— Paul Otchakovsky-Laurens

Le Gris

Nicolas Bouyssi

Ce premier roman met en scène un héros-narrateur plutôt perdu, marginal, désabusé et, tout de même, révolté. Il s’est délibérément écarté du chemin tracé, abandonnant tout travail salarié, habitant dans les appartements abandonnés de tours promises à la destruction, et vivant d’expédients, notamment de vol. C’est à dire qu’il a conçu un système de pensée qui implique qu’ il ne participe aucunement à la marche du monde tel qu’il est, qu’il refuse son économie et ses valeurs et qu’il va même jusqu’à le combattre activement. Ainsi s’est-il associé...

Voir tout le résumé du livre ↓

Consulter les premières pages de l'ouvrage Le Gris

Feuilleter ce livre en ligne

 

La presse

Loin du premier roman englué dans le pathos, Le Gris, de Nicolas Bouyssi, est un livre de résistance par l’inaction. Son héros est un marginal qui a choisi de quitter son travail, sa compagne, pour vivre seul dans une cité à l’abandon. Il s’est lié à un petit groupe informel qui vole les camions de livraison devant les supermarchés. Tandis que la bande pique dans les cageots de légumes en agressant les vigiles (pour avoir l’air de vrais mecs), le narrateur ne peut s’empêcher de rester en dehors de l’action, de contempler les scènes de violence dans le rétroviseur. Ce garçon n’attend rien tout en se cherchant, ni résigné, ni rempli de certitudes.


Une histoire d’autoportrait vient ponctuer le récit, comme si la peinture pouvait être la réponse à ses questions sur la vie, l’avenir, le déterminisme. Parfois, renoncer est un piège, une pose, mais il lui faudra du temps pour le comprendre et passer du gris au blanc. Plus encore que le propos, c’est l’écriture de Nicolas Bouyssi qui se révèle un combat contre le cliché et le faux-semblant social. Il joue avec le langage actuel, s’en défie, s’en amuse. Il parvient, avec une belle économie de moyens, à nous faire frôler l’abstraction, et fait mentir son exergue : « Le texte est idiot mais l’intention délicate. » Car Nicolas Bouyssi n’est ni idiot ni délicat, mais réellement intéressant.


Christine Ferniot, Télérama, avril 2007



Une réflexion sur les clichés « contestataires » et les vrais actes de résistance : le premier roman d’un écrivain à suivre.


« Le propos est idiot, mais l’intention délicate », assure Nicolas Bouyssi, 35 ans, dans l’exergue de son premier roman. Faux. Son propos est tout sauf stupide. Quant à l’intention, si elle est « délicate », c’est au sens « complexe » du terme : les questions soulevées par Le Gris, sur la possibilité d’une révolte, sur la place de l’individu dans le collectif, laissent le lecteur songeur longtemps après qu’il a refermé ce livre assez impressionnant.
Dans une ville anonyme, un narrateur qui se fait appeler tantôt Pierre tantôt Jérôme a abandonné son travail, sa petite amie et son appartement, et vit seul, dans une cité abandonnée, en se nourrissant de ce qu’il vole dans des camions de livraison avec trois autres marginaux. Mais si cette petite bande voyait au départ ses larcins comme un acte politique, l’entreprise ressemble de plus en plus à du gangstérisme pur, avec chef autoproclamé, actes de brutalité, défis débiles en virilité…


Ce que le narrateur cherche, c’est un moyen de marquer son opposition, de mettre à bas un système, de façon non violente, sans tomber dans ces poncifs protestataires. Que faire alors, à part résister par l’inaction, justement ? Mais, dans ce cas, comment trouver le bonheur pour soi ? On suit Pierre (Jérôme) dans les pensées qu’il tente de démêler, ses incohérences, ses fulgurances et la recherche de son moi à travers l’histoire parallèle d’un tableau. Le plus intéressant est la façon dont Nicolas Bouyssi, sous l’apparente simplicité de son écriture, mène une réflexion sur le langage de son époque, pointe du doigt les clichés par lesquels il désigne et affadit dans un même mouvement l’action protestataire sous prétexte de l’exalter (« faire bouger les choses »). Chaque phrase est un combat contre la grandiloquence vaine, chaque envolée – parce qu’il n’y échappe pas non plus – est immédiatement sanctionnée (« je nage dans le pathos »). Si une nouvelle forme de révolte doit émerger et ne veut pas être vouée à l’échec, il faudra qu’elle commence par se débarrasser de ses lieux communs, qu’elle invente un nouveau langage. Cette foi dans les seuls mots est la marque des vrais écrivains.


Raphaëlle Leyris, Les Inrockuptibles, 13 mars 2007



Vol à l’arraché


Saisissant coup d’essai de Nicolas Bouyssi, Le Gris annonce les débuts d’un écrivain.


