— Paul Otchakovsky-Laurens

Polichinelle

Pierric Bailly

« Des corps débiles, langues bien pendues, traits tirés, l’été jurassien, de nos jours, campagne française qui lorgne sur tout ce qui bouge de l’autre côté de l’Atlantique, qui saute sur la première occasion de se donner des coups, qui se dépêche de tout casser, de tout gâcher, au cas où il y aurait quelque chose à en tirer. »


Voici, rédigée par l’auteur, la jolie quatrième de couverture d’un surprenant premier roman. Il raconte une histoire actuelle : une histoire de jeunes crétins de milieux plutôt aisés – c’est l’année du bac, un peu avant pour certains, un peu...

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Traductions

Italie : Clichy Edizioni

La presse

La bande des tagazous


Le premier roman de Pierric Bailly, où s’ébattent de drôles de zozos, surprend tant par sa construction que par son écriture novatrice. Lionel Elpich, le narrateur de Polichinelle, ne raffole ni des études ni des étudiants. Il a vingt et un an et demi, écoute du « rap ricain, du lourd, du qui te décapsule le trou du cul », est inscrit en fac à Besançon, mais habite à Clairvaux-les-Lacs, « comme un village dans le village ». Depuis que sa mère est partie s’installer au Mexique dix ans plus tôt, Lionel vit avec son père, « papa Gustave » et sa sœur Diane, en seconde à Lons-le-Saunier, qui déteste les jeux de mots. Diane est amoureuse du footballeur Thierry Henry. « Un jour, elle m’a même dit je veux devenir sélectionneur de l’équipe de France de foot. Thierry Henry je le mettrai toujours sur le banc de touche et je lui caresserai la cuisse », nous raconte son aîné. Autour d’eux, on trouve aussi un Johannes doué pour le basket, une Laura, qui en « a dans le soutif » et dont les parents tiennent le camping du lac, ou cette grande perche de Charlotte avec ses « jambes yo-yo ». Tous formentla bande des tagazous , se rêvent en rock stars, en vedettes, font des virées en scoots et se bastonnent avec les barbares de Foncine qui préfèrent le métal au rap. À vingt ans et des poussières, Lionel semble déjà inconsolable de son adolescence, fréquentant exclusivement des garçons et des filles plus jeunes que lui.

«  Je ne me suis pas suicidé à dix-sept ans. Je n’ai plus le choix, il faut que je devienne une légende, un mythe, c’est la solution. Que la terre soit mon parc d’attractions  », lance-t-il encore…

Jeune vidéaste qui a envoyé son manuscrit à P.O.L, par la poste, Pierric Bailly surprend et séduit avec un singulier roman dont les personnages font des échanges de nez et d’épaule, se rendent chez un docteur indien et trimballent un Beretta calibre 22.


Alexandre Fillon, LivresHebdo


Le tagazou jurassien


Son premier roman nous a séduit. Pierric Bailly est un gars du Jura à la langue bien tordue. Zoom sur un premier choix de la rentrée littéraire.


Ils habitent Clairvaux-les-Lacs, à quelques kilomètres de Lons-le-Saunier, préfecture du Jura. Ils ont 15 ans, toute une bande de « tagazous » qui traîne du côté de l’abribus, du Shopi et de la fontaine. Ils préfèrent Dr Dre à Alain Souchon, portent des maillots de foot sur des minijupes, roulent en AX et font des pique-niques au bord du lac interdit, avant de monter visiter « les barbares de Foncine ». Diane, Johannes, Laura, Jules, Charlotte… et puis Lionel, le narrateur, un peu plus âgé, fasciné, émerveillé par ces adolescents qui possèdent une grâce étrange dans un monde encore libre oscillant entre tendresse et agressivité. Comme Lionel, son personnage, Pierric Bailly pense que « passé 17 ans les êtres humains sont périmés ». En écrivant son premier roman, Polichinelle, il a voulu retrouver la tension qui existe dans ces petits groupes de lycéens, le temps d’un été. Il a cherché à transcrire une langue rebelle qui ne revendique rien, à se l’approprier. Il explique qu’il a écrit ce livre à voix haute, qu’il ne s’agit pas d’un langage parlé, mais d’une musique des mots, proche du rap. Pierric Bailly est un enfant de ce village jurassien, il en est parti pour faire ses études. Puis il est revenu pour écouter sa sœur et ses copains, travaillant en usine la journée, traînant avec eux le soir et les week-ends, écrivant la nuit.

