette (sauvée de l’anonymat grâce à son patronyme quasi fictionnel). Du côté des enfants, la vie pleine d’écorches et d’écorchures préserve quelques prénoms. Ronde des enfants, chacun tenant une main à laquelle se raccrocher à une main, dans le même temps, à préserver intacte au coeur du corps. L’enfant est sauvé en sauvant son Autre, double jumeau, frère cadet ou camarade de vie. Pourtant avant la naissance, avant la vie, avant le présent, un aîné n’a pu être sauvé. Disparu, son souvenir hante les adultes comme les enfants. Ce livre lui offre sa « chambre », celle qu’il n’a pas eu le temps d’aménager en île déserte ou en cabane magique.


Que se passe-t-il à hauteur d’enfants ? Des expériences, des incompréhensions, des peurs, des exclusions intégrées et dites par un « je » qui ne connaît pas la chronologie, et rencontre des sons qui ne collent pas encore aux sens : « Je m’intéresse aux ‘meurtrières’ et aux ‘oubliettes’ ». La fable évolutionniste est rejetée. On est dans l’instant, dans un présent dilaté qui n’a pas encore accès au futur et à la projection. Ce savoir branché sur la sensation y est d’une immensité effrayante. Tout se sait par intuition : la mort et son goût de cendre, le sexe caché en des chambres toujours plus noires, le dressage que constitue le système scolaire, la famille comme le lieu d’aliénations reproduites. L’enfant, étiqueté par les adultes, déchire le signe : dans sa langue en résistance, le signifié échappe toujours au signifiant, et le signifiant s’échappe de signifié en signifié. Rien n’échappe à la vigilance d’une gamine effrontée, même dans son silence et sa retenue. Elle a affronté le monde des grands, et la grande qu’elle est devenue affronte désormais une langue qui a perdu de sa hauteur. Dépliée, amincie, surfacée, dévolumée, c’est une langue tapie dans la langue qui dit la justesse des apparitions, et leur persistance malgré les années. Quelque chose noir n’en finit pas de surgir et n’a pas encore de mots. L’enfant pas plus que l’adulte ne peut identifier cette masse d’angoisse : « Jusqu’à ce que je ne bouge plus pour toujours ». Interminablement, l’enfant a peut-être crié ; l’adulte casse la syntaxe, supprime les connecteurs, et ce quelque chose, s’il n’a rien perdu de sa noirceur mutique, a gagné en clarté vibrante et expressive.


Remarques pourrait être le sous-titre de ce fragment d’autobiographie plate : l’histoire de l’enfance se superpose à l’invention d’une langue au plus près d’une conscience devinant les mots, et les déviant vers un « milieu » insituable. Entre ici et là, hier et maintenant, eux et moi, lui et je, la chambre offre son espace physique et métaphysique.


Anne Malaprade, Poezibao , 22 décembre 2011

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