— Paul Otchakovsky-Laurens

Les Mains gamines

Prix Wepler-Fondation La Poste 2009
Prix Rhône-Alpes du livre 2009

Emmanuelle Pagano

Les Mains gamines est le troisième roman que nous confie Emmanuelle Pagano. Comme ça, à première vue, ce titre plaisant, presque charmant, semble annoncer une histoire agréable et poétique, pleine d’enfance. Et, de fait, l’enfance est présente dans ce livre et une certaine forme de poésie n’en est pas absente – une forme étrange, d’ailleurs qui, tout en évitant soigneusement la métaphore fait surgir à l’esprit du lecteur des images, des couleurs et des atmosphères souvent splendides.
Mais, en réalité, Les mains gamines racontent une histoire terrible. Celle d’une enfant qui pendant une année scolaire tout...

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Allemagne : Wagenbach

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Jeux de vilains


Une petite fille violée par des camarades de classe est confrontée à ses agresseurs des années plus tard. Un roman cru sur le silence assourdissant des blessures.


Son blog s’appelle « Les corps empêchés » : de corps, dans les quatre autres romans d’Emmanuelle Pagano parus (C’est le troisième chez P.O.L), il n’est presque question que de ça. Celui du petit garçon handicapé de la voisine (Le Tiroirs à cheveux, 2005), celui qui ne contient pas le bon sexe (Les Adolescents troglodytes, 2007). Celui de la petite fille dont on a abusé quand elle n’était q’une écolière dans ce dernier,Les Mains gamines . L’élève du CM2 agressée pendant toute une année par ses camarades de classe est vingt-cinq ans plus tard femme de ménage chez l’un d’eux, devenu propriétaire d’un gros domaine viticole. Elle travaille aussi à la maison de retraite du village, qui donne sur la cour de l’école et où son institutrice de l’époque est pensionnaire. Quand le roman commence, elle doit aider la maîtresse de maison à organiser une fête de retrouvailles entre les anciens copains du CM2 1979-1980. Tous les garçons qui avaient Les Mains gamines . Tous sauf un, Claude.


Quatre voix s’élèvent tour à tour : sa patronne, la vieille enseignante depuis longtemps à la retraite, la mère de Claude et sa petit-fille, écolière de CM2, fille d’un des tortionnaires… Les coupables seront-ils démasqués ? punis ? le roman ne se tient pas du côté du fait divers. Il fait entendre l’intériorité blessée, l’abus de pouvoir, l’impunité du fort, la revanche du faible, la culpabilité du silence. Il écoute les béances, les sutures. Puisque la plupart des protagonistes, eux, entendent mal, n’entendent rien ou entendent trop. Acouphènes, otalgie, troubles de l’oreille interne, bêtes logées au fond, ça leur crie, ça leur dérange, ça leur grince dans la tête.


Prof d’arts plastiques, Emmanuelle Pagano construit ses histoires dans l’espace, les lieux, plus que dans le temps. Toujours inscrites dans un terroir fort (ici un pays de vignes, de terrasses, de châtaignes et de vers à soie, de fruits qui piquent et de fils précieux, de rusticité et de délicatesse qui ressemble à l’Ardèche où vit l’auteur), et la nature semble souvent transmettre aux humains une part de sa sauvagerie. Les corps aussi sont des paysages, des territoires menacés aux frontières que l’on conquiert, que l’on annexe. La romancière va loin, avec un réalisme rude et cru, dans l’exploration de l’animalité féminine, ses plis, ses fluides.


La vieille petite fille violentée écrit dans un carnet qu’elle a toujours sur elle « ses cauchemars de petite fille », dit-elle. « Des poèmes hard », avec des images gore de sexes aux lèvres cousues, de « sexes-bogues aux piquants rétractiles ». « Est-ce que les marques invisibles de violence au creux des cuisses (tous les garçons, tous, tous sauf un), ça peut se plier et se replier. Est-ce que ça peut se ranger dans un carnet ? » se demande son institutrice. Est-ce que le remords rend sourd ?


Véronique Rossignol, LivresHebdo



Un roman qui éclate les clichés angéliques liés aux enfants et se construit à quatre voix pour dire leur cruauté.


