— Paul Otchakovsky-Laurens

Mon Amérique commence en Pologne

Depuis maintenant, 6

Leslie Kaplan

Be my ghost / Be my guest / Come to my America / Nobody knows but me.
Leslie Kaplan est Américaine. Elle est née à Brooklyn mais elle vit en France depuis son enfance. Et même si « son Amérique » commence en Pologne dont sa famille est originaire, les USA ont été pour elle, dans un premier temps, comme un paradis pas vraiment perdu, un pays de cocagne et d’abondance, une référence à partir de quoi regarder gaiement, penser. C’est dans cette lumière, à travers elle, que passent ses premières années parisiennes, l’émerveillement de la découverte, le mélange des genres, des histoires, des accents, quelque chose de pas...

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La presse

Beaucoup de rythme, dans ce livre de Leslie Kaplan, qui n’est pas une fiction mais son autobiographie, son alphabet. Beaucoup de son, beaucoup de chansons, sixties obligent, et les films de Jean-Luc Godard, le cinéma, la politique : « L’amour n’est pas séparé de la pensée, on pense comme on fait l’amour, et on fait l’amour comme on pense. » Auparavant, l’enfance s’énonce en émois gourmands, craquantes années 50.

Les mots et les choses ne coïncident pas de la même manière en anglais et en français, l’ice cream, c’est tellement meilleur qu’une glace.

Leslie Kaplan est née à Brooklyn, elle arrive à Paris en 1946, elle n’a pas 4 ans. « Ce fut la période la plus heureuse de la vie de mes parents, Américains très jeunes et ouverts, impatients et curieux, passionnés par la vie à Paris, en Europe et dans le monde à ce moment-là, et ce fut aussi leur plus long séjour dans un même pays étranger, mon père est resté douze ans à Paris après la guerre, quatre postes successifs. Il travaille à l’ambassade. Beauté du père, de la mère, allégresse du souvenir. Un grand appartement boulevard du Montparnasse, septième étage, la vie en anglais à la maison, en français à l’école rue d’Assas.

La mère aime lire et danser, surtout lire, le père fume la pipe comme il se doit, homme d’idées et d’idéal. Il accueille l’existence avec un entrain communicatif. Puis, le couple charmant repart, laissant seule derrière lui, en mars 1960, une fille aînée de 16 ans en pleine ébullition. « Établie » l’hiver 1968, Leslie Kaplan vit à l’usine les événements de mai, qu’elle scande dans un poème : « il y a de ces moments / rares, exemplaires / où ce qui s’invente dans la société / est aussi large / aussi vrai / que dans l’art. » Lexique offert à une génération, Mon Amérique commence en Pologne s’inscrit tout naturellement, parmi les fictions de l’auteur, dans le cycle « Depuis maintenant ».

L’Amérique, ce sera le Vietnam, le père y est porte-parole du gouvernement : « Colère blanche. Je n’ai pas de mots. » Mais, au début, l’Amérique est la terre où émigrent les grands-parents juifs polonais. Les étés se passent à Lakewood, auprès d’une grand-mère comme on n’en rencontre que dans les histoires juives, notamment celle des amies qui se retrouvent vingt ans après, et la dame qui a des enfants dit à l’autre, qui n’en a pas : « Comment tu fais, pour les soucis ? » La mère et la grand-mère se parlent et s’écrivent en yiddish, mais les airs de cette langue, la mère ne veut pas les entendre, et la grand-mère ne raconte rien. Là-bas, comme ici, pèse un silence, « la question, pas formulée, des origines »

Mystérieuse, sensible à la mobilité des visages, des attitudes, bref, semblable à un roman de Leslie Kaplan, la dernière partie voit deux jeunes filles se révolter contre un proxénète, qui drague en chantant Reyzele, et n’est qu’un saboteur du rêve américain.


Claire Devarrieux, Libération, 8 janvier 2009.



