— Paul Otchakovsky-Laurens

Le Fauteuil de Bacon

Sébastien Brebel

Le narrateur aménage dans une chambre d’immeuble, au retour d’un séjour à l’hôpital psychiatrique : une nouvelle vie commence pour lui, une vie qu’il a souvent imaginé de vivre (dans une chambre comme celle-là), où ne l’attendrait rien ni personne. Enfin seul ; nul projet, et une vague promesse de réconciliation avec soi-même. Mais la solitude ne dure pas longtemps : deux étages plus-bas vit Sauvage, rencontré un soir, retrouvé les soirs suivants dans le petit salon rempli de livres – un locataire énigmatique, tourmenté, plus solitaire encore, occupé à la traduction d’un dictionnaire médical. Est-ce...

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Traductions

USA : Darkey Archive Press, traduit par Jesse Anderson sous le titre "Francis Bacon’s armchair"

La presse


Un fauteuil sans pieds


Le deuxième roman de Sébastien Brebel est aussi étrange, prégnant que prenant. Récit d’un face-à-face, où l’écriture se joue d’elle-même.


De quel Bacon s’agit-il ? De Francis. Mais lequel, le philosophe ou le peintre ? Il s’agit du peintre, on va voir pourquoi. Le fauteuil dont il est ici question n’est guère plus qu’un fauteuil à accoudoirs. Celui qui l’occupe, en revanche, lui est un peu spécial; étrange personnage que ce dénommé Sauvage, et du reste bien nommé. L’homme vit en effet reclus chez lui, retranché au milieu des livres s’écroulant, semblant ne faire qu’un avec son fauteuil. Hiératique et figé sur son siège, il fait penser à ce pape, Innocent X, que Francis Bacon avait représenté, souvenez-vous, cloué au fond de sa chaise pontificale. Entres les deux il y a une ressemblance indubitable quoiqu’elle demeure inexplicable pour le narrateur, voisin du dessus : « Qu’y avait-il de commun entre la silhouette imposante et débonnaire de Sauvage, dont la chair semble prisonnière du fauteuil qu’il ne quittait jamais (sous aucun prétexte) (plus exactement : dont je ne l’avais jamais vu s’extraire) et celle du pape à l’agonie qui était maigre et voûté, recroquevillé sur sa chaise pontificale ? […] Je finis par conclure que l’association qui s’était faite en mon esprit tenait du miracle. » Ce sauvage, dans sa manière d’être, en impose : il a quelque chose de massif, de granitique. Chaque jour, le narrateur descend de sa chambre et s’entretient en colloques interminables avec ce locataire de plus en plus valétudinaire. De leurs vies respectives ils se parlent, et s’installe, nuit après nuit, une troublante complicité. Si Sauvage est étrange, le narrateur ne l’est pas moins. L’un comme l’autre paraissent obsédés; le premier par les maladies orphelines qu’il étudie, l’autre par son état maladif, vague solipsisme mélancolique. Chacun à sa façon est malade. Sauvage l’est comme on le dit trivialement des êtres qui sont un peu hors normes. Quant au narrateur, il semble mentalement instable, tourmenté par une idée fixe : recommencer sa vie. Seulement voilà, il est tenaillé par le souvenir de Cathie, son dernier amour croit-on comprendre. Il voudrait exister autrement, mais en lui persiste donc quelque chose de l’ancienne personnalité qu’il est, bref son passé ne passe pas. À ne pouvoir oublier cette Cathie, cette vie nouvelle appelée de ses vœux se refuse à lui, il ne peut tourner la page définitivement. Ce qui nous fait tourner la page, nous lecteur, c’est l’ambiance, mélange de suspicion et de suspens, on ne sait trop comment dire, quelque chose de spongieux. Pesante, cette atmosphère intrigue. Tout ceci, ces rencontres, ces causeries nocturnes, serait-ce le fruit de l’imagination dérangée du narrateur ? Est-ce divagation ? Saura-t-on jamais vraiment… En tout cas, les âmes entrent en commerce obscure, autour de cette Cathie notamment, de ce qu’elle représente, chimère, fantôme ou fantasme. Le face-à-face finira aussi étrangement qu’il a commencé.