On imagine des pâtés de sable, de touchants dessins ratés et des doigts tachés au feutre. Des « mains gamines » du titre, on ne peut pas penser qu’il puisse jaillir autre chose que du mignon, de l’espiègle, de l’innocent. Elles se sont pourtant rendues coupables du viol répété d’une petite fille. Pendant l’année de CM2, chaque, jour, tous les garçons de la classe – sauf un – se sont acharnés sur la même enfant, sous prétexte qu’elle était la fille de gens différents, les babs de ce coin de province. Avec leurs mains, parce qu’à 10 ans c’est ainsi qu’on viole. Le temps a passé, il y a désormais prescription pour ces crimes, y compris la non-dénonciation par ceux qui savaient et n’ont rien dit – car de toute façon, comme l’assure, devenu grand, le seul garçon à avoir refusé de participer à ces tournantes, les enfants ne paient jamais. Vingt cinq ans plus tard, alors que l’enfant violée est devenue domestique chez l’un de ses ex-tortionnaires, celui-ci organise un dîner de retrouvailles des CM2. Est-ce que le quatrième roman d’Emmanuelle Pagano va se transformer en fait divers tendance thriller, en récit d’une vengeance machiavélique ? Pas le genre de cette prof d’arts plastiques, qui creuse une œuvre sur le fil, hantée par les non-dits et les « corps empêchés » (c’est le nom de son blog). Quatre narratrices se partagent le récit des Mains gamines : la femme d’un ex-violeur, la victime, l’ancienne institutrice, coupable de silence, et sa petite-fille, en CM2 à son tour. Elles racontent comment les corps se vengent et crient ce qui a été tu. Les voix ne révèlent rien, ce sont les sens, des oreilles qui souffrent, des odeurs mêlées, qui disent tout ce qui ne peut pas se dire, ce que ces narratrices savent ou pressentent. L’écriture à la fois ouatée et précise de la très douée Emmanuelle Pagano ausculte la place du secret, individuel et collectif, et la manière dont il est révélé. Mais si ce roman chuchoté raconte une histoire terrible, qui soulève les pires pans de l’humain, l’une des forces de son auteur, peintre experte des paysages sauvages de son Ardèche, est d’avoir su éclairer cette noirceur de brefs éclats lumineux. Comme pour rappeler que, par les sens, on peut jouïr de la beauté du monde. Pas seulement souffrir de sa laideur.


Raphael Leyris, Les Inrockuptibles n°665, 26 août 2008



Paysages automnaux de vignobles caressés par des lueurs rougeoyantes, faux calme d’une bourgeoisie paysanne, conversations impossibles : le cadre choisi par Emmanuelle Pagano pour situer son nouveau roman vibre étrangement.


Pas vraiment gothique, pas vraiment trash, vraiment pas bucolique, l’ambiance des Mains gamines mélange toutes ces teintes d’une façon particulière, et l’on se perdrait plus d’une fois dans les chemins pierreux qui mènent au souvenir du viol collectif et quotidien d’une fillette par tous ses petits camarades de CM2 – sauf un, si la bizarrerie de la construction narrative elle-même ne nous ramenait obstinément aux faits.
Les narratrices sont multiples sans que pour autant leurs voix ne se mêlent. Elles tournent autour du même événement, consciemment ou non puisque toutes ne connaissent pas le secret : mais il les habite, inaudible parce qu’il les a rendues sourdes, il se transforme en bête sauvage, en perce-oreille qui met lentement en pièces tympans et sensibilités.


Petite fille d’une dizaine d’années, vieille institutrice à la retraite, quadragénaires si différentes, grand-mère inquiète, ces femmes sont blessées dans leur corps, dans leur rapport à la sensualité, au sexe, et la violence des hommes vient échouer aux portes de leurs rêves, les laisse s’enfermer dans des mots qui ne portent pas en eux la libération promise. L’imaginaire est à la fois un pinceau de lumière qui vient éclairer et changer doucement la réalité, et une bulle qui s’apparente de plus en plus à une prison. Ce qu’elles finissent en effet par comprendre, c’est que les murs dressés par les songes d’enfant ne protègent pas. On devient quand même femme. Les vers à soie ne tissent leur fils immaculés que pour l’industrie agricole. Les licornes vous abandonnent. Les garçonnets cachent des talents de bourreaux et les rôles à tenir finissent toujours par prendre le dessus, par effacer la gamine rêveuse.