C’est l’histoire d’une vie restée comme suspendue en plein ciel, demeurée pour une part encore dans cet avion qui reliait l’Amérique, pays des origines et des vacances, à la France, pays du quotidien : « Le ciel est aussi une certaine irréalité du monde, écrit Leslie Kaplan, ou plutôt un lieu double, réel et irréel à la fois, qui n’est pas sans rapport avec le livre. »

Nous y sommes dans ce « réel irréel ». Mon Amérique commence en Pologne est la sixième occurrence d’un cycle narratif, initié en 1996, intitulé Depuis maintenant et imaginé par Leslie Kaplan. Dès les premières pages, l’auteur pose le déplacement, le fait de n’être jamais tout à fait d’un seul lieu comme un fait essentiel et constituant de son histoire. Même Mai 68 – fil conducteur des Depuis maintenant – apparaît dans Mon Amérique… comme un moment de poésie qui fait « circuler plutôt qu’être à sa place/circuler partout et les mots aussi circulaient prenaient des drôles de sens ». Là, encore : le déplacement. AprèsFever, exploration romanesque d’un meurtre gratuit commis par deux adolescents, Leslie Kaplan se prend elle-même comme sujet. Son livre est une autobiographie ponctuelle qui porte sur trois périodes de sa vie : l’enfance, les années 1960 et « il n’y a pas longtemps ».

Soit une Américaine, juive d’origine polonaise, née à New York en 1943, installée à Paris avec ses parents dès 1946. Sa langue maternelle, l’anglais – et puis un peu de ce yiddish que sa mère parle encore avec sa grand-mère – mais très vite, elle lira, elle étudiera, puis écrira en français.

Le bonheur de ce récit en forme de triptyque est à chercher dans la fécondité des décalages incessants. Dans la douleur qu’ils provoquent aussi. Une douleur sous-jacente dans la famille Kaplan qui semble plutôt douée pour le bonheur, malgré la Seconde Guerre mondiale qui a secoué le monde juste avant le retour vers l’Europe, malgré les worry, soucis, et les why go back ? (pourquoi y retourner ?) exprimés à répétition par la grand-mère demeurée aux États-Unis. La douleur est lisible dans cet épisode où la mère de la narratrice oublie à Paris les passeports américains : « L’incident en dit long sur l’ambivalence de ma mère, écrit Leslie Kaplan. Retourner, ne pas retourner. Dans l’expression home leave, leave c’est la permission de rentrer chez soi, home, mais l’envers, to leave home, c’est quitter la maison. Quel sens, quelle direction prendre. Le pays, en somme, c’était quoi. » Ce mal du pays diffus, « homesick », est aussi le nœud du malaise éprouvé par une autre Américaine, Louise, fille d’une amie de la narratrice : la jeune femme est, comme elle, restée à Paris, mais elle y vit hantée par son son statut d’étrangère. Dans la troisième partie du livre, Louise campe un double juvénile et tourmenté de Leslie Kaplan.


Si le livre se clôt sur une note sombre – même si le rêve américain demeure, incarné par une certaine Esther, petite vendeuse de fruits avisée – Leslie Kaplan ne se complaît pas dans ces malaises. Au contraire, elle jubile le plus souvent de ses explorations comparatives et poétiques, d’une rive à l’autre de l’Atlantique. Les goûts, pour l’enfant, distinguent la France de l’Amérique : « Le lait français m’a toujours semblé de l’eau, pas riche, pas crémeux, pas vrai en somme, et les glaces françaises, comment dire, faibles, sans consistance. » En revanche, il y a Paris, un monde en soi. Et comme dans les films, remarque Leslie Kaplan : « Les Américains adoraient Paris et l’arpentaient dans tous les sens. »

Et puis surtout, il y a les œuvres, Proust, la musique anglo-saxonne et puis les films qui, dans les années 1960, font dialoguer merveilleusement ses deux mondes à elle. À bout de souffle de Godard imprègne tout le récit central. Comme des plans, Leslie Kaplan enchaîne les souvenirs, images, émotions, sensations, surprises. Ligne claire de l’écriture, chaque paragraphe séparé des autres par une respiration. Citations, les Stones, Kubrick, Coleridge, Truffaut, Dostoïevski, battements de cœur… une histoire d’amour : « Tu connais William Faulkner », demande Patricia. « Non, qui c’est, tu as couché avec lui », demande Michel. C’est la part la plus stimulante du livre, le début de la vie, celle qui ouvre des pistes multiples au lecteur qui se lance, à la suite de Leslie Kaplan, dans cette séduisante et foisonnante promenade autobiographique.