Cette existence entre parenthèses lui a sans doute permis de dénicher une puissance évocatrice, une énergie littéraire qui n’a rien à voir avec une fiction sur la jeunesse d’aujourd’hui. Polichinelle est une œuvre de linguiste, un concentré de violence et d’amour, un récit à la Hubert Selby Jr. Pierric Bailly a « remalaxé » le vocabulaire qu’il entendait, recréant des mélanges « biscornus » où se retrouvent des expressions paysannes du Jura, des mots propres à une génération et d’autres ressortis du fond des temps, remis au goût du jour par ces poètes du coin de la rue. Il a trouvé un rythme, mi-dialogue, mi-description, décomplexé, tendu. Deux ans plus tard, il a envoyé son manuscrit à P.O.L.

Depuis, Pierric Bailly a des envies de grandes villes et de beaucoup de bruit pour écrire tout autre chose et attend avec une belle impatience d’être lu dans le Jura, par sa famille, ses amis. Une signature est prévue à Lons-le-Saunier, il en rêve déjà.


Christine Ferniot, Télérama, 23 août 2008


Jurassic Rap


Une bande d’ados tue le temps dans un village jurassien. Pierric Bailly signe un premier roman au ton juste et au style inventif.


« De tous les départements de France, le Jura est celui qui a été le plus abîmé par Tchernobyl. Et dans le Jura, je blague pas le coin le pire, c’est Clairvaux. » Là-bas, « l’été, les touristes […] c’est pas du Parisien, du Breton, c’est rien que du Hollandais ». Ou, plus exactement, des Hollandaises décomplexées, et ce pour la plus grande joie des jeunes habitants des lieux.

Avec les beaux jours, Clairvaux-les-Lacs devient même « la capitale du string maillot de bain ». Dans cette bourgade d’un gros millier d’habitants, ces adolescents s’occupent comme ils peuvent, entre abus éthyliques, bagarres diverses, flirts plus ou moins poussés, virées en AX, courses au Shopi, sans oublier les clips à la télé. Et, si possible, du rap, et pas de la « nouvelle scène française » – « rien que des connards avec des guitares sèches ». Ils se prénomment Johannes, Charlotte, Diane, Zuile ou Jules. L’un d’eux, Lionel, un étudiant glandeur d’une vingtaine d’années – presque un aîné… – sera le narrateur de ce quotidien estival, pas si ordinaire, puisqu’il vaudra à cette « bande de tagazous » la Une, tragique, du journal local…

Sur ce postulat classique, Pierric Bailly signe avec Polichinelle l’un des premiers romans les plus impressionnants de ces dernières années. Plongée dans une clique de grands gamins où chacun semble interchangeable, cette chronique d’une jeunesse qui s’éloigne saisit, dès les premières pages, par sa mélancolie douce-amère, son sens du détail, son authenticité. Le tour de force de Bailly est d’avoir su judicieusement intégrer un argot « jeune » dans une langue hautement littéraire mais jamais artificielle. Comment a-t-il réussi là où tant d’écrivains de sa génération ont échoué ? Les secrets de Polichinelle sont plus mystérieux qu’on ne le croit…


Baptiste Liger, L’Express, jeudi 21 août 2008


Langue vivante


Polichinelle a la langue bien pendue d’une poignée de jeunes dans le 3-9. Premier roman drôle et décapant de Pierric Bailly.


À partir de quel âge se sent-on appartenir à une génération ? À 6 ans, le jour de notre entrée en CP, en découvrant des rangées de futurs petits camarades ? En vibrant plus tard sur tel exploit sportif, telle actualité politique ? Encore faudrait-il prouver en quoi la libération d’Ingrid Bétancourt, au hasard, se rapporte davantage à ma génération qu’à celle de ma grand-mère. Alors quoi ? Se sentir appartenir à une génération serait indissociable de l’apparition de la première ride. D’autres viendront après nous, seront jeunes à notre place : serrons-nous les coudes. Mais il faut encore chercher ailleurs.
Sans le vouloir, le premier roman de Pierric Bailly porte en lui la matrice de cette émotion particulière, ce principe identitaire tardif. L’élan d’amour vrai qui nous traverse – dans le métro, au café, en voyage – pour n’importe quel faciès exhibant un âge cousin du nôtre, survient le jour où l’on reconnaît, dans un livre, un film, une partie de ce que l’on croyait être notre bio personnelle, et qui relève en fait d’une histoire collective. Cette dialectique, Annie Ernaux l’a poussée à son paroxysme dans son récit Les Années.Il y eut donc les écrivains nés autour de 1970, adolescents dans les années 80 – décennie à partir de laquelle ils érigèrent, arrivés à l’âge artiste, un puissant système de signes (génération sida, postpunk, mitterrandienne). Les écrivains nés en 1980 tardèrent. Ils arrivent. Écrit par un garçon de 26 ans (né en 1982), Polichinelle débarque avec ses propres références, sa gouaille, ses mots et ses secrets à lui. Il ne copie personne. Il snobe ses aînés.

