— Paul Otchakovsky-Laurens

Syngué sabour

Pierre de patience
Prix Goncourt 2008

Atiq Rahimi

En persan, Syngué sabour est le nom d’une pierre noire magique, une pierre de patience, qui accueille la détresse de ceux qui se confient à elle. Certains, dans ce livre en tout cas, disent même que c’est elle qui est à La Mecque, et autour de quoi tournent les millions de pèlerins. Le jour où elle explosera d’avoir ainsi reçu trop de malheur, ce sera l’Apocalypse.
Mais ici, la Syngué sabour, c’est un homme allongé, comme décérébré après qu’une balle se soit logée dans sa nuque sans pour autant le tuer. Sa femme est auprès de lui. Elle lui en veut de l’avoir sacrifiée à la guerre, de n’avoir jamais...

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La presse

Déclaration de renaissance


Une afghane se libère à travers des mots brûlants de rage et de désir.


Une femme veille son mari. Elle cale sa respiration sur celle de l’homme blessé. Ses lèvres tremblent. Elle prie, égrène son chapelet, scande quatre-vingt-dix-neuf fois l’un des noms de Dieu, « Al-Qahhâr, Al-Qahhâr, Al-Qahhâr », souffle, recommence. Elle se berce au son de sa propre litanie, veut croire, espérer. Elle craint ce corps inerte, lui murmure des choses insensées, jamais prononcées, fragments de tendresse, d’illusions enfuies. Jusqu’alors clandestine, une audace la tenaille. L’impatience monte en elle. Elle s’insurge et laisse des paroles âpres, folles, terrées depuis trop longtemps s’échapper de ses entrailles. Un flot – toute sa vie – franchit sa bouche soumise. Lui viennent alors des mots interdits, des mots rebelles. Elle apostrophe Dieu et son enfer, insulte les hommes et leurs guerres, maudit son époux, soldat d’Allah, héros vaincu par sa fierté de mâle, son obscurantisme religieux, sa haine de l’autre. Elle prie, elle crie. Elle était silence, abnégation. Elle devient femme. Atiq Rahimi a mis toutes ses tripes de poète afghan dans ce quatrième livre, mais premier écrit en français. Peut-être lui fallait-il abandonner sa langue maternelle, le persan, s’approprier le français pour s’immiscer dans la peau de cette femme courage, se laisser couler dans ses souffrances, écrire pour elle la dignité en lui offrant des paroles de rage, crues, provocantes, chargées de désirs inassouvis – amour, sexe et plaisir proscrits. Un jour, hors d’elle, comme pour se venger de cet époux tyrannique, elle provoquera des hommes en armes, se fera putain. Elle devient violence, se met en guerre contre l’hypocrisie, tient sa revanche : « Je vends ma chair, comme vous vendez votre sang. »Syngué sabour signifie en persan « pierre de patience ». Là-bas, on raconte que jadis existait une pierre magique à laquelle on peut se confier : « La pierre t’écoute, éponge tous tes mots, tes secrets, jusqu’à ce qu’un beau jour elle éclate. Et ce jour-là, tu es délivré de toutes tes souffrances, de toutes tes peines. » Atiq Rahimi s’est fait pierre de patience, a recueilli et réinventé les douleurs et les espoirs des martyrs, toutes femmes de l’ombre, comme pour leur offrir une mémoire, que leurs luttes soient à jamais synonymes de vérité, de liberté. Cette femme, à qui il donne un rôle de tragédienne antique, devient symbole : « Cette voix qui émerge de ma gorge, c’est la voix enfouie depuis des milliers d’années. » Dans une chambre, « quelque part en Afghanistan ou ailleurs », une femme veille son mari. Est-il mort ? en vie ? Dehors, des coups de feu, des pas précipités, des gémissements, puis à nouveau le silence. Dans une solitude de fin de monde, la femme se dévoile, se révèle à elle-même, prend conscience de son corps, égrène non plus le nom de Dieu mais ses souvenirs, ses rêves avortés, son mariage forcé, sa sœur vendue à un vieillard, l’honneur de la famille fondé sur l’intransigeance, l’arbitraire, et puis ces guerres fratricides qui n’en finissent jamais… Hymne à la liberté et à l’amour,Syngué sabour enfle comme un requiem, incantatoire, obsédant. Magique comme une pierre de patience.


Martine Laval, Télérama, 20 août 2008



Au loin, le bruit des bombes


Pour son troisième roman, Atiq Rahimi délaisse la langue persane et opte pour le français. Il reste fidèle à son écriture dépouillée et forte pour décrire la découverte de soi d’une femme dans la guerre.