Parfois, il suffit d’un rien pour que l’on choisisse un livre, surtout un premier roman. Le dénommé Nicolas Bouyssi, dont on ne sait rien ou presque, hormis qu’il a vu le jour le 21 mars 1972 en banlieue parisienne, publie ces jours-ci Le Gris chez P.O.L. Au dos du volume, l’éditeur, à moins que ce ne soit l’auteur, a juste fait imprimer ceci : « Un homme qui va décider un jour d’aller plus loin. » Ferré, le lecteur ouvre la chose, y découvrant en guise d’exergue, l’auteur, ce coup-ci, c’est forcément lui, a écrit : « Le propos est idiot, mais l’intention délicate. » Là, plus question de se défiler, il faut plonger dans le vif du sujet.
Lequel n’apparaît pas évident d’emblée. Un vieux château à la limite du Vergonnet, région inconnue de nos services, vient d’être restauré. Peinant pour s’y garer un an après sa réouverture, le narrateur de Bouyssi s’y rend seul afin de revoir une œuvre qui l’obsède depuis l’enfance. Il y a de quoi, l’œuvre en question, un autoportrait du XVIIe siècle, le représentait vers trente ans alors qu’il en avait à peine douze et que ses parents étaient encore vivants. « Dans mon souvenir, le tableau me peint le visage assez maigre, le col entouré d’une fraise élégante, avec une fine barbe, l’œil chargé de bonne humeur, luisant, libertin peut-être », nous dit-il.


Voici justement un curieux garçon d’un peu plus de trente ans. Il n’aime pas le prénom que lui ont donné ses défunts parents – au cours du roman, certains lui donnent du Pierre, d’autres du Jérôme –, touche le RMI depuis qu’il a laissé tomber son travail de stagiaire dans une boîte d’import-export, a rompu avec Anne, vit dans une tour sur le point d’être démolie, faisant croire aux jeunes filles qu’il loge à l’hôtel. Monsieur fréquente un petit groupe de marginaux qui pratiquent le larcin, dévalisant les camions de livraison. Il n’apprécie guère son époque, qu’il juge « défaitiste », son fonctionnement, son langage, ses codes et ses règles.
« Je fais partie de ces gens qu’on a nourris dans l’idée qu’ils ne vivraient rien, qu’ils ne penseraient rien, qu’ils subiraient, qu’ils arrivaient trop tard, que tout était réalisé et concrétisé ; que la réalité était devant eux, intégralement développée, et qu’il n’y avait plus qu’une chose à faire, vivre dans le virtuel, penser virtuellement, faire l’amour virtuellement, en attendant le triomphe annoncé des machines, en attendant la mise à sac de tout et la guerre civile, en attendant que tout explose et en nous culpabilisant de n’avoir rien fait, rien pensé, tout subi », lâche-t-il.
Notre homme, qui compte peu d’amis à part Vincent, un livreur de pizzas ayant adopté une manière radicale de protester, possède sa propre manière de se rebeller. L’inaction, la non-violence. Devenir neutre, invisible. En voici un semblant de définition : « Me défendre contre les assauts du siècle sans sombrer dans le prosélytisme, le militantisme, l’égocentrisme, l’arrogance, le solipsisme. Agir et ne pas agir ; offenser l’avenir… » Celui de Nicolas Bouyssi, s’il tient – mais comment en douter ? – les promesses de ce coup d’essai marquant, s’annonce particulièrement riche.


Alexandre Fillon, Livres Hebdo, 9 février 2007



Touchez pas au gris !


Il faut se méfier des textes de quatrième de couverture. Celui du Gris est on ne peut plus minimaliste : « Un homme qui va décider un jour d’aller plus loin. » Voilà qui servira de résumé laconique au premier roman de ce jeune trentenaire issu de l’art contemporain. L’amour de Nicolas Bouyssi pour la création plastique l’a sans doute induit à intituler son entrée en littérature du nom d’une couleur : Le gris. Idéal, pour une histoire qui penche vers le roman noir et une écriture calibrée pour la « Blanche ». Le héros-narrateur est un marginal qui vit du R.M.I. et de quelques petits braquages. Avec une bande de petites frappes vaguement anarchistes, il s’est fait une spécialité d’attaquer les camions livrant les hypermarchés. Cette activité n’a rien d’une vocation. Il n’y a pas si longtemps, ce garçon avait un travail, une compagne, une vie réglée. Et tout s’est détraqué. Un peu comme la mécanique du temps, qui vous joue des tours : Le gris débute sur l’évocation de l’autoportrait d’un peintre représentant… notre héros, à l’âge de trente ans. Mais ce dernier avait douze ans lorsqu’il l’a découvert ! Cette toile « déterministe » préfigurait-elle déjà le devenir de notre sous-gangster ? Et ce dernier saura-t-il lutter contre une histoire déjà écrite ? Il faudra, qui sait ?, compter sur les amis. Et sur les femmes. Quelque part entre le roman social et la fable existentielle à la Camus, Le gris restitue admirablement l’errance et les hésitations d’un individu piégé par son renoncement. Mais sauvé par l’écriture subtile de Nicolas Bouyssi, qui clôt son livre sur ces mots : « Autour de moi tout s’est abstrait; autour de moi tout était blanc. » Après Le gris, la lumière.