Malgré tout, il y a quelque chose de fragile, une musique dont l’innocence prend des accents terrifiants, une lumière transparente jusqu’à en devenir glaciale dans cet ouvrage singulier. Le style a la simplicité des coteaux secs, la rudesse des relations humaines dans cette bourgade qui vit de la vigne et des châtaigneraies : les phrases sont courtes, épuisées par la douleur interne, mais exactes, impitoyablement vraies. Un vocabulaire spécifique vient de temps à autre renforcer l’enfermement des phrases dans les limites de la terre travaillée, entre les enclos des propriétés agricoles. La forêt elle-même fait figure d’ailleurs dans cet univers austère.
Les situations pesantes, étouffantes à en hurler sont rendues avec talent et Les Mains gamines réussit le tour de force de recréer avec des mots le silence, dans toute son épaisseur, dans toute son opacité, ses obscurités. L’équivalence entre ouïe et sexualité est posée dès le départ, omniprésente tout au long du roman, et les « poèmes trashs » de la femme de ménage sont l’expression grimaçante d’une volonté de faire voler en éclats, vingt ans après, le mutisme dans lequel l’indicible a été noyé.


Si l’on est parfois légèrement dérouté par la forme de ce livre, c’est que le fond qu’il dévoile peu à peu est d’une rare violence et ne saurait être reclus dans une enveloppe propre et lisse, claire, jolie. Cependant, il faut noter la qualité d’une narration qui exclut sans compromission la vulgarité, le voyeurisme ; et, pour avoir relevé la gageure d’une écriture à la fois crue et décente, insoutenable et enfantine, Emmanuelle Pagano mérite certainement l’admiration du lecteur qui referme son roman mal à l’aise, la poitrine cerclée d’un étau honteux, envahi à son tour par le goût amer et écœurant d’un silence d’adultes, d’un crime d’enfants.


Aurore Lesage, Parutions.com, 1er septembre 2008



Un sang d’encre, une tache dont on garde le souvenir indélébile.


Emmanuelle Pagano aime les enfants. Tous les enfants. Ses textes en témoignent, avec une tendresse authentique, une empathie qui ne cède jamais à la contemplation béate mais qui relève d’un lien viscéral, d’une compréhension instinctive. Pourtant ceux qui hantent son nouveau roman ont sur les mains les pires souillures. Leurs doigts criminels ont tracé les cicatrices que porte cette domestique, passée au service de ses bourreaux et de ceux qui ont su, mais qui se sont tus. À la souffrance de l’enfant incomprise, lâchement abandonnée à son sort, a succédé l’humiliation de se soumettre encore, aux regards détournés, au spectacle des vies ordinaires. La sienne ne sera jamais qu’une plaie béante.
Récit à quatre voix, Les Mains gamines s’ose au lourd sujet du viol enfantin, de la tournante dans la cour de l’école primaire. Et si le sujet dérange, Emmanuelle Pagano prouve une fois encore qu’elle n’a pas choisi de servir du sensationnel pour émotions faciles. Elle donne à chacune des femmes de son roman un rôle clé, un regard sur le drame. En retrait, elle sculpte le prisme par lequel leurs souvenirs se confrontent et le trouble surgit. Et ce sont les sens qui seuls transmettent l’histoire, divulguent les secrets. Les mots sont sensations, impressions, reflets impitoyables de cette province grisâtre qui étouffe les pires infamies. Imperceptiblement, Emmanuelle Pagano soulève des ténèbres. Révélant les parfums d’humus, la pestilence de maison de retraite ou les effluves intimes qui s’échappent de sa tragédie cruelle. Les mains gamines, assassines, frôlent de leurs doigts sales les pages de ce roman violent et tortueux. Et le silence, coupable, renvoie la victime à son ultime solitude. À son carnet où elle note les noires pensées que le poison du viol a distillé dans ses veines. Un sang d’encre, une tache dont on garde le souvenir indélébile.


Thomas Flamerion, Evene.fr



Emmanuelle Pagano écrit menu, à voix douce, à silences assourdissants, des histoires à chambouler les cœurs, à réveiller les consciences endormies. Elle va crescendo, étouffe la violence pour mieux la révéler, nourrit de mots amis ses récits de folles blessures – celles de l’enfance, qui l’obsèdent et l’obligent à toujours plus de précision, d’authenticité. Ses histoires sont des histoires de tous les jours. De celles que l’on tait, non par pudeur, mais par honte, par lâcheté. Ses personnages sont des gosses de tous les jours. De ceux que l’écrivain a un jour croisés, et à qui elle invente une dignité, à qui elle adresse un peu d’amour.