Sébastien Brebel déroule ici, comme déjà dans son premier roman Place forte (P.O.L, 2002), une phrase toute en reprise et en répétition. Jamais le lecteur ne s’y perd, ce n’est pas une écriture contournée, mais qui se contorsionne sur elle-même. Continûment la phrase est repiquée, recousue, précisée en son cours, et notamment à travers des parenthèses qui tantôt rapiècent la pensée, tantôt l’approfondissent, accentuation et atténuation du propos c’est selon. Certes secouée, la syntaxe ne trinque cependant pas trop. D’être ainsi tortueuse, on se demande si elle n’est pas la traduction écrite de l’état mental confus du narrateur. Autant qu’on sache, Brebel est, dans la vie, professeur de philosophie et son écriture témoigne à sa manière de cette expérience. N’est-il pas au nombre des tâches du professeur, dans sa quête d’intelligibilité, de moduler, de remodeler, de reformuler son propos à tout instant pour en minimiser l’approximation, pour approcher au plus près d’une juste formulation ? Dès la sortie de Place forte, on a pu dire qu’il y avait du Bernhard en Brebel. Ce livre-ci confirme : un Bernhard à la française, mais plus fragile, mais bien plus fébrile.


Anthony Dufraisse, Le Matricule des Anges, mars 2007



Auteur d’un audacieux premier roman, Place forte (POL, 2002) écrit dans les parages de Thomas Bernhard, Sébastien Brebel poursuit sa recherche avec ce très dérangeant roman philosophique. Le récit laisse entendre et résonner, avec une puissance rare, la vois d’un narrateur plus qu’il ne met en situation un personnage ou une action. La pièce où est installé le porteur de cette voix devient ainsi la chambre d’écho de ses pensées obsédantes et de ses souvenirs. En face de lui, Sauvage, tel l’Innocent X peint par Francis Bacon, « défie les lois mouvement » et celle du temps…


Patrick Kechichian, Le Monde, 30 Mars 2007



Un drôle de livre obsessionnel et philosophique, à la limite de la folie de son héros


Le premier livre de Sébastien Brebel, Place forte, était un drôle de récit ressassant, pervers et original, même si l’ombre de Thomas Bernhard s’y laissait facilement deviner : un roman fait d’un seul tenant, où la pensée donnait cette impression étrange de s’écrire soudain à vif, soudain visible dans les circonvolutions de la syntaxe. Le Fauteuil de Bacon prolonge aujourd’hui cette expérience, avec une pointe discrète d’auto-ironie : le « fauteuil » du titre, s’il n’est plus « à oreillettes » comme dans Des arbres à abattre,fait en effet immédiatement penser à l’irascible maître autrichien, auquel Brebel rend ainsi un nouvel hommage malicieux. Le fantôme de Bernhard continue donc de hanter ce roman bizarrement philosophique, qui avance à coups de répétitions et de parenthèses emboîtées : nous sommes dans l’espace d’une parole et d’une pensée, prisonniers du monde maniaque que nous impose un narrateur à mi-chemin de la folie et de l’extrême lucidité.
Cet homme vient de quitter l’hôpital – évidemment psychiatrique – pour se retrouver dans une chambre, au quatrième étage d’un immeuble moderne, à la périphérie d’une grande ville. D’un enfermement à l’autre, tout pourrait aller pour le mieux (ou le pire), si notre antihéros n’avait pas un voisin, Sauvage, pour le tirer de sa solitude… Sauvage est un traducteur en fauteuil, qui travaille sur un dictionnaire des maladies orphelines, écoute des disques Deutsche Gramophon et va partager peut-être les élucubrations amoureuses du narrateur sur une certaine Cathie, croisée naguère à l’hôpital.
L’argument peut sembler mince, mais l’art de Brebel réside dans sa façon de maintenir une tension assez envoûtante entre des détails, des analogies, des obsessions. Sauvage ressemble par exemple au pape Innocent X, tel que l’a peint Bacon d’après un tableau de Vélasquez : cette ressemblance restera inexpliquée, réclamant du lecteur qu’il recompose à partir d’elle le sens général de la fable, où les références à Knut Hamsun pourraient bien servir de clé… Mais rien n’est sûr avec Brebel : c’est la première qualité de cet écrivain décidément singulier.


Fabrice Gabriel, Les Inrockuptibles, 30 janvier 2007


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