Depuis Terre et cendres (2000), Atiq Rahimi choisit toujours l’après-déflagration. Ou le plan d’à-côté, là où les yeux ne se posent que discrètement ou pas du tout. Et l’écrivain sonde loin alors, dans la poussière et les événements minuscules, tous ces signes de la douleur incandescente et de la vie qui perdure malgré tout. La focale minimale, tel est son choix toujours pour faire résonner l’énormité du drame. Il opte pour le silence pour que résonne, au loin, plus distinctement, le bruit des bombes. […] Syngué sabour, Pierre de patience se déroule en Afghanistan, mais pourrait aussi se poser ailleurs, partout où la guerre tonne. Pour ce troisième roman, Atiq Rahimi a délaissé pour la première fois le persan pour le français. Et l’on retrouve immédiatement ce style économe qui ne craint ni les silences, ni le blanc des instants suspendus peuplés d’insectes besogneux, ni la répétition des gestes. Une chambre, une seule. Une femme dont on ne saura jamais le nom. Comme d’aucuns autres personnages d’ailleurs, qui traversent la pièce, le livre. Elle veille inlassablement sur son mari, plus du côté de la mort que de la vie, blessé à la guerre, une balle dans la nuque. On sent, on entend, on écoute la guerre par la fenêtre de la pièce. Diffuse puis cinglante d’un coup. Massive mais indéfinie, elle n’en est que plus absurde, plus folle, plus sale.
Toute l’écriture est concentrée sur les gestes de la femme qui égrène son chapelet, encore, encore, encore. Met du collyre dans les yeux de son époux. Change le goutte-à-goutte. C’est le tu, le non-dit qui influent un souffle étonnant dans tant d’immobilité. Et puis cette femme va se mettre à parler, persuadée que son homme l’entend. Elle va lui dire ce qu’elle n’a jamais dit. Sa révolte contre son père, contre lui, ses désirs intimes jamais pris en compte, son amour quand même. Le mari agonisant devient ainsi une syngué sabour, une pierre de patience qui, selon la mythologie persane, détient le pouvoir d’absorber les malheurs et les souffrances, les secrets les plus enfouis. Magique, on la pose devant soi et l’on parle, parle encore. Puis vient le jour où la pierre éclate et l’on est libéré de tous ses malheurs.
Au milieu des bombes, dans cette chambre nue, oubliée de tous, battue par des rideaux aux motifs d’oiseaux, la femme, lentement, se libère.


Lisbeth Koutchoumoff, Le Temps, 30 août 2008



Rancœurs de pierre


Afghane. Atiq Rahimi révèle la parole d’une femme.


« Le pas vert des gouttes de pluie », c’est l’ordalie au quotidien des femmes afghanes contraintes au tchadri, à la soumission et à l’humiliation. L’expression est d’une jeune poète d’Herat, Nadia Anjuman. « Ni sourire au recueil de leurs lèvres. Ni larme pointant du lit tari de leurs yeux. Dieu ! Je ne sais si leur cri lourd peut atteindre les nuages. Ni même le ciel ? » écrivait-elle, peu avant d’être sauvagement battue, jusqu’à la mort, par son mari. Sans doute Nadia Anjuman hante-t-elle ce quatrième livre, à la fois roman et récit, d’Atiq Rahimi, qui, avec sa pudeur habituelle, a seulement cité les initiales de la jeune femme dans sa dédicace. Elle et beaucoup d’autres, toutes sœurs dans le désespoir de leurs vies éteintes, dont les voix ne sont jamais entendues, dont les révoltes demeurent enfouies, dont les plaintes n’ont jamais franchi le bord des lèvres.


Moribond.


Ce « cri lourd », qui n’atteint ni ciel ni nuages, Rahimi va s’employer à le remonter jusqu’à sa source. Point de départ de l’histoire : un moudjahid blessé d’une balle dans la nuque pour une injure jetée à la figure d’un autre, vivant mais inconscient, et sa femme, à son chevet, qui s’occupe de la perfusion. Les jours s’écoulent au rythme des respirations de l’agonisant, des grains du chapelet qu’elle égrène tout en récitant les 99 noms de Dieu, ce qui est censé fait revenir le moribond à la vie. Dehors, la guerre rôde jusqu’à la porte de la maison du couple, située sur la ligne de front. Les combattants font de temps à autre irruption dans la rue. Ils volent, violent, tuent des civils à l’occasion, tandis que, depuis la mosquée voisine, le mollah débite inlassablement ses fadaises. C’est face à ce « héros » devenu muet, probablement sourd, que la parole muette de sa femme va peu à peu se libérer. Le corps blessé va ainsi devenir la « syngué sabour », la « pierre de patience », qui, dans la mythologie perse préislamique, est une pierre magique à qui l’on confie malheurs, souffrances, misères. Elle entend tous les secrets, les absorbe comme une éponge, et un jour elle éclate, délivrant celui qui lui a fait confiance. Grâce à ce corps transmué en pierre, tout va remonter à la surface, le vécu, le refoulé, les peurs, les humiliations, l’enfance aussi, douloureuse, à cause d’un père prêt à vendre ses fillettes pour s’acheter des cailles de combat. Toutes les rancœurs explosent, même la nuit de noce ratée et les frustrations sexuelles. Et la parole, comme la musique appelle la danse, va ensuite entraîner le corps qui, à son tour, bravera les interdits. La femme ira jusqu’à faire l’amour avec un jeune combattant devant le « cadavre vivant » de son mari. Puis lui lancera : « Tiens, voilà ton honneur baisé par un jeune de 16 ans ! […] Ton honneur n’est plus qu’un morceau de viande ! Toi-même tu employais ce mot. Pour me demander de me couvrir, tu me criais : cache ta viande ! En effet, je n’étais qu’un morceau de viande où tu enfonçais ta sale bite. Rien que pour la déchirer, la faire saigner ! »


