— Paul Otchakovsky-Laurens

Un nid pour quoi faire

Olivier Cadiot

Cour royale en exil à la montagne cherche conseiller image, chambre tt cft dans chalet atypique, artistes s’abstenir, envoyer prétentions.
Voici l’annonce qui déclenche ce roman. Une dynastie en fuite ? au ski ? Le château n’est plus qu’un chalet. Le système de la cour se réduit à des histoires de famille. On y croise un chambellan devenu commercial et un Roi déprimé perdus dans l’histoire, mélangeant héraldiques et logos, entreprise et droit divin. Un professeur de ski ? un analyste ? un décorateur ? un confident de tragédie ? un publicitaire ? un chasseur de tête ? on ne sait pas bien ce qu’ils...

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La presse

Cadiot de Noël



Veut-on lire une forêt ? Ou un cristal de neige au microscope ? Préfère-t-on s’ioniser et devenir flux d’échange entre synapses et à toute berzingue ? C’est dans ce roman qu’il faut demeurer, "on mélange ces petites sensations aux images extraites des livres, on colle bout à bout ces scènes éparses, on se les repasse mentalement à des vitesses différentes, comme ça, on élimine les bavures, on lime les bords pour ajuster le puzzle, et voilà deux trois petits bouts d’histoires privées qui font un monde, la lorgnette regardée à l’envers" (art poétique à moitié pour rire). Il y a des aiguilles et de l’humus, on s’enfonce dans la ramification, ça fond sous la langue la forêt est noire, Lenz traverse la montagne fractale à la page 57.
C’est l’histoire d’un roi en exil, comateux sous le blanc tapis de l’hiver, coincé là "pour l’éternité", à moins que cette neige ne soit une poussière d’après la fin du monde, d’une fin des arrière-mondes, ambiance de mythologie nordique, "ça grimpe tellement vite qu’on se sent immobile, les falaises enneigées défilent au ralenti, je suis dans la neige encore, mon coeur est dans la neige". Les rituels de sa cour sont typiquement versaillais et les courtisans, installés dans un chalet de station de ski, sont logés à "850 euros par personne pour 12 m2 à quatre lits superposés". Le roi attend la venue du prince qui le réveillera, en l’occurrence le narrateur, embauché comme "conseiller image" pour redorer son soleil déclinant. Parmi les voix qui hantent cet étrange univers domine celle de Goethe (de son vrai nom Goth), "conseiller communication" déblatérant des horreurs ultralibérales, à la fois "très réactionnaire [...], tout en étant progressiste, c’est compliqué", ambivalence qui justifie en quelque sorte son rapport au poète de Weimar. Cadiot semble en avoir fait la figure même de notre libido politique actuelle : il "n’a même plus cette terreur d’être pris pour un collabo, le gars relit l’Histoire à l’envers sans complexe, révisionniste anti-utopie [...], en même temps, c’est passionnant d’observer comment on met un siècle à détricoter le siècle qui précède tout en tricotant le prochain. Avec la même laine".
Il n’y a pas que Goethe cependant à se faire entendre, le roman de Cadiot est comme à l’habitude mieux que polyphonique, "on dirait un opéra, c’est un cauchemar" mais puissamment comique, traversé de billevesées recueillies ici et là, tel étrangement le "si je suis en situation" qui ouvre toutes les phrases de Ségolène Royal. S’y ajoutent des commentaires du narrateur, jamais à prendre au sérieux, puisqu’il est gentiment schizo (en vertu de Louis Marin, le corps du roi étant double, une de ses moitiés est le narrateur), mais tout de même, dans la gueule de ses contemporains post-bidule : "Vous vous croyez supérieurs, les premiers à avoir de la distance, les premiers à qui rien n’arrive, vous oubliez que l’Histoire se fait sans se connaître." Un nid... est un opéra surtout par l’utilisation de la vitesse, du slalom, des cadences (on entend Cadiot lire quand on le lit, on se rappelle les mises en scène de Lagarde) et, comme chez Messiaen (d’une intégrale duquel le narrateur rêve, en quatorze heures d’affilée), par la présence de personnages rythmiques, par des variations sur des cellules métriques. Des effets drôles en sortent, comme dans ces bouts de discours de Goethe : "Vocalises/ mu-mu-mu-es-li/ Et ça repart/ tristesse-gesang/ On dirait qu’il parle en verticale/ L’anorexie/ gnagna/ Mu-uu", ou dans quelques moments de sadisme bien senti : "Une scie, un marteau/ de l’eau froide, de la mie de pain, basta/ Serre les dents, on n’a plus d’éther".
Parmi les myriades de remarques notées, de références, de croisements (Pelléas appelle Proust, la course à pied Georges Perec et la Toyota le fantastique, on n’en finit plus de circuler entre ces agencements, la moitié nous passe par-dessus la tête, mais peu importe), un bon flot concerne la nature de la poésie avec, en pièce maîtresse, une intervention de Bossuet lui-même. Mais ce sont aussi des fâcheux qui reprochent sans cesse au narrateur de ne pas s’inquiéter suffisamment de l’émotion (ils réclament, en réalité, des clichés) ou même le club d’écrivains auquel il appartient qui vient kafkaïesquement lui annoncer un matin qu’ils en ont marre de ses "histoires de Retour des îles".
Puisque notre héros est encore une fois Robinson, personnage-fétiche de Cadiot, poète insulaire avec ses bouts de ficelle pour habiter le monde, non pour aller sur une île (possibilité d’) mais pour en revenir. C’est le sens du titre : durant son voyage d’hiver, le narrateur-roi mélancolique trouve un nid à taille humaine, mais il ne souhaite pas que quelqu’un l’attende quelque part (pour quoi faire). Ce nid-là est un appel, au contraire, à s’expulser de soi et tout le travail du roman est antidépresseur. Sans effets secondaires alourdissants.


