— Paul Otchakovsky-Laurens

Notre âme est une bête féroce

Main courante 4

Jean Louis Schefer

Correspondance de Flaubert : 1er mars 1858 : « Notre âme est une bête féroce ; toujours affamée, il faut la gorger jusqu’à la gueule pour qu’elle ne se jette pas sur nous. Rien n’apaise plus qu’un long travail. » 27 mars 1875 : « Je me perds dans mes souvenirs d’enfance comme un vieillard… Je n’attends plus rien de la vie qu’une suite de feuilles de papier à barbouiller de noir. Il me semble que je traverse une solitude sans fin, pour aller je ne sais où. Et c’est moi qui suis tout à la fois le désert, le voyageur et le chameau. »


 

Consulter les premières pages de l'ouvrage Notre âme est une bête féroce

Feuilleter ce livre en ligne

 

La presse

C’est à Flaubert que l’écrivain, philosophe et historien de l’art Jean Louis Schefer emprunte le titre de ce quatrième volume de son journal ; l’ensemble porte le beau titre générique deMains courantes . « Notre âme, bête féroce et toujours affamée, il faut la gorger jusqu’à la gueule pour qu’elle ne se jette pas sur nous. Rien n’apaise plus qu’un long travail. » Il y a, dans ces mots, une esquisse de la définition de l’activité de diariste telle que la conçoit Jean Louis Schefer,telle qu’il tente de la cerner, non sans ironie, aux premières pages du volume : le journal est l’espace de travail de l’écrivain lorsque ce dernier ne travaille pas – à savoir, quand il n’a pas de livre en cours de rédaction. Le journal est le lieu indispensable de l’écriture au jour le jour. Un « laboratoire », et aussi « l’espèce de chambre mélancolique qu’on transporte partout avec soi », mais encore « une sorte d’envers romanesque : c’est le portrait à charge de l’auteur, qui devient toujours, un Bouvard et Pécuchet […] : il a des idées sur tout, de préférences banales, il rampe au niveau le plus bas de la littérature, entre les leçons de choses, les devoirs de vacances et les récitations ». Cet exercice d’autodérision inaugural donne en partie le ton des pages qui suivent. En partie seulement, car l’humour sur soi s’accompagne, chez Schefer, d’une mélancolie qui drape d’ombre tout le matériau hétéroclite et souvent passionnant ici rassemblé : lectures (Virgile, Hawthorne, Pline, Valéry, Mallarmé…), réflexions sur l’art (Chardin, Kandinsky, Alberti…) et sur l’image, sur la théologie et les œuvres de la pensée (le « dépôt vivant » de l’histoire de l’humanité), sur la mémoire et sur le roman qu’il n’écrira jamais.


Nathalie Crom, Télérama


Et aussi

Jean-Louis Schefer est mort

voir plus →