Éléonore Sulser, Le Temps, 17 janvier 2009



Dans un franglais franc et gai, Leslie Kaplan jongle avec ses souvenirs de mésange sautillante, élevée à Paris dans les années 60 par des parents américains, eux-mêmes descendants de juifs polonais. D’une très grande sensualité, son récit virevolte au gré des remontées impulsives d’émotions primaires : la saveur moelleuse et sucrée du ketchup, la texture épaisse et crémeuse des glaces, l’élasticité rafraîchissante et tenace des chewing-gums. Aux clichés gustatifs made in USA, qu’elle goûta toute son enfance grâce au travail de son père à l’ambassade des États-Unis à Paris, Leslie Kaplan redonne une innocence brutale qui nimbe son livre jusqu’aux dernières pages. L’intuition aussi développée que les papilles, la Parisienne de Brooklyn donne aussi à partager sa perception-éclair de la fantaisie constitutive des gens qui l’entourent. À bâtons rompus, drôle et sentimentale, sa confession fait revivre ses proches dans des petites scènes essentielles, sans que pointe jamais d’amère nostalgie. Petit chat yankee sorti de son panier, pour arpenter à tâtons le sol européen, la jeune Leslie vit le rêve américain à l’envers. Ce sont les souvenirs de cette patrie perdue qui lui donnent des ailes pour grandir. De sa naissance à Brooklyn, elle a gardé une précieuse aptitude : regarder la vie comme si c’était un miracle, une fiction merveilleuse qui s’invente à chaque seconde. D’où l’omniprésence anthropophage des films, dans ce roman autobiographique qui convoque Roberto Rossellini, Buster Keaton, Charles Laughton ou Anna Karina comme des membres à part entière de la famille. Et l’on se prend à corriger, en sourdine, les paroles de la chanson d’Anouk Aimée dans Lola, abondamment citée : « C’est moi, c’est moi Leslie, celle qui dit bientôt, bientôt, et qui sourit dans votre dos, tout enfoncée dans ses pensées d’espoir, si vous les connaissiez… » Pour les connaître, ces pensées d’espoir, il faut regarder la forme de l’écriture de Leslie Kaplan. D’abord fluide, étalée, presque affalée dans le premier chapitre consacré à l’enfance, sa prose se contorsionne et l’étrangle lorsqu’elle aborde l’adolescence. Puis, ce fil télégraphique d’une élégante pudeur devient lien, vers une amie inquiète sur l’avenir de sa fille. Et le livre s’ouvre vers les autres, dans une douce lumière…


Marine Landrot, Télérama, 7 février 2009



Dans « Mon Amérique commence en Pologne », Leslie Kaplan livre son autobiographie. Ou plutôt sa « loto biographie », tant son ouvrage est morcelé, fragmenté, presque ludique… L’écrivaine française, née en 1943, n’a pas une origine mais trois. Fille d’Américains installés en France, elle a été élevée dans l’effervescence du Paris de l’après-guerre. Ses parents étant eux-mêmes issus de familles d’immigrants juifs polonais, la jeune Leslie ne sait plus où donner de la tête (et de la langue) entre le « borscht », l’« ice-cream » et le « pain perdu ». Bientôt, elle est embarquée dans l’explosion des années 60, découvrant l’amour, la psychanalyse, l’engagement politique. On se laisse emporter par ce récit éclaté sans savoir très bien où l’on va, mais en s’abandonnant au plaisir du voyage, fasciné par ce destin hors norme. Et on se dit que cette identité fuyante, hantée par la nostalgie, toujours en attente d’une Amérique rêvée, c’est un peu celle de chacun d’entre nous.


Patrik Williams, Elle, 24 janvier 2009



Godardien


Éblouissant. Leslie Kaplan déroule le film des années 60 aux années 2000, entre désespoir et fureur de vivre.


Depuis douze ans, Leslie Kaplan écrit une continuité filmée, joliment intitulée Depuis maintenant, où la France et l’Amérique se croisent et se font signe. Son nouveau roman Mon Amérique commence en Pologne en forme un épisode particulièrement jouissif.