Éric Loret, Libération, 4 janvier 2007




Lisez Cadiot!


Iconoclaste, ce trublion manie avec une virtuosité toute musicale les mots et les situations les plus loufoques. Portrait d’un écrivain (de plus en plus) populaire


S’il a intitulé l’un de ses romans Le Colonel des zouaves, c’est peut-être qu’Olivier Cadiot cherchait la meilleure façon de se définir. Poète, dramaturge et romancier, cet hurluberlu est en effet le chef de file d’un groupe d’écrivains tout aussi farfelus, qui jonglent avec les mots comme des gamins s’amusent avec des briques colorées. En retour, grâce à une imagination débordante et une prose ludique, Cadiot nous fait retrouver notre naïveté enfantine, le plaisir régressif de jouer à Robinson - son héros fétiche - la joie d’endosser une panoplie. A tous les nostalgiques de ces douces sensations, on recommandera chaudement le dernier (et hilarant) roman de ce trublion, Un nid pour quoi faire.
Né à Paris en 1956, Olivier Cadiot fait paraître en 1988 un petit recueil de poèmes, L’Art poétic’, immédiatement salué par les amateurs du genre. L’année suivante, son ascension continue avec la rédaction du livret de l’opéra de Pascal Dusapin Roméo & Juliette. Outre la poésie et la musique (il travaille avec des gens aussi variés que Rodolphe Burger, Alain Bashung ou Georges Aperghis), ce grand enfant écrit des romans et des pièces de théâtre. Ou, plus exactement, des romans qui ressemblent à des pièces de théâtre et inversement. Tous ses textes se singularisent dans le paysage littéraire par la vitesse des mots, la musicalité du langage et, surtout, un univers insolite. Cadiot sait très bien nous faire rire et rêver avec l’histoire d’un majordome-jardinier-cuisinier devenu espion (Le Colonel des zouaves), un lapin vert fluo (Retour définitif et durable de l’être aimé) ou le déjeuner d’une fée chez la femme de lettres Gertrude Stein (Fairy Queen). Le succès "branché" est à chaque fois au rendez-vous : ses lectures au théâtre de la Colline font salle comble, ses romans sont étudiés à l’université, ses pièces sont traduites et montées dans le monde entier. Il ne manque désormais à Olivier Cadiot qu’une reconnaissance du très grand public. Ce qui tombe bien, car Un nid pour quoi faire, son nouveau roman, est probablement son livre le plus accessible.