L’histoire est simple, plus atmosphérique qu’aventureuse, encore que : dans un village jurassien, un groupe d’amis – trois filles et autant de garçons, adolescents frisant la vingtaine – passe un été. Camping, fêtes nocturnes, bagarre, érotisme léger. Livrés donc au côté aoûtien de l’existence. Dans ce règne de l’éphémère, le narrateur (l’un des boys) égrène ce qui pourrait en constituer la plus haute expression. Ce sont des marques : Twingo, Closer, Canal+, Shopi. Des noms propres : Thierry Henry, Paris Hilton, Missy Eliott. Manière d’ancrer l’écriture dans un infiniment périssablke, une contemporanéité de choc.
Manière surtout de rendre vivant le texte. Le style de Pierric Bailly est un antidote à toute fossilisation de la langue. Il explose les syntagmes, agence des formules démentes – mélanges de patois, d’argot et de slam, de gracieuse désuétude et d’intense férocité. De quelle pâte est faite cette langue polissonne, pleine de crashs et de zapping ? D’une pâte télévisuelle, disons-le, au risque d’enfoncer une porte ouverte.
Mais cette télé n’est pas celle des quadras. Elle parle d’une autre enfance : celle nourrie à DragonBall Z et Docteur Quinne, femme médecin. Celle qui resquilla pour aller voir Terminator 2 (interdit aux moins de 12 ans) au cinéma, jouait à Super Mario, et portait des Creeks en sixième. La première, surtout, à avoir été allaitée à 100 % de culture américaine. « Je suis un esthète des States » », écrit le narrateur. Allergique à la « nouvelle scène française », « rien que des connards avec des guitares sèches », Souchon, Voulzy, ou « cette vieille quiche de Laurent Boyer ». À quoi reconnaît-on alors un livre générationnel ? Aux tombes qu’il ne peut s’empêcher de creuser sur son passage.


Emily Barnett, Les Inrockuptibles, 26 août 2008


Dans un bled du Jura plus flippant d’ennui que n’importe quelle banlieue urbaine, une bande d’adolescents fait tout pour échapper à la morosité ambiante, quitte à basculer dans le tragique. Avec ce mince argument et une langue à l’inventivité inouïe, Pierric Bailly fait de Polichinelle, le premier roman le plus revigorant de la rentrée littéraire.


« Ici c’est minuscule, l’Est de la France, pas l’east coast du Wu tang Clan, ça raille et puis ça trouille. »

Ici c’est Clairvaux, petite bourgade jurassienne où une poignée d’adolescents lutte pour ne pas crever d’ennui.

Il y a Johannes, Charlotte, Jules, Laura et Diane et il y a Lionel, le frère aîné de Diane, plus de 20 balais au compteur, mais qui doit survivre malgré cette certitude : « à 17 ans les gens sont périmés ».

Entre quelques virées en bagnole, des après-midi au bord de piscines qui ne leur appartiennent pas et dans lesquelles finit parfois la moitié du mobilier, ils s’inventent une existence nouvelle et autonome.

Rêvent d’Hollywood ou du Mexique, de manger des perroquets ou de monter les marches cannoises, dans tous les cas de passer les frontières d’un univers aussi étriqué que la fête foraine du coin. « Parce que notre monde est petit. Les mêmes manèges que l’année dernière, les même têtes, sur les bancs des auto tamponneuses les mêmes bandes de brutus, machin, là, qu’est toujours champion du Jura de kickboxing, qui s’éclate le poing sur le punching ball, là, le truc de Jacky qui indique si on est une lopette ou un mutant ».