Trois parties à ce livre, d’inégale longueur. La première, assez brève, pourrait s’intituler « La famille ». Elle présente les grands-parents Kaplan, émigrés de Pologne en Amérique, puis les parents, lorsque la famille décide de s’installer à Paris en 1945.

La deuxième partie couvre les années 60, les parents repartent à l’étranger. Leslie reste à Paris, elle a 16 ans et devient directement actrice de l’histoire politique, intellectuelle et artistique de l’époque. Sous la forme d’un inventaire sélectif et ludique, ces années sont placées sous le signe du montage, parfaitement illustré par le cinéaste emblématique Jean-Luc Godard. On rit beaucoup autant qu’on réfléchit à la meilleure façon de changer le monde en ces années de formation. Extrait : « Elle pense qu’on est responsable, c’est ce qu’elle dit, et cette pensée paradoxale en fait quelqu’un de joyeux. Elle se tient sur la ligne de crête entre la dureté du monde et la joie d’être là, disponible à tout ce qui arrive, et c’est ce qu’elle transmet, la vie vivante… » « Elle », c’est l’héroïne de Vivre sa vie, le résumé de Leslie Kaplan est saisissant.

La troisième partie a lieu aujourd’hui. La dureté l’a emportée. La vie vivante sombre dans la perte de repères de Louise, la jeune fille qui est au centre de ces années 2000. Louise est la fille d’une amie de Leslie, Anne, qui vit en Amérique. Anne se fait du souci pour Louise, qui vit étrangement, dans ce même quartier de Montparnasse où Leslie adolescente se partageait entre engagement révolutionnaire – son premier livre L’excès-l’usine est issu d’une expérience ouvrière –, et discussions philosophiques. Alors, le monde pouvait encore s’appréhender de façon complémentaire, on pouvait penser lutte des classes et engagement intellectuel, et devenir un rouage actif de la machine sociale.

Les années 2000 ressemblent plutôt à des années de déformation. Louise est obsessionnelle. La nourriture qu’elle stocke, la mémoire d’une origine qu’elle ne sait comment transformer, l’amitié excessive qu’elle porte à Esther, une jeune réfugiée qui vend des légumes au marché, les lettres douteuses qu’elle écrit au Ministère… Louise a perdu ses repères. Louise ne sait que faire de ses colères. Louise a de l’humour, mais pas d’amour, et ça tourne mal. De plus en plus mal. La nostalgie a supplanté la mémoire, l’air de Reyzele s’aigrit, le retour aux origines devient une nouvelle forme d’exploitation, de la pire espèce : celle qui remonte à l’esclavage des peuples par d’autres, des femmes par les hommes, de la pauvreté par le capital. Tout à la fin, pourtant, Esther ouvre une porte. Au fantôme du proxénétisme, elle a dit Non. Louise, elle, sombre dans l’angoisse.


Il faut alors revenir quelques pages en arrière, page 129, et lire les dix qui suivent. Les plus belles du livre. « On était très angoissé mais l’angoisse était un moteur pas un frein. » Dix pages étourdissantes de beauté, de foi, de mixité, de solidarité, d’espoir, de joie de vivre. Dix pages qui disent qu’il faut parler de tout, que quelque chose peut encore arriver, pas n’importe quoi, non « Surprise, étonnement, rencontre. Les limites reculent. Le présent se déploie » Quelque chose encore peut s’inventer dans la société. Tant que ça parle, que ça dit non, on n’est pas à bout de souffle.


Claudine Galea, La Marseillaise, février 2009



Pas toujours facile d’oser le roman, dans un pays où l’autofiction a pris le pas sur l’œuvre d’imagination. Plus simple est de raconter sa vie, quitte à la passer au scanner de la Grande Histoire. Ce que fait Leslie Kaplan, mais à sa manière et en femme engagée dans son temps.