Il était une fois, dans un royaume imaginaire, un Roi et sa cour en exil, réunis dans un chalet à la montagne - faute de château. Sentant ce petit monde vieillir, le monarque décide de réformer le droit et, surtout, de rajeunir la communication de la dynastie.

Une parabole poétique sur le pouvoir.

Que faire? "Supprimer les blasons sur les voitures, les luges, les bobsleighs des princes"? Ecouter les conseils de Goethe, son conseiller à la fois "réactionnaire" et "progressiste"? Disserter sur les oranges pressées ou les skis bien fartés? Le Roi passe alors une annonce pour trouver l’homme providentiel. Ce messie prendra les traits d’un vieux de la vieille, un Robinson aux idées bien arrêtées sur le programme de reconstruction, qui "applique les techniques de chasse au management, et le marketing à la botanique". S’ensuivent des aventures picaresques et de nombreux morceaux de bravoure.

Construit comme une montée en téléski suivie d’une descente tout schuss, Un nid pour quoi faire peut surprendre. Dans ses premières pages, les voix s’entremêlent, les règles traditionnelles de ponctuation sont volontiers bafouées, les indications sensorielles se glissent dans les songes des personnages. Mais, loin de nuire au récit, ces singularités créent une atmosphère magique. Jusqu’à la fin de cette parabole poétique sur le pouvoir, Olivier Cadiot impose une cadence infernale à son histoire. Alors, Un nid pour quoi faire? La Compagnie créole répondrait: pour faire "rire les oiseaux". Les animaux sans plumes aussi!


Baptiste Liger, L’Express, 4 janvier 2007




C’est dans les livres qu’on parle vraiment


" Cour royale en exil à la montagne cherche conseiller image, chambre tt cft dans chalet atypique, artistes s’abstenir, envoyer prétentions"


Un ex-Robinson, champion de saut à skis, reprend du service auprès d’un monarque éclairé dépressif. Le roman d’Olivier Cadiot rejoue la fiction de l’oeil neuf avec des ingrédients inédits : le politique, le burlesque ou encore le paysager. Et des montages étranges : brainstorming appliqué au système de cour ? Château en réduction dans chalet suisse ? Louis XIV et la jet-set ? Rousseau aux sports d’hiver version western ? Kill Bill romantique allemand ? Sade burlesque ? Suivez le guide. C’est d’ailleurs un cocktail spécial que propose le Roi au petit déjeuner de travail dans sa "théorie générale de gouvernement pour tous" : "On n’est plus Roi aujourd’hui si on ne combine pas l’ensemble des couches sociales, il faut devenir une résultante de tous, voyez, comme on se fait un milk-shake, mais c’est ça, hurlant, c’est ça, un mixer (...), oui, on écrase les désirs de chaque classe en un seul jus banane fraise (...), c’est ça qu’on veut, nous l’aurons." Le roman mode d’emploi ?

Car c’est un vrai roman. Là où Retour définitif et durable de l’être aimé et Fairy Queen ménageaient des moments de poésie isolés dans la fiction comme des ralentissements ou des pauses narratives, Un nid pour quoi faire semble cousu d’un même tissu romanesque qui change parfois de couleur. On ne voit pas les poèmes. Ou alors des éclats, des appels d’air de la prose qui s’éparpille d’un coup pour se rassembler ailleurs, autrement. Des bouts de chanson en vertical : "Je suis poète/ça y est/Je vois tout en fragments/Mais relié/c’est beau/Tranche de nuage/Dong/Dong/cloches, sept fois." C’est une drôle d’architecture, une fausse ruine, "anglo-chinoise", comme l’image centrale du livre : un nid à taille humaine, installé sur un arbre."Je pourrais le faire en souple", rêve le héros dans la campagne, "avec des branches de saule bien molles (...), on entrelace des lianes (...), on brode sa maison, on greffe des arbres à fruits". Un livre souple, voilà l’idée. Trouver une forme, une phrase, suffisamment généreuse et accueillante pour comprendre, articuler des régimes de parole différents (pensées, sensations, décor, etc.). Un roman, donc. Mais bizarre.