Langue violente et violentée


Sur un mince argument de roman adolescent qui narrerait le conflit entre le désir d’une individualité forcément marginale et le poids limitatif des structures sociales, Pierric Bailly réussit un des romans les plus revigorants de la rentrée.

Polichinelle surprend d’abord et jusqu’à la fin par son inventivité stylistique. Son rythme tient plus du flow hip-hop comme celui qu’écoutent les protagonistes (Missy Elliot, Dr Dre) que du Nouveau Roman ou de la ritournelle pop française – « tous des connards à guitare sèche ».

Il y a surtout cette langue inouïe, mélange constant d’argot adolescent et d’expressions désuètes, une langue violente, et violentée, à qui est refusée la paresse de l’oralité retranscrite et tous les tics de langage « caillerateux » qu’imposerait le genre urbain.

D’ailleurs il s’agit du 3-9 et non du 9-3, ce n’est pas exactement l’inverse parce que ce n’est pas mieux : Pierric Bailly parle d’une jeunesse rurale plus superbement ignorée encore que sa cousine citadine qui a au moins ponctuellement les faveurs du spectacle médiatique.


Résister à tout


Absurdes grotesques et parfois même cruels, les personnages de ce théâtre jurassien courent vers une issue de faits divers et de « Unes » du journal local.

En attendant ils résistent, à tout, à la torpeur des jours identiques comme aux poings des bourrins du coin. « On tente le diable, notre seule chance. On a un gros cul, un gros nez, on les écrabouille, on rebondit, on les réduit un à un à l’état de tomates farcies, clafoutis aux cerises, gros dégueulis de barbares qui pissent la framboise. »

Et Bailly d’épouser parfaitement les manifestations de cette énergie déployée sans but, cette audace dépourvue de motivation, gratuite et généreuse qui emmènera la clique loin, trop loin. Pourtant rattrapée jusqu’au dernier moment par son créateur fantasque qui laisse ouvert l’espace de possibles et livre un roman dont on pourrait dire qu’il est, à l’instar du Jura dans les publicités, « un pays qui respire ».


Daniel De Almeida, Fluctuat.


Auteur de Polichinelle, l’un des premiers romans les plus excitants de la rentrée, Pierric Bailly explique ici où il puise son énergie et son inspiration.


Le livre s’ouvre sur une allusion à Missy Elliott et une page au rythme très rap. En quoi la musique hip-hop a-t-elle influencé ton écriture ?

Le phrasé de certains rappeurs américains ou anglais, le flow – NTM dit : « et si t’as le pedigree ça se reconnaît au débit » –, la façon dont on pose un texte sur une phrase musicale, sur un beat, m’ont soutenu dans l’écriture de ce roman, que je voulais nerveux et tendu. Je retrouvais ça à l’usine, la répétition des mouvements, les bruits, et si l’on est attentif, viennent toujours s’immiscer tout un tas de petits dérèglements, et c’est là que commence la musique, ou la littérature.

Missy Elliott c’est ces cris qu’elle pousse au milieu de la phrase, ces gémissements, ces rires, qui provoquent l’euphorie sur les dance-floors. De même que dans un match de ping-pong, ce qui intéresse c’est quand un mec balance un smash ou envoie la balle dans le filet.


Malgré l’apparente oralité de la langue, ton style frappe par son niveau de sophistication halluciné ( et franchement hallucinant). Le rythme est souvent basé sur l’alternance d’argot estampillé jeune et de vocables désuets. D’où t’est venue cette idée ?

Je n’ai rien inventé, l’argot est bien souvent composé de vieux mots, par exemple appeler le père le daron, aujourd’hui il n’y a que les jeunes qui osent le faire, mais ça date d’avant les pharaons…

Et puis à la campagne, c’est vrai qu’on associe sans complexe un vocabulaire du cru à une langue plus moderne, on prend tout, un gamin de quinze ans peut dire : « vingt dieux comment ça déchire ». Ces vieilles expressions, qui ont toujours été là pour nous, on les utilise sans y penser. Moi je dis souvent « vingt dieux », et quand j’ai commencé à rencontrer des gens de la ville, ils rigolaient.