Après Le Tiroir à cheveux (2005) et Les Adolescents troglodytes (2007), Les Mains gamines met à nu le calvaire d’une fillette qui chaque jour de l’année scolaire, à l’heure de la récréation et dans l’indifférence, surtout de la maîtresse, subit les assauts sauvages des garçons de sa classe, « tous, sauf un ». Ils sont jeunes, trop jeunes, alors ils se servent de leurs mains « gamines » pour fouiller la petite. Presque trente ans ont passé. La petite est désormais domestique. Son patron est l’un de ses bourreaux. Elle travaille, aspirateur, vaisselle, joue la comédie de l’oubli, mais couche dans un carnet un flot de poésies inouïes.


Emmanuelle Pagano écrit la terreur, dit l’innommable, tous ces secrets si longtemps enfouis, si lourds à vivre, avec une netteté forcenée, une sensualité hallucinée. Jamais elle n’accuse. Elle avance dans sa narration comme dans une enquête, variant les tons, multipliant les voix, les paroles d’enfants et d’adultes, celles de l’innocence, celles de la trahison. Pagano malmène les mensonges, leur invente une langue. Elle laisse à son récit le soin d’éclairer la barbarie : « C’est moi, la nuit. »


Martine Laval,Télérama n°3060, 6 septembre 2008



Plaie d’encre


Dans chacune de ces facettes d’un miroir brisé, ce ne sont pas tant les récits qui nous apprennent quelque chose que les réseaux souterrains de l’écriture, où l’on retrouve d’une femme à l’autre les mêmes images de fermeture et de déchirure, élevant le traumatisme enfantin d’Emma au rang de métaphore globale de la féminité. Parmi ces thèmes baladeurs, il y a par exemple la surdité et la réclusion, partagées par l’institutrice et la femme du viticulteur qui souffre d’un insecte coincé dans l’oreille. Une paire de gants en caoutchouc rose passe de Claude à Emma (puisqu’il est question de mains et de doigts) tandis que le signifiant « bouche rouge », qui désigne une sorte de châtaigne prisée, fait aussi image pour un sexe de femme sanglant. Il faut reconnaître d’ailleurs à Emmanuelle Pagano un goût de la documentation qui lui permet, après avoir rabattu sur la « bogue » les idées de vagin et d’aiguille, de trouver une maladie (réelle !) du châtaignier nommée « encre ». D’où la conclusion, en filant la métaphore, qu’« aucun châtaignier ne résiste à l’encre, même les plus solides. »


Si le roman d’Emmanuelle Pagano ne s’avance que mutilé, en morceaux, ce n’est pas par une coquetterie de narration. Le carnet d’Emma propose dès le début une clé à cette difficulté : il y est en effet question d’« un sexe aux lèvres cousues, d’un sexe de toute jeune fille hérissé de piquants, une bogue protégeant son fruit encore trop immature, de petites lèvres enfouies sous des fils de soie, tissés entre les poils pubiens par des chenilles apprivoisées ». Cette image bouleversante (et obsédante dans la suite du livre) d’une infibulation désirée pour se protéger du viol vaut aussi comme philosophie d’écriture.


Éric Loret, Libération, 9 octobre 2008



Emmanuelle Pagano : « L’univers porte tout, s’emporte en tout »


Rencontre avec l’auteur des Mains gamines, lauréate du prix Wepler, pour qui la fiction « recouvre instantanément la réalité »