"C’est dans les livres qu’on parle vraiment", dit le narrateur de Retour. Et tous les personnages ont ici encore un problème de réglage de parole : le roi a la maladie de la digression, les ducs parlent mal, le narrateur parle trop ou bien il est muet. Le moteur de la fiction est plus que jamais lié à la création d’une langue orale dans le livre, d’un grain, d’une légèreté. Car enfin et surtout c’est un roman comique. Un sourire ou un tremblement dans la voix. Selon. Comme on cherche à la radio la bonne distance au micro, une intimité de la parole "à domicile", avec ses respirations, ses blancs, ses accélérations. Du "yoga-mots", s’écrie le héros sur son tapis de sol, "Gymnastique, hop, détendons-nous, on parle en respirant, on expire ses mots, on fait sa gymnastique de mots". Ça parle, c’est du Cadiot.


Aurélie Djian, Le Monde, vendredi 12 janvier 2007




Le fou du roi


Un roi s’exile en Suisse et cherche un conseiller en communication… Une satire de l’actualité politique ? Olivier Cadiot slalome dans la poudreuse de l’air du temps et la glace des souvenirs.


L’année 2007 devrait être, dit-on, sombre pour la lecture - donc pour les libraires, les éditeurs, la presse littéraire, bref pour nous tous. La raison ? Tout le monde ne penserait plus qu’à l’élection présidentielle, les auteurs en oublieraient d’écrire te les lecteurs de lire… Drôle d’affaire, dont on pourra pourtant se sortir en s’épargnant les énièmes biographies de la reine Ségolène, de son nain Nicolas ou du chambellan Bayrou. S’il est en effet un roman qui mérite de survivre dans le marasme éditorial qu’on nous promet, c’est celui d’Olivier Cadiot, Un nid pour quoi faire.

Outre que son titre peut prendre les allures facétieuses d’un intitulé de programme électoral, ce livre inclassable doit être considéré comme la plus intelligente - et surtout la plus drôle - des contributions au débat politique qui s’engage. Non pas bien sûr que l’auteur se perde ici en conjectures électorales - Un nid pour quoi faire est un vrai roman littéraire, foutraque et foisonnant, plein de personnages et de situations cocasses -, mais son sujet emprunte tout de même beaucoup à notre (triste) réalité. Qu’on en juge : un roi est en exil - comme un président en villégiature ou une candidate en vacances… Cet exil est doré, ou plus exactement enneigé : c’est un luxueux chalet " bavaro-basco-béarnais ", où se presse une foule de conseillers et de parasites, parmi lesquels un certain Goethe, dont la fonction de " conseiller communication " résume bien la personnalité, cynique et volubile, de vendeur de vent.

Nous sommes donc chez un Saint-Simon ultracontemporain, où le rôle du mémorialiste sera tenu par une sorte de narrateur-intrus, " conseiller image " revenu de la jungle et conscience ambiguë de cette fable chorale, où les voix se chevauchent avant que le suspense ne s’organise. Risque-t-on de s’y perdre ? Ce n’est pas grave, c’est du Cadiot : une machine textuelle qui recycle tout ce qu’elle attrape, à partir de quelques leitmotives et gimmicks pétaradants. Ici, c’est l’hiver qui offre ses pistes, blanches comme des pages, au slalom en prose de l’écrivain en grande forme : on godille d’un personnage à l’autre, d’une référence qu’on devine à une autre qu’on soupçonne, en attendant que l’avalanche d’un grand rire ne nous porte ailleurs, vers le rêve d’une île lointaine, peut-être.

Car il y a aussi de la mélancolie dans cette comédie un peu folle du pouvoir en déroute ; le roi se dédouble te nous parle, il existe comme un héros fatigué de Ionesco, l’agonisant d’un monde qui continue d’exister pour la forme, dans le décor d’une station où l’Histoire est désespérément au repos. Il faut alors réapprendre à skier, inventer un nouveau nid, redescendre de la montagne…

Mine de rien, Cadiot nous donne à réfléchir sur un certain état de nos sociétés : ses émigrés ne sont pas d’hier, même si leur cour emprunte au folklore des dynasties d’antan. Ce qui l’intéresse surtout, dans une telle troupe de dauphines et de valets bavards, c’est l’énergie qu’il peut y faire circuler, jusqu’au " coup de théâtre " d’un court-circuit salvateur.