Cette langue que j’ai travaillée, je tenais à ce qu’elle ne limite pas le récit par des codes générationnels trop puissants, d’ailleurs le « parler jeune » m’agace, les « carrément », « à la base », « grave »… alors de la même manière que l’on dit de deux frères capricieux qu’il faut en prendre un pour taper sur l’autre, j’ai tapé des sales mots sur d’autres sales mots, et j’ai obtenu toutes ces salopes de phrases et on a fait l’amour comme des tarés des nuits entières, des années, et j’en ai bien profité, je me suis régalé.


Ton livre raconte l’histoire d’adolescents plus ou moins à la dérive mais qui font preuve d’une énergie parfois très destructrice et ne faisant jamais preuve ou presque d’ironie. Tu écris d’ailleurs des phrases comme « le second degré c’est à partir du lycée non ? » Es-tu toi-même nostalgique de cette période ?

Je n’ai pas vécu mes années lycées comme les personnages de Polichinelle, je sortais peu, je restais chez moi et je lisais, je discutais avec ma grand-mère, je regardais des films. J’ai fait 3 années d’études à Montpellier, fac Arts du Spectacle, aucun intérêt, et à 21 ans, l’âge du narrateur de Polichinelle, je suis rentré dans le Jura.

J’ai travaillé en intérim, dans le bâtiment, usine, grande distribution, et j’ai retrouvé mes deux sœurs qui avaient alors 10 et 15 ans et je me suis mis à traîner avec elles et leurs amis. Celle de quinze ans, à l’époque, avait des potes assez cramés, et j’ai été fasciné par tout le bordel qu’ils semaient, pour s’occuper. Débarquer chez un type et ravager son jardin et tout balancer dans la piscine, ça s’est fait. Sauf que c’est ma sœur qui a accueilli les flics à la maison et elle faisait moins la maligne que Lionel dans le roman.


Ton narrateur Lionel, qui a presque l’âge que tu avais quand tu as commencé à écrire ce livre, refuse la compagnie des gens de son âge. Que penses-tu des gens de ta génération ?

À Montpellier, en fac, j’ai rencontré plein de mecs pompeux, des mecs très sûrs d’eux et qui n’avaient rien dans le ventre, et quand j’ai retrouvé ces fous furieux du Jura, ça m’a fait du bien. Les gens de ma génération, je ne les côtoie pas beaucoup, je ne raffole pas du « lieu alternatif » du quartier, du festival de court-métrage sur la grande place, du « petit concert sympa » dans le bar d’en face. Enfin, c’est toujours la même chose, on est tous un peu bête et persuadé d’être formidable, et on se la pète tous un peu trop.


Au-delà de cet âge ton livre est aussi une ode aux marginaux ou même plus largement aux ploucs plutôt ignorés par la culture française, contrairement à l’Angleterre où les « lads » du Nord peuvent raconter leurs frustrations de provinciaux et devenir branchés.

L’accent cockney doit être quand même plus sexy que l’accent jurassien. Et puis le truc, soyons honnêtes, c’est que les lads anglais ne lorgnent pas sur ce qui se passe dans le Jura, ils font avec ce qu’ils ont autour d’eux et avec leur culture.

Venez à Lons-le-Saunier, vous en verrez un paquet des mecs en slim à mèche qui se prennent pour les Arctic Monkeys.

Les marginaux, oui, j’aime bien les clochards, en tout cas dans le Jura ce sont des types très gentils. J’ai été éboueur à Lons, on passait des heures à parler, c’était bien. À Lons, les clochards ne sont pas les mêmes qu’à Paris par exemple, ils ont des logements sociaux, et ils vont se planter devant une boulangerie comme ils vont au boulot. J’aime bien les handicapés, aussi. Toujours l’idée du dérèglement, je fuis tout ce qui est lisse, trop sage, trop aimable. Les jeunes qui font des études pour faire plaisir à leur famille, ça existe toujours…

Je me sens beaucoup plus proche des mecs perdus, leur brutalité, leur folie, les neuneus, les mecs qui « ont un peu du mal ». À Lons il y a une figure, une vraie star, on le voit tous les jours, il fait des tours et des tours de ville et du coup vous dit cent fois bonjour dans la journée, et le soir il aide les bars à ranger leur terrasse, je l’adore.


Tu tapes d’ailleurs volontiers sur une certaine culture française douce-amère, « un pays de couilles molles ». Tu la juges élitiste au regard de ton goût pour la culture populaire ?