Blessures


Au bout de sa quête d’elle-même viendra la révélation, dans son sens le plus religieux : celle de son corps. « Oui, le corps est notre révélation […]. Nos corps à nous, leurs secrets, leurs blessures, leurs souffrances, leurs plaisirs… » Une nouvelle fois, Atiq Rahimi part à la recherche de ce qui nourrit la tragédie de son pays. Dans ce qui est son plus beau livre, écrit pour la première fois en français, il fouille dans le nu de l’âme afghane, loin de tous les clichés exotiques de la littérature occidentale sur la beauté des cavaliers, la geste des guerriers, la majesté des paysages… Ce corps mourant et cette femme qui s’illumine à ses côtés sont aussi une métaphore de l’Afghanistan, aujourd’hui entre tonnerre et ténèbres.


Jean-Pierre Perrin, Libération, 18 septembre 2008



Colère afghane


Inoubliable huis clos où une épouse, au chevet de son mari, s’interroge sur sa condition.


La belle écriture dépouillée d’Atiq Rahimi, sa petite musique lancinante et l’acuité de son regard confèrent à ce huis clos une universalité digne des plus grands – on songe à Marguerite Duras, au Sartre dramaturge, à l’absurde de Samuel Beckett, voire à Ernest Hemingway. Étrangement beau, poignant, tour à tour léger et grave, sombre comme une gangue de diamant, Syngué sabour fait partie de ces romans, si rares, qui rendent le temps élastique : trop court, il se lit d’une traite mais ne vous quitte plus.


Tristan Savin, Lire, novembre 2008


Au commencement sera le verbe


Atiq Rahimi publie un conte, écrit directement en français, situé quelque part en Afghanistan


Une femme, un homme, dans une maison, quelque part en Afghanistan.
La mention du lieu pourrait laisser attendre l’ascendant naturel – forcément masculin – qui devrait naître de la situation. Mais Atiq Rahimi joue avec ce troisième roman, à tous égards réussi, un formidable pied de nez à l’histoire, aux préjugés et à la violence qui s’est trop souvent exprimée dans ce pays.
Ici, c’est la femme qui parle et l’homme qui reste coi. Cloué à un matelas par un accident dont le lecteur saura peu, il est forcé d’écouter la logorrhée qui bientôt jaillit de la bouche de sa compagne. L’entend-il ? L’écoute-t-il ? La comprend-il ?
Son immobilité va permettre une lente transformation dans les pensées et les paroles de celle qui fut trop longtemps forcée au silence.
Elle délaisse ses prières pour laisser affleurer ses ressentis, ses regrets, ses secrets, les livrant à celui qui, mutique, est devenu pour elle sa syngué sabour, « une pierre de patience » dans la mythologie perse, un caillou magique sur lequel on déverse ses douleurs : « Et la pierre écoute, absorbe comme une éponge tous les mots, tous les secrets jusqu’à ce qu’un beau jour elle éclate… Et ce jour-là on est délivré. » Avec l’économie de moyens que lui connaissaient les lecteurs du magnifique Terre et cendres ou des Mille maisons du rêve et de la terreur, Atiq Rahimi, naturalisé français depuis une vingtaine d’années, publie ici son premier livre écrit directement en français.
Un conte d’une grande beauté en forme de huis clos, empreint de violence autant que de paix, où le corps reprend ses droits avec dignité, dans une société qui l’a trop souvent bafoué. Même si, Atiq Rahimi le note en incipit, ce pourrait être, « en Afghanistan, ou ailleurs… »

Sabine Audrerie, La Croix


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Vidéolecture


Atiq Rahimi, Syngué sabour, Bande annonce de Syngué Sabour - Pierre de patience, un film d'Atiq Rahimi