Le froid a glissé des montagnes avec le soleil couchant. Valence a changé d climat d’un coup. Les passants relèvent leur col et hâtent le pas. De l’autre côté du souterrain qui sépare le cente-ville du quartier haut, Emmanuelle Pagano attend, emmitouflée dans son anorak, chaussures de marche aux pieds. « L’hiver commence, dit-elle en fronçant le nez, contente. Il tombait des flocons sur la route. Elle arrive d’Aubenas, en Ardèche, où elle habite et où elle enseigne les arts plastiques au collège. Elle vient chercher son fils Silvère pour le week-end. « Ça vous embête si on discute chez lui ? Je n’aime pas parler dans les cafés. J’ai l’impression que les gens écoutent tout ce qu’on dit. » Silvère est inscrit au lycée d’ici pour l’option cinéma. Il a bientôt 18 ans. Techno hardcore dans son minuscule appartement. « Tu peux juste baisser un peu ? » Emmanuelle Pagano tire soigneusement la porte de la pièce du fond. Installe des coussins par terre. « Je suis un peu fatiguée »avoue-t-elle. Elle était en Alsace la veille, à Erstein, pour le prix qu’un jury de lycéen et de collégiens a décerné à son dernier roman Les Mains gamines. Et à Paris avant pour un autre prix : le Wepler-Fondation La Poste. « J’étais vraiment contente, raconte-t-elle. Ça a été un beau moment. Mais, si je suis honnête, je dois avouer que je me suis senti plus à l’aise avec les élèves d’Erstein. Je ne fréquente pas les brasseries, les soirées. Ce n’est pas vraiment mon monde. » Son monde, il est tout entier dans ses livres. Un monde solitude, de temps sec, de temps glacé, d’eau, de pierres, de terre. Un monde bruissant d’arbres, de bêtes, envahi de sauvagerie calme. Un monde de tristesses lentes et de rages contenues. Un monde de souvenirs enfouis dans la peau, d’instinct, d’odeurs. Les pages d’Emmanuelle Pagano ont une charge d’évocation très troublante. Tout s’y rejoint. « J’ai du mal, explique-t-elle avec les personnages. Et je n’aime pas non plus les métaphores gratuites. Du coup l’univers porte tout, s’emporte en tout. » Des destins font lierre dans cette friche vivante. Des histoires de femmes seules et d’enfants qu’on élève comme on peut, d’entrées dans la folie, de viols, de hontes qui durent, de vies nouvelles aussi qu’il faut bien supporter.


Vie inquiète.


« Je n’invente rien dit-elle en chassant, une à une, les questions comme des mouches.Autobiographie ? Allons, la biographie ne se trouve jamais là où on croit qu’elle est. » Elle est née à Rodez en 1969. Des origines paysannes, enracinées en Aveyron. Sa mère est institutrice, son père gendarme. La famille s’encaserne dans les villages du Sud. « J’ai eu des parents unis, une enfance heureuse, insiste-t-elle. Mais c’était plus fort que moi : je m’ennuyais. Alors, je m’isolais pour “penser”. J’arrangeais les choses pour qu’elles me conviennent. J’inventais, je réinventais, avec des morceaux de rêve, des épluchures de temps. » Emmanuelle est plutôt bonne élève. Après la fac à Montpellier, elle passe l’agrégation. « Je voulais devenir enseignante, car je pensais que cela laissait beaucoup de liberté. Je me suis bien trompée. » A 32 ans, sous le nom d’Emma Schaak, elle publiePour être chez moi (éd. Du Rouergue, 2002), un premier roman très proche de la vie inquiète qui est la sienne à ce moment-là. « Mais à peine était-il sorti que tout avait déjà changé. J’avais rencontré quelqu’un. Je n’étais plus seule avec mon fils et ma fille. J’ai compris que la fiction recouvrait instantanément la réalité. » Mariage. Années de couples dans le Vercors puis sur le plateau ardéchois. « Là-haut, on est plein vent, pleine neige. » Après Silvère et Lola viendra un petit Paul. D’autres livres aussi. Le pseudonyme de Schaak, elle l’avait choisi en fidélité à une ancienne histoire d’amour. Désormais son nom de plume sera son nom d’épouse : Pagano. Et il ne servira qu’à cela. Pas devant les gens paraît en 2004, aux éditions de la Martinière. Suivront Le Tiroir à cheveux (P.O.L, 2005). Des textes qui font de ses tricotages du fortuit autant d’échappées belles. C’est le cas de cette petite nouvelle, Le Guide automatique, éditée au début de l’année par Librairie Olympique. « C’est un rêve que j’avais fait. Dans une ferme, derrière la porte d’un local oublié, se tenait un vieil homme. Il racontait des histoires quand on tirait la porte. Sa parole automatiquement déclenchée par l’ouverture. » Avec Emmanuelle Pagano, les mots emmènent la vie. Ils la font céder. Et même ils la précèdent. Elle vient de se séparer d’avec son mari. Elle a coupé ses longs cheveux, enlevé ses lunettes. Elle est descendue dans la vallée, un peu à contre gré. Paradoxe. S’enfermer dans la ville pour pouvoir respirer. « Je me suis rendue comte que je changeais. Et j’allais dire surtout mon écriture. Presque une affaire de saisons. Aujourd’hui, je travaille à un roman épistolaire qui parle de l’absence, du corps, des hommes… »
Sous l’hiver qu’on espère, s’enterrent d’invisibles printemps.


Xavier Houssin, Le Monde des Livres, 19 Décembre 2008.


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