Je démonte Souchon, je ne voulais pas taper sur une ambulance, je voulais un chanteur moyen que pouvaient écouter les parents des personnages. Souchon, faut le voir à la télé, c’est vraiment le faux modeste, c’est son fonds de commerce, ses cheveux pourris, ses vieux habits, je n’y crois pas une seconde. Au moins Johnny il ne triche pas, et j’aime Johnny, Requiem pour un fou c’est quand même mieux que Foule Sentimentale !

Mais je ne suis pas contre l’élitisme, ça ne me dérange pas qu’on fasse de la musique pour trois personnes, ce qui est plus agaçant c’est toute cette fausse culture populaire, les mecs qui calculent, ces connards à la Obispo, qui se disent « ah ça va plaire aux minettes un peu grosses avec des lunettes de vue », etc., « on va faire cracher leur thune aux pauvres… » Enfin, je ne vais pas vous faire un cours sur le cynisme d’une époque.
Globalement, très « territorialisé » ton livre ne rentre pas dans le cadre de la littérature française sans pour autant singer les romanciers américains. Parle-nous de tes influences littéraires.

Elles sont quand même essentiellement américaines, Burroughs, Selby, tout ça. Et les arrière-grands-pères, Faulkner, Hemingway. Et des Français, bien sûr Despentes, et puis Modiano. Et je viens de découvrir Dennis Cooper, ça tue.
Polichinelle se déroule à Clairvaux dans le Jura transformé en terrain de jeux interdits pour Lionel et sa bande et en territoire peuplé de freaks . L’office du tourisme ne t’a pas intenté de procès ?

C’est vrai, ça, que ça raille et que ça trouille. Comme on dit, ça parle sur toi. Je ne sais pas ce qu’on va raconter, mais je suis sûr que ça va y aller, ça va bien baver, et il y aura plein de gens qui seront super-jaloux et je suis bien content. Et puis si l’office du tourisme veut me coller un procès, qu’il n’hésite pas, je l’attends.


Propos recueillis par Daniel De Almeida pour Fluctuat


Polichinelle dans le miroir


Dès la première ligne, ça dépote : « Je suis très chaude, nous crache Missy Elliott du poste de Johannes. » Un peu plus loin, on croise « cette vieille quiche de Laurent Boyer ». Un peu plus loin encore, on roule en « Golf noire, plus pratique pour se faire téter la nouille sur les parkings de boîte de nuit ». Toute une époque. Polichinelle, de Pierric Bailly, 26 ans, arrache le morceau par sa drôlerie, sa verve, sa vivacité, mais surtout par une gouaille foisonnante : mélange singulier de parler télé, de slam sans le message, d’argot des régions, et d’une imagerie poétique, où la syntaxe est karcherisée. Engourdi par tant de vitalité, on s’attache à l’histoire de cette bande d’ados qui tuent le temps sous un abribus du Jura. « Campagne française qui lorgne sur tout ce qui bouge de l’autre côté de l’Atlantique, qui saute sur la première occasion de se donner des coups, qui se dépêche de tout casser. » Bailly a une gueule d’atmosphère et signe l’un des meilleurs romans de la rentrée. On imagine le film.


Marion Ruggieri, Elle, 15 septembre 2008


La bande des six pète la forme


Le roman de la langue de six jeunes jurassiens en folie.


« J’ai eu dix-huit ans et c’était déjà trop. Je me suis mis à penser que passé dix-sept ans les êtres humains étaient périmés. » Le narrateur, Lionel, a vingt-cinq ans et passe sa vie avec des amis de quinze. Son père s’inquiète. « Tu étais mieux au lycée. » Mais les études ne sont pas son truc, les étudiants encore moins. Ils détestent le rap, raffolent de « la nouvelle scène française », « genre je suis un bon, un doux, je suis pas le premier des violents, gars, moi je suis un chanteur français ».