Baptiste Liger, Lire, avril 2007



Impasses de la révolte


Nicolas Bouyssi bouscule son époque dans un premier roman détonnant. Agir ou ne pas agir, telle est la question du Gris.


Aussi englué dans la solitude qu’un héros de roman noir, le narrateur de cette fiction a dévié du circuit métro-boulot-dodo : il a quitté femme, travail et appartement et a rejoint une zone grise, dormant dans des immeubles promis à la démolition et mangeant le butin de vols commis avec un « petit groupe informel ». Il vit dans un univers anonyme, où les seuls noms réels désignent des grandes chaînes commerciales, comme pour traduire notre impossibilité d’échapper à la dictature marchande.


À une époque où « trouver une idée » représente « le danger par excellence », la menace la plus forte à l’équilibre de la société, ce trentenaire s’est mis sur la touche pour élaborer son « projet » de vie individuelle et collective. Impossible heureusement de résumer en quelques mots ce projet, en perpétuelle définition, perméable au doute, susceptible de fulgurances et d’incohérences. Ainsi, une pensée en mouvement – en guerre contre les clichés qu’elle énonce parfois elle-même – porte ce récit étonnant, à la fois polar social et fable existentielle.


Obsession



Depuis l’enfance, le héros est obsédé par l’autoportrait d’un peintre officiel du XVIIe siècle, dont sa mère disait qu’il le « figurait dans l’avenir avec une ressemblance effrayante ». La prédiction étant vérifiée, la toile constitue aujourd’hui un miroir pour le narrateur; elle lui renvoie une image qui l’insupporte, celle d’un être dans « l’esprit du temps », cherchant comme tout le monde « à démoraliser la société ».


Ce roman est celui d’une prise de conscience et celui du refus de troquer l’obéissance contre la violence. Son anti-héros tente de se « défendre contre les assauts du siècle sans sombrer dans le prosélytisme, le militantisme, l’égocentrisme, l’arrogance, le solipsisme ». Et son auteur montre combien sont nombreuses les impasses de la révolte à travers une écriture pénétrante et novatrice, qui médite, interpelle, appelle à l’engagement et à la rêverie.


Élisabeth Vust, 15 mai 2007, www.24heures.ch



La propriété, c’est le vol


Il s’appelle Joseph, Pierre ou bien Jérôme, selon son interlocuteur, selon le sens du vent. Il avait pas mal d’amis, et puis une compagne douce et charmante avec qui il tentait de construire quelque chose. Et puis, brusquement, il a tout balayé. Il a tourné le dos à ses amis, ne se manifestant plus qu’à travers des cartes postales ridicules qu’il écrit dans le bruit des cafés. Il a poussé à bout sa chère et tendre, jusqu’à la rupture. Tout ça pour poser un sac de couchage et quelques livres dans un immeuble voué à la destruction, qu’il squatte en compagnie de quelques chats errants. Tout ça pour noyer ses doutes existentiels dans une bonne dose de solitude financée par le R.M.I. Comment s’occupe-t-il ? Il vole. Mais pas sans but : si lui, et plusieurs allumés, pillent des camions de livraison, c’est pour mieux mettre en évidence les impasses de la société de consommation. Et puis il y a ce tableau qui hante notre héros, un tableau découvert l’année de ses douze ans. « Toi dans quelques années », lui avait dit sa mère en contemplant cet autoportrait d’un peintre officiel du XVIIIe tombé dans l’oubli… Peu à peu, Joseph (ou Pierre (ou Jérôme)) finit par douter de tout, même de sa décision radicale. Et s’il avait tout faux ? S’il ne valait pas mieux que ce peintre oublié à qui il ressemble tant ? A moins que cette fille, cette Anouck que lui a présenté l’un des derniers amis qui lui reste, à moins que cette femme à la coupe de cheveux asymétrique donne enfin un sens à sa vie…


Un premier roman au style impeccable, aussi curieux que fascinant. Cette variation intéressante, érudite sans être prétentieuse, sur l’éternelle question « comment donner un sens à sa vie ? » se double d’un splendide portrait de trentenaire perdu dans une société qui le dépasse. Je vous le recommande chaudement, comme dirait l’autre – et surtout, ne lisez pas la quatrième de couverture…


jiraicrachersurvosblogs.blogspot.com