— Paul Otchakovsky-Laurens

La ville est un trou

suivi de Un jour - avec un cd de Un jour lecture par l’auteur.

Charles Pennequin

Quelle est cette affaire de trou qui nous anime ? Quelle est cette ville ? et l’affaire d’y vivre. Pour y creuser soi ? Soi-même est absent de toute ville. Ou alors il est entravé par sa posture, muselé dans ses tics et ses trucs. Il ne revient à lui que par la bande, par tout ce qui a été prononcé et qui aurait pu rester dans l’air. Je vis dans la nature insupportable de l’homme, la ville est son trou, son milieu naturel. Et c’est là-dedans, dans le milieu de la parole non parlée et des gestes larvés et des violences télévisuelles et du patronat et de la bêtise comme culture nationale, que je vis. Dans ce trou-là, cette fosse sceptique de tout ce...

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La presse

Est-ce qu’il y a Pennequin ?



Comment faire un "nous" quand on est chacun dans son trou. Rencontre avec le poète et performer.



Prenez un Charles Pennequin, ou plutôt, c’est lui qui vous prend, dans ses bras d’ex-gendarme de l’escadron, et hop, une valse. Il vous criera à l’oreille : "mais je voudrais que vous viviez", au lieu de vous manger comme l’ogre qu’on croit. Au début, Charles Pennequin fait peur, mugissant ses textes sur scène, l’œil exorbité. Puis son ire est contagieuse, on se sent tout requinqué. Les survivants de ses performances s’en souviennent comme s’ils avaient vu un spectre, ou Artaud au Vieux-Colombier.
Au début de Charles Pennequin, il y a un trou. Le trou de ce qui dit "je" quand on prend la parole, dont on ne sait d’où elle sort exactement dans le corps, et qui y retourne. Le trou du cul, aussi, car l’excrément mange sa part dans ses textes, au titre de chose de mort, de reste autour de quoi on caquette, et le trou du cul est une bouche à sa façon ? ne vous énervez pas, Beckett l’écrivait déjà dans Molloy , aux deux extrémités de l’œsophage. Pour prendre un exemple plus simple, Pennequin raconte : "Chacun a son obsession de la parole. Un jour je discutais avec un lepéniste, et vraiment, de façon ambiguë, il me fascinait. Tellement que j’ai couru aux chiottes pour noter tout de suite ce qu’il disait." Lui dont la biographie dit sobrement "Charles Pennequin est vivant, absolument vivant (c’est-à-dire dans la merde)" sait presser thanatos pour en faire sortir l’éros, avec ses épines. Car d’une façon ou d’une autre, son oeuvre, malgré les apparences, est folle d’amour et d’embûches. D’abord parce que chacun est dans son cadavre, et comment faire pour se croiser au dehors ? Obstacle: "On voudrait bien foutre le camp nous, et rejoindre l’autre. L’autre foutu le camp avec nous. Et nous irions où. Où est-ce qu’on pourrait se foutre le camp. On pourrait se foutre le camp ailleurs que dans un nous tout court. Car dans nous c’est la tombe tout court. Dans le nous, c’est le cercueil plombé des sentiments. Dans le nous, c’est les choses sues d’avance et même pas que par nous. Dans le nous, c’est les trucs posés de plusieurs plombes par des nous d’avant nous." Possibilité: "s’aimer, c’est se sortir de l’organe par la pensée des langues qui se mêlent."
La langue, donc, comme moyen d’être "hors de soi". Ainsi Pennequin qualifie-t-il son état lors de ses lectures. Il lui faut, dans un cadre donné, retrouver sa rage créative et communiquer à l’autre le besoin de "s’inquiéter" . P.O.L. a eu la bonne idée d’adjoindre un CD du texte Un jour pour qu’on se rende compte. Cent fois remettant son mégot à la flamme (il ne fume que des roulées), le poète insiste sur la relation, le don. Et sur Internet, connecté à sa biographie récente. On en trouve la marque dans La ville est un trou : "la parole est une chair truquée, la première invention. C’est pour cela qu’on aime parler dans les téléphones portables et qu’on aime les sms et les écrans, c’est parce qu’ils nous rappellent qu’on a toujours été ainsi fait, de la volonté de surpasser le naturel." Pennequin n’est donc pas aussi allergique à la communication moderne que pouvaient le laisser penser des phrases du genre "la télé mène une vie de con. La mienne surtout." Il y revient en vrai, explique comment il fait don de ses poèmes sur MySpace à tous ses "amis" qu’il ne connaît pas, les amours épistolaires qu’il y vit avec d’anonymes et impalpables femmes puisqu’ "on a inventé le sexe pour taire l’amour" ? mais cela, c’est dans le livre, comme cet extrait d’e-mail : "si tu veux prendre soin, écris !" Et aussi les ateliers d’écriture auprès de jeunes en difficultés, et le jour où il leur a inventé le stage "Je crie et je frappe", juste avant d’en choper un manu poetica pour lui gueuler au fond du cerveau : "mais je voudrais que vous viviez". C’est ça l’amour.
Si vous êtes jaloux, vous pourrez toujours retrouver Charles sur ses blogs ou MySpace (1), discuter avec lui, échanger des textes, mater les vidéos bouffonnes qu’il pond avec son téléphone, admirer ses collages et dessins, tous participant d’un même geste, d’une même révolte. Même au risque de la foirade, avec des mots qui vont et viennent, moins policés que ceux qu’il publie chez P.O.L. ou Al Dante, et qu’il repêche parfois hors ligne. Or, puisque La ville est un trou est autobiographique, il est bon de savoir que la Révolution en est le coeur. Le premier texte composé pour ce livre le fut au moment du soulèvement des banlieues. C’est celui qui pose la question du "nous" (qu’on a lu au sens érotique, mais qui profite donc aussi au sens politique, parce que ce serait tout un), du "rien. Nous ne construirons rien. De couvre-feu. De durable." C’est que ça manque de Bukowski, par ici, dit-il en reprenant du vin. On refuse le remous dans l’art, alors qu’ "il faudrait en finir une bonne fois avec soi tous les deux ans" . Sur le papier, cela donne : "il faudrait que le monde nous nique en un tournemain, c’est ça qu’il nous faudrait, une vraie belle nique unique, un uniquement baiser, un baisement total avec sien et monde, avec le sien de monde et avec les autres."
Il faudrait le court-circuit parfait. A Saint-Brieuc où il est en résidence d’écrivain, on s’apprête à fêter le centenaire de Jarry. Pennequin a déjà un projet: "Je vais me promener avec un doigt dans le cul, comme ça, je serai un artiste complet."


Eric Loret, Libération, jeudi 14 juin 2007



(1) http://www.myspace.com/charlespennequin http://20six.fr/charles_pennequin http://www.vefblog.net/charlespennequin

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Son

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