À cet égard, il est difficile en lisant Un nid… de ne pas penser au travail pour la scène mené avec Ludovic Lagarde : monté au théâtre de la Colline, Retour définitif et durable de l’âtre aimé fut, par exemple, l’un des spectacles les plus formidables qu’on ait pu voir ces dernières années… Du coup, on se met à rêver déjà d’une adaptation de ce nouveau livre, dont le dispositif semble avoir naturellement intégré les expériences théâtrales de l’auteur, tout en imposant un espace de lecture original. Le chalet textuel d’Un nid… est en effet une sorte de Sigmaringen ludique, où Cadiot remixe à sa façon D’un château l’autre (qu’il cite) et Féerie pour une autre fois : ça fuse, ça pulse, ça parle, sans le ressentiment de Céline, mais avec le souvenir d’un Robinson revenu de son Voyage au bout de la nuit, et un sens du rythme qui nous renverse souvent.

À l’horizon de ce drôle de récit qui fonce en zigzag, il y a bien le rêve d’une musique en mots : quelque chose qu’on peut appeler la poésie, ou l’opéra, et qui est plus simplement une manière de renouveler le roman.


Fabrice Gabriel, Les Inrockuptibles, 16 janvier 2007





Cadiot a rafraîchi la poésie à coups de samplings façon techno, puis a appliqué cette grille d’écriture au roman (le brillant Colonel des zouaves). Trois autres livres et bien des fulgurances pus tard, l’un de nos auteurs les plus contemporains s’attaque à un mal français : le roman autobiographique. On ne comptera pas sur lui pour l’autocomplaisance habituelle. On est d’emblée dans la métaphore : un roi (et sa cour grotesque) en exil en Suisse qui cherche un conseiller en image… Avec ses longues phrases hachées pour mieux aligner à toute vitesse de segments aux tonalités différentes (chaque paragraphe ressemble à une mini-nouvelle), Cadiot mêle à toute berzingue tous les registres. On passe du burlesque à la gravité en une seconde, et l’humour est constamment contaminé par la mélancolie : la mort d’une sœur.


Vogue, 22 janvier 2007




Toute la cour de Versailles dans un chalet suisse


Une cour en exil dans le chalet d’Heidi. Deux siècles après le tsunami qui a détruit la principauté de Monaco. Royauté ridicule d’un souverain sans royaume ni sujet, qui s’épuise en intrigues de palais, il faut régénérer tout ça. Un conseiller en communication est recruté par petites annonces et c’est Robinson, héros récurrent des romans d’Olivier Cadiot, qui passe l’entretien d’embauche. Dans cet univers confiné, où les radotages nobiliaires et les élucubrations de la com en folie se heurtent, se recouvrent, se contaminent, un huis clos délirant va se nouer, farces et tragédies se succéder. Généralement classé parmi les " fantaisistes ", Olivier Cadiot compose avec plus de rigueur qu’il n’y paraît un roman dont la trame narrative ne se découvre que progressivement, mais où le discours du pouvoir, fonctionnant à vide, se donne à entendre, nu. La dérisoire ambition littéraire d’un prince piqué de littérature, flanqué d’un Goethe ministre et d’un Bossuet conseiller en poésie, n’accouche que de clichés, prétextes à un " art poétique " toc. Les tentatives de modernisation débouchent sur un cauchemar fascinant. L’univers de neige, mixte de Gstaad et de Grimm, est féerique et impitoyable. A sa manière, la légèreté de ce livre, où le seul roi est le langage, nous renvoie à un monde qui pourrait demain être le nôtre. Une lecture qui, à sa manière, est aussi une aventure.


Alain Nicolas, L’Humanité, 18 janvier 2007




Cadiot de rentrée


"On se régale de cette prose hyperactive et très concrète, toujours au présent."

"Il y a là tout à la fois de la satire et du conte, Robinson - personnage récurrent -, des paysages de cartes postales et des choses plus personnelles."

"Cadiot prend l’écriture très au sérieux, mais commeUn gai savoir."


Odile Quirot, Le Nouvel Observateur, 25 janvier 2007




Retour précaire de Robinson



Un nid pour quoi faire", la forme la plus romanesque écrite à ce jour par l’auteur très stimulant et inventif Olivier Cadiot, déroule un parcours initiatique hivernal d’un Robinson perdu entre nature et culture.