Lui, en licence quand même, il se sent bien avec des lycéens, et des lycéennes de l’âge de sa petite sœur. La petite bande des six écoute du rap, pique des pistaches chez Shopi, s’habille en basketteur de la NBA, et fait ce qu’on peut attendre d’une bande d’ados, dans ce bourg jurassien où de toute façon il n’y a pas, à en croire Lionel, grand-chose à faire. Donc on s’entasse dans une vieille AX, on traverse Clairvaux, on joue à cache-cache avec la « Naïne Ouane Ouane ». On voit d’ici la chronique d’une « jeunesse à problème ». Sauf qu’on se trompe. Le personnage principal de Polichinelle, le « vrai » Polichinelle, c’est la langue. Et ce n’est pas une façon de parler. L’auteur, dans une rencontre à la Fête de l’Humanité, expliquait que son intérêt pour le parler des jeunes (il a presque l’âge de son personnage) il y a quelques années l’avait conduit à imaginer ce petit groupe à l’énergie communicative. Car il ne s’agit ni d’un reportage, ni d’un travail de greffier du langage.

À partir de ce qu’il entend, Pierric Bailly fait œuvre de poète, au sens fort de créateur. Si l’on croit parfois entendre Lionel, Diane, Laura, Jules et les autres, à la lecture, si on accepte de reprendre son souffle, on s’avise que c’est un idiome très travaillé qu’il nous propose. Car il ne s’agit pas d’inclusions de pittoresque parlé dans un récit anodin, mais d’un texte très cohérent, où les images naissent du parler « jeune » plus ou moins reconstitué mais aussi des rêves, des défis que se lancent à eux-mêmes ces langues bien pendues, et que relaie l’auteur dans un récit dru et vert. On déguste avec délice, du réveil initial au délire final, ce roman jouissif d’un nouvel écrivain qui pète la forme, au sens littéral et profond du terme.


Alain Nicolas L’Humanité 15 octobre 2008


Poupée de chiffon


Poussant son histoire là où il faut avec habileté, Pierric Bailly verse dans la fantasmagorie en instillant ça et là des touches oniriques


« Un jour je vivrai mes chansons », chantait l’adolescente France Gall en 1965. Quarante-trois ans plus tard « y a plus de jeunesse ! », râle-t-on au café du commerce… C’est qu’ils ne savent pas regarder, ceux qui ont oublié leurs jeunes années. Si le MP3 a remplacé le 78 tours, les ados d’aujourd’hui nourrissent les mêmes rêves et vivent les mêmes désillusions que leurs aînés, et leur quotidien n’est pas loin de celui de La Guerre des boutons : voilà ce qui frappe à la lecture du très étonnant et réussi premier roman de Pierric Bailly. Un roman à la langue bien pendue, flot bouillonnant dont le style débridé tend un miroir de l’évolution du français autant qu’à la passion qui anime ce groupe de jeunes gens, un été dans le Jura, entre fraîcheur des premiers émois et incompréhension d’adultes souvent bien moins responsables que leurs enfants.

Laura, Charlotte, Diane ou Jules composent tant bien que mal avec l’ennui, le conjurent à grand renfort de sodas ou de bières au bord de la rivière, lorgnent de l’autre côté de l’Atlantique où l’herbe est plus verte et les chanteurs plus doués, fuyant le morne avenir qui s’offre à eux. Poupées de cire, poupées de sons, les membres du « gang des tagazous » forment un corps à part entière, tel le Polichinelle de la Commedia dell’arte, caméléon facétieux et comique, cruel et menteur, dont on raconte que le diable l’aurait pris par le dos avant de le laisser tomber. Une marionnette façonnée par l’amitié et les amours naissantes, par des secrets aussi quand bientôt ils tombent dans l’illégalité, rattrapés par des événements qui leur font endosser malgré eux un costume de gangster mal coupé.

Poussant son histoire là où il faut avec habileté, Pierric Bailly verse dans la fantasmagorie en instillant ça et là des touches oniriques (une buse qui parle, des jambes en yo-yo, des fesses à la place d’un ventre), suggérant le refuge qu’est l’imaginaire pour ces jeunes coincés dans leur quotidien. Mais surtout, son livre, en plus d’être souvent très drôle, est empreint de tendresse et d’une grande poésie, le narrateur Lionel posant un regard doux sur ses congénères roués de coups par la vie comme le Polichinelle de la comptine, eux qui n’aspirent au fond qu’à l’amour, à la quiétude d’un été, et à se raccrocher encore un peu à la fantaisie de l’enfance.


Sabine Audrerie, La Croix

Agenda

Du jeudi 13 juin au dimanche 16 juin
Pierric Bailly au festival Le murmure du monde

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"La Foudre" de Pierric Bailly désigné Meilleur roman de l'année 2023 par le Magazine Lire - Lire Magazine

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