— Paul Otchakovsky-Laurens

Le Mouvement en montagne

Judith Elbaz

Le Mouvement en montagne est un livre sur beaucoup de choses.
Des couples de choses.
La mémoire d’une grand-mère qui disparaît et la persistance photographique.
La danse et l’écriture.
La poésie et la fiction.
À chaque fois on pourrait dire versus au lieu de et. L’homme versus la femme. Le premier livre versus le deuxième.


« L’archiviste était tombée dans l’attente, tout le récent dans l’oubli comme avalé. Par ailleurs on me demandait ce que je faisais. Quand je dis que je danse les gens disent Oh. Si je dis que j’écris ils font Ah et tout le monde est gêné. Alors le plus souvent je disais je...

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La presse

« J’écris ce qui me revient », annonce la narratrice dès les premières pages. Collection de phrases surgies d’une mémoire lacunaire ? Libre association ou logique du rêve ? « Ce sera bien ton livre sur la mémoire, dit quelqu’un. Ça donnera lieu à des trouvailles linguistiques. » L’écriture selon Judith Elbaz est fragmentaire. Curieuse de la danse comme de la fiction. Elle aime les ressources poétiques de la parataxe et les juxtapositions bizarres. « Perdreauville doit son nom à une abondance de perdrix. Nous n’en avons jamais vue une seule. Rêve de perdrix = grand amour, non partagé par vous. » Entre les lignes se dessine un portrait. Mais quelque chose tient. On lit par exemple : « Les roses sont à leur maximum. Plus ce serait des pivoines. » On explore un territoire. Un environnement littéraire relie peu à peu les impressions disparates. Une silhouette paraît. « Le paysage prend. »


Au. D., Le Monde des Livres, 29 juin 2007



Bol d’air


Judith Elbaz se joue de la typographie et de la syntaxe, déroulant ainsi une écriture vivante et vivifiante. Un texte jubilatoire aux pages un peu folles.


Le premier livre de Judith Elbaz s’appelait Colourful : il était foutraque et formidable. Le second, assez mystérieusement titré Le Mouvement en montagne, ne s’annonce pas mal non plus : « Si l’on tape le titre de mon premier livre, explique l’auteur, on découvre que « les internautes qui ont acheté cet article ont également acheté Triptyque de Claude Simon, et Un fantôme d’Eric Chevillard ». Il y a chez le chien une immobilité au cœur même du plus grand mouvement qui n’est rien d’autre que l’attente que quelqu’un soit là. Il est littéraire comme tout, et pictural, mais je ne le trouve pas cinématographique. »


La citation n’est pas trop longue, pour dire l’humour abrupt et l’art de passer du coq-à-l’âne chez Judith Elbaz, qui convoque et combine dans sa drôle de machine poétique toute une série d’éléments et de motifs hétéroclites – à commencer par elle même. On peut lire en effet Le Mouvement en montagne comme une sorte d’autoportrait familial, où il est souvent question de « ma mère » et de « La Picardière », une maison sise à Perdreauville, un hameau des Yvelines qui doit son nom à une abondance de perdrix… « Nous n’en avons jamais vu une seule », précise bien sûr la narratrice, farceuse danseuse qui préfère au récit d’enfance les entrechats et gambades d’un texte qui ne s’arrête jamais de jubiler, poussant la plaisanterie jusqu’au quasi calligramme, jouant sans cesse des accidents de la typographie, s’autorisant enfin toutes les licences possibles de syntaxe ou de ponctuation.


On ne s’ennuie jamais, dans cette espèce de work in progress en Technicolor, où l’in croisera pêle-mêle Ludmila Mikaël, Arthur Miller, Noël Mamère, Daniel Gélin et sa fille ou Jacques Derrida avec sa femme, « emmitouflés devant une auberge vraisemblablement allemande »…

Au-delà pourtant de ce facétieux name-dropping, dépassant le désordre et la drôlerie des situations, une figure singulière finit par s’imposer : presque un fantôme, qui circule à travers le vrac des pages un peu folles, mais un fantôme qui a un nom, ou un surnom de dame d’autrefois, « Vivette ». Cette présence assez intrigante, sur laquelle s’achève joliment le texte de Judith Elbaz, fait entrer un peu de Paris dans le livre, avec les bribes d’un quartier perdu, écho citadin et vaguement nostalgique au refrain récurrent des montagnes – les Pyrénées ou les Causses, paysages allusifs et bougés d’une photo qui restera toujours un peu floue.
C’est qu’il n’est pas forcément facile de suivre « le mouvement en montagne » : ça grimpe et ça cahote, on s’y perd souvent dans les lacets d’associations d’idées assez acrobatiques ; mais on y respire aussi un air de liberté franchement décoiffant. Quelque chose comme le souffle d’une écriture vivante, qui donne à partager ses enthousiasmes et ses culbutes : qui donne envie de danser.


Fabrice Gabriel, Les Inrockuptibles, 24 avril 2007