Road movie aux mouvements montants, descendants à travers des paysages de montagne, de campagnes, et finissant sur une île. Roman familial et Histoires d’une famille royale exilée dans un chalet Suisse. Le narrateur, un héros dérouté, le récurrent Robinson (le personnage mythique qu’affectionne Cadiot ), se cherche. Cherche une place. Où exister. Où s’enraciner. Avant de devenir conseiller en image d’un Roi en quête d’idées nouvelles, Robinson, vivait une non-vie. Solitude. Dépression. Décrochage social. Son frère débarque. Deux frères très différents : "on est un peu comme deux jumeaux séparés à la naissance, l’un des deux confié à une tribu d’Amazonie, pour prouver que la culture a quand même de l’importance par rapport à la nature, c’est moi, et l’autre, resté une cuillère d’argent dans la bouche, devenu le comble de son monde d’origine, un pur fêtard accepté dans un club de gentlemen (...)". Une sœur, Pauline, paumée et évanescente, à laquelle le narrateur voue un amour contre nature (?), s’invite flanquée d’une ribambelles de créatures fêtardes dont Cadiot à le secret de la description. La famille le pousse à partir. À recommencer à zéro. Embarquement dans une voiture, "ma Toyota est Fantastique", pense le narrateur transformiste, et rencontre un amour potentiel Susan, "elle me pose son sexe sur la bouche en se soulevant, comme un pont tournant, avec le grincement de chaînes en moins, un corps sur vérin hydraulique, elle est jolie".

Poétic’, Comic’, Politic’.

Mais dans un chalet Suisse, un roi - double de Robinson -, l’attend afin de promulguer conseils, et faire jaillir les idées. Pourtant, d’idées farfelues la cour royale n’en est pas à cours. Elle en jouit, souvent, prises par des logorrhées continuelles. Ca parle sans cesse à haute voix et / ou dans la tête ; ça digresse, les paroles galopent avec jubilation, sorte d’opéra joyeux. Les phrases farfelues, font sens et s’achèvent sur des détails entraînant des rires inattendus pour le lecteur. Le langage est jeu, refuge, fuite, pouvoir ; la dynamique folle, brillante, se suspend, se ralentit parfois. Si les situations cocasses virevoltent - la scène sado-maso entre le Roi et le nouveau conseiller qui révèle le souverain est un climax -, Cadiot est un inventeur incomparable de personnages. Ces derniers, non moins incomparables, explosent de drôleries : déjantés, extrêmes, pathétiques, bavards impénitents, les personnages se succèdent, rocambolesques, fous, absurdes. Goethe, le vieux conseiller du roi, dit : "je finis par parler en slogans, j’ai tellement de problèmes que j’ai tendance à simplifier les réponses". On rencontre entres autres Bossuet, le poète du Roi, des Duchesses, deux Dauphines et un prince obèse.

Permission absolue.

Si les voix comiques de la famille royale mixent éléments de notre politique actuelle - on frôle la parabole politique -, vocabulaires moyenâgeux, références connues, concepts sociaux, ce qui nous rend d’ailleurs cet univers familier, l’étrange, l’onirique, ou le ravissement inquiet, font naître le conte. Car, bien que l’humour maintient dans une excitation jubilatoire, une tristesse infinie, un désarroi étreignent les êtres et nous pénètrent. Puisque le départ à zéro vers l’autre vie, n’est-ce pas la découverte de l’identique, en pire ? Jusqu’à devenir un tyran violent. Où l’humain se cache t-il ? Sa trace, serait-ce ce nid à hauteur d’homme trouvé par Robinson dans une forêt, et qui l’obsède ? Parcours initiatique donc, mais pour revenir où ? Et pour y faire quoi, à l’arrivée ? Y a t-il évolution. Amélioration ? Cadiot a écrit un roman très inventif où les épousailles entres toutes les formes sont parfaitement à la fête : toujours musical, rythmé, aux images et assemblages de phrases recyclées, ce roman est très poétique. Sa prose rapproche les mots, les concepts improbables, et la poésie s’infiltre partout. Sans perdre toutes ses possibilités théâtrales, dans ce roman, on entend toutes les voix aussi bien intérieures qu’extérieures. À tel point qu’on rêve d’une "confirmation" théâtrale de ce texte par Ludovic Lagarde, le metteur en scène des textes de Cadiot. Avec Retour durable et définitif de l’être aimé, texte de Cadiot, le metteur en scène avait déjà créé (en 2002) une des propositions théâtrales des plus marquantes : spacialisation des voix des trois comédiens sur la scène et dans la salle, modification de leurs timbres, de leurs couleurs vocales : le son sculptait littéralement l’espace, créant un paysage sonore unique.