Une vie, donc, qui commence à New York, où elle est née en 1943. Le mythe fondateur ? Ses grands-parents, juifs polonais (ils parlent yiddish entre eux), qui émigrent en Amérique au début du siècle dernier. « Kaplan, ça veut dire Juif », telle sera la réponse à la question sur ses origines. Quant à ses parents, ils s’installent en France après la Libération, et c’est là que Leslie va grandir, dans ce Paris où elle choisira de rester, coupant le cordon ombilical lorsque son père (diplomate) sera muté en Allemagne.

Cette enfance, bilingue, dont le double ancrage lui fait régulièrement traverser l’Atlantique, constitue le premier volet du livre. Confrontation des paysages et des villes, des mentalités, des objets ou des rituels de la vie quotidienne… C’est l’histoire d’une petite fille ardente, partagée entre le Nouveau Monde (« hygiène et propreté ») et la vieille Europe (« Dans la salle de bains, la baignoire avait des pieds »). Mais parfois, dans cet enchantement, un mauvais flash sa mère « effaçant, folle de rage, “Mendès au ghetto” écrit à la craie sur un mur ».

Vient le temps de la jeunesse, et des sixties. Nœuds du livre, où la tentation était forte de se servir de l’Histoire pour montrer la cohérence de son parcours. Or c’est sur ce point précis que Leslie Kaplan gagne son pari : cette vie valait d’être écrite parce qu’elle en a fait une Éducation sentimentale (« On est pour l’amour libre. Mais je suis d’une jalousie terrible ») et politique (« Je suis amoureuse de Saint-Just »). Une conquête de la liberté, en somme, rendue possible par l’appropriation de la culture et l’engagement militant. D’où les lectures effrénées de la jeune étudiante, la lutte anticoloniale, le féminisme, le travail en usine (dont l’auteur tirera, en 1982, L’excès-l’usine)… Bref, la formation d’une conscience politique.

Toute la subtilité du livre consiste à introduire dans le texte qui s’écrit les mots de la littérature (Dostoïevski, Brecht), de la philosophie (Kant, Hegel), de la politique (Proudhon, Mao Tsé-toung), de la chanson (Aristide Bruant, Bob Dylan) ou du cinéma. Godard est ainsi celui qui met en scène le rêve d’une génération qui a 20 ans alors et veut <« i>vivre sa vie . Sous-textes (et non pas seulement slogans ou publicités signant une époque comme dans Les Années de Annie Ernaux) qui prennent toute leur place dans le projet, puisque, et c’est en cela qu’il aboutit esthétiquement, se dessine peu à peu la silhouette d’une héroïne de roman, ce roman étant celui de l’Histoire (selon Marx). Laquelle s’achève ici en apothéose par un hymne à Mai 68, libertaire, solidaire et amoureux.


Dans une troisième partie, Leslie Kaplan tente une ouverture, en forme d’ellipse, sur le monde contemporain. La fille d’une amie très chère, américaine comme elle, s’est mise à dérailler. Enfant de Bush, mais vivant à Paris, et fascinée par le personnage de Robert DeNiro dans Taxi Driver, elle rêve d’un grand nettoyage. Et finit par écrire à plusieurs ministres… Trop de saletés dans nos villes, leur dit-elle, trop d’étrangers. Des « barbares » qui « nous apportent la peste ». Elle leur demande d’« éradiquer la vermine ».

Dur réveil pour les enfants de Marx et de Coca-Cola.


Igor Capel, Le Canard enchaîné, mercredi 25 février 2009



Renouer les fils épars du passé


Mon Amérique commence en Pologne de Leslie Kaplan : Souvenirs d’enfance, entre Varsovie, New York et Paris : comment ne pas perdre la tête quand on vit entre trois cultures ?


Virginia Woolf disait qu’un livre en train de s’écrire est comme un grand filet qu’on traîne. Le sixième tome d’un « journal tous azimuts » que tient Leslie Kaplan en est une éclatante preuve. Mon Amérique commence en Pologne est une collection de choses dites, vues, pensées et ressenties, depuis les années d’après-guerre, où l’auteur est une petite fille, jusqu’aux années 1970 qui la voient étudiante brillante et militante. Pas une trace de ce qui fait la matière des jours ne semble échapper à sa plume : on écrit pour consigner.