Séverine Delrieu, Le Petit Bulletin, 24 janvier 2007




Chalet royal


Comme toutes les histoires dignes d’être racontées, celle-ci mériterait, en guise de seuil, de porte d’entrée, l’expression consacrée : " Il était une fois ". Il était une fois quoi, au juste ? Il était une fois un roi. Si ce n’est déchu, du moins en exil. Un vrai roi néanmoins, flanqué de sa cour et de sa royale famille - dauphin, prince de sang, courtisans, poète officiel et chambellan. Pourtant, le roi autrefois eut un château, un vrai, " un château exceptionnel, un nid d’aigle, bon, passons, mille ans d’histoire pour se retrouver dans un chalet… ". Envolé le palais, sa galerie des glaces, n’en parlons plus, c’est du passé. Le souverain a trouvé refuge du côté de la Suisse, dans un chalet, donc - un grand chalet, certes, de quoi recréer " une principauté en réduction ", mais quand même…

Quelque chose ne va pas, dans cette retraite confortable, dans cette digne mais molle routine. Il est lucide, notre roi, il est moderne, et pour redorer le blason pour le moins terni de sa dynastie, " rajeunir l’image ", il sent bien qu’il ne suffit pas de ranger les armures et perruques au placard. Il faut une vraie stratégie, un maître d’œuvre à cette révolution de palais. Le voici qui passe une petite annonce : " Cour royale en exil à la montagne cherche conseiller image, chambre tt cft dans chalet atypique, artistes s’abstenir, envoyer prétention. " Il se trouve un homme pour répondre à l’appel. Robinson, il se nomme -comme souvent le personnage central des romans d’Olivier Cadiot -, et ce Robinson-là ne manque pas d’idées, pour ce qui est de servir le pouvoir, de communiquer - car c’est bien là le nerf de la guerre. Cette leçon-ci, par exemple : appliquer " les techniques de chasse au management, et le marketing à la botanique "… - il fallait y penser.

" Il était une fois "… Si Olivier Cadiot se passe ici du préambule commun, c’est que son roman - car roman il y a bien, virtuose et tonitruant, ludique et drôle - n’épouse pas les codes ordinairement appliqués au genre romanesque. Le classicisme ne fut jamais tellement le genre de cet écrivain né de la poésie, extraordinairement réceptif aux bruits du monde -langage de la rue et d’ailleurs, jargons publicitaire, politique, scientifique et autres, sons triviaux… -, en quête d’une forme littéraire susceptible de rendre compte de cet inextricable maelström sonore, de l’énergie qui le porte, de la confusion des discours et du sens qu’il engendre. Après Le Colonel des zouaves (1997), Retour définitif et durable de l’être aimé (2002) ou Fairy Queen (2002), de cette quête, Un nid pour quoi faire, roman polyphonique aux accents délicieusement théâtraux, semble une nouvelle variation -pour le lecteur, la plus accessible de toutes peut-être, car porteuse d’une réflexion patente et ironique sur le monde d’aujourd’hui, le mariage du pouvoir et de la communication. Prises de parole sages ou incongrues, scènes burlesques ou poétiques construisent ce récit qui, sans dramatiser ni se prendre au sérieux, regarde aussi du côté de l’enfance, du cauchemar, de l’effroi - un récit où, derrière le rire, on jurerait bien entendre gronder " le murmure des Ténèbres " qu’évoquait naguère Chateaubriand.


Nathalie Crom, Télérama, 31 janvier 2007









Et aussi

Olivier Cadiot GRAND PRIX SGDL DE LA FICTION 2021

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