Le sèche-linge de ses parents, le premier mensonge qu’elle leur fait, ses engagements contre la guerre d’Algérie, l’avortement d’une amie, la mort de Gérard Philipe, l’ambiance tangible de la France gaulliste, les beaux mots de Mai 68, les films qu’elle a vus, les livres qu’elle a lus, les cours appris par cœur, le Paris de ses promenades, les recettes favorites de la cuisinière, le fond de dépression de sa mère à qui il manque quelque chose, peut-être « parce que c’était une vie de transition » : sa plongée dans la mémoire impressionne par la richesse et la précision des images ineffaçables qu’elle rapporte. Cette vie a donné à Leslie Kaplan une étonnante mobilité d’esprit, une rare richesse intérieure. La femme qui écrit est extraordinairement sensible à tout le spectacle du monde, réceptive, et ce qui frappe le lecteur, à la fin, c’est sa liberté.

Leslie Kaplan naît à Brooklyn et passe son enfance à Paris, dans le quartier de Montparnasse, entourée d’artistes : son père est attaché culturel à l’ambassade américaine. Elle grandit dans la question de l’après-guerre : comment reconstruire ? Une partie de sa famille est restée aux États-Unis, refusant de retourner en Europe, « ce vomi » qui n’a plus rien à offrir. L’Amérique, c’est donc les vacances d’été, et le charme de la grand-mère toute pleine encore de sa jeunesse à Varsovie. Avec la grand-mère, il est question de nostalgie et de fantaisie, de liberté et de fermeté : elle porte des robes sérieuses et a lu Tolstoï dans l’édition originale. Sacrée femme. Que pensait-elle ? se demande l’auteur. Il faut saluer la beauté des portraits, la mère, la grand-mère, le père, dans un monde où « l’argent n’était pas le but ».

Bien sûr la vie fait lever les questions. Les allers-retours entre Paris et New York font parfois perdre la boussole à la mère, et la fille se demande : « Le pays en somme, c’était quoi ? » Un autre pays, où le trouve-t-on sinon dans sa tête ? Et que penser de ce qu’on rêve ? Est-ce que ce qu’on imagine est vrai ? Et vrai, c’est quoi ? Qu’est-ce que c’est qu’être étranger ? Se sentir étranger ? Leslie Kaplan nous raconte la rencontre en elle de trois mondes, de trois pays, et de trois cultures. Entre Varsovie, New York et Paris, et au milieu des langues, le yiddish, le français et l’anglais, elle marche sur ses propres traces. « J’aurais bien voulu que l’on m’explique pourquoi j’étais là plutôt qu’ailleurs. »


Un goût prononcé pour les listes


C’est un beau retour sur soi, une quête d’identité dans le passé, ou le souvenir d’une quête à laquelle le présent peut-être donne ses réponses. Son écriture possède un phrasé très personnel, à dominante nominale, avec beaucoup d’ellipses du verbe, c’est rapide, incisif et léger. On pense au dernier livre d’Annie Ernaux, Les Années, surtout à cause d’un même goût prononcé pour les listes. Quand la liste est trop longue, on sourit. On lui pardonne, car après tout elle nomme des choses. Imprégnée de psychanalyse et de philosophie, artiste autant qu’intellectuelle, Leslie Kaplan est très attentive aux évocations du langage, aux images intérieures. Elle révèle une capacité d’émerveillement. Et l’on pense en la lisant : ceux qui aiment ont raison. Elle n’aime pas tout, mais elle aime beaucoup. C’est cet élan de vie qui nous illumine et nous attache à son livre.


Alice Ferney, Le Figaro, 02 avril 2009.


Agenda

Du vendredi 12 au dimanche 14 avril 2024
Santiago H. Amigorena, Nathalie Azoulai, Leslie Kaplan et Jean Rolin au Festival du Livre de Paris

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Mardi 4 juin 2024
Leslie Kaplan à l’Institut français de Berlin

Institut français Berlin
Kurfürstendamm 211
10719 Berlin
Deutschland

+49 (0)30 - 885 902 0

info.berlin@institutfrancais.de

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Et aussi

Leslie Kaplan Prix Wepler 2012 pour Millefeuille

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Leslie Kaplan Grand Prix de la SDGL 2017 pour l'ensemble de son oeuvre

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