— Paul Otchakovsky-Laurens

Shopping sanglant

Raphaël Majan

Extraits des Carnets du commissaire Liberty :
« On pleure moins les victimes quand elles réduisent l’affluence. 
Un suspect qui meurt sous les coups en plein interrogatoire, ça arrive. Mais lorsque c’est en salissant le chandail, ou dit-on le pull ? du commissaire Liberty, ça tourne à la catastrophe. En raison de circonstances particulières, Wallance n’a d’autre possibilité que de se rendre d’urgence au Très Grand Magasin pour redevenir présentable. On trouve tout au TGM : un préfet, une assassine, des victimes et des armes du crime à foison – béni soit entre tous le coin Bricolage, paradis des objets contondants. Mais pas le rayon...

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La presse

Le sang des poètes


La publication des Belles images d’Hara-Kiri, dont nous avons parlé la semaine dernière, annoncerait la fin de cette époque bénie où régnait le bête et le méchant. L’esprit de transgression serait mort. Incapables de rivaliser avec les divines outrances de nos aînés, nous ne serions plus que les enfants frileux et figés du bon goût de la démocratie participative. La Gaule serait entres les mains des centurions de l’ordre juste… Toute ? Non. Car au fond des librairies, un petit livre peuplé d’irréductibles hors-la-loi résiste encore et toujours à la moralisation. En héros récurrent, l’infect commissaire Liberty. « Il a sa manière bien a lui d’œuvrer pour le bien national, n’hésitant pas à commettre des crimes si le besoin s’en fait sentir, par exemple parce que quelqu’un l’a énervé et tout le monde s’en serait débarrassé pareil s’il en avait le pouvoir, le courage et l’impunité, mais enquêtant ensuite avec un tel zèle qu’un ou une coupable se retrouve implacablement en prison, assurant aux braves gens un sommeil solide. » Ces petits romans de gare à la syntaxe relâchée, aux néologismes barbares, Raphaël Majan les fabrique à la chaîne depuis quatre ans, il en est à son vingtième opus, tous plus hilarants les uns que les autres . On pense évidemment à San Antonio, et on a bien tort. Ici, nul « travail sur le langage », c’est la loufoquerie de situation qui secoue les phrases, lesquelles semblent courir après l’intrigue, et s’épuisent souvent, par manque de souffle, dans des compléments d’objets interminables qui rappellent subtilement le style à la fois laborieux et distancié des rapports de police. Une écriture crue, efficace et moche. Je l’ai découverte il y a deux ans, j’en étais tout épanoui, et chaque fois que je croise son éditeur dans le métro, je lui demande comment ça marche, cette série et quand est-ce qu’ils vont en faire des films, des feuilletons pour la télé, des jeux vidéos, que sais-je encore ? Ben non. Rien d’extraordinaire du côté des ventes, et encore moins du côté des adaptations. Les aventures du commissaire Liberty n’ont toujours pas rencontré le large public auquel elles paraissent pourtant s’adresser. Il ne faudrait pas que cette situation s’éternise, je vous préviens, car le commissaire Liberty est un homme vaniteux, susceptible et tout. Dans Shopping sanglant, il tue plusieurs personnes qui lui manquent de respect. La première au rayon bricolage, avec un tournevis et une scie électrique. La deuxième au rayon plongée sous-marine à l’aide d’un tuba et d’un harpon. Mais il se pourrait bien qu’il descende à la librairie de ce Très Grand Magasin et règle le compte d’un de ces auteurs à succès en pleine séance de signatures, ou d’une de ces vendeuses qui poussent à la vente toujours les mêmes, je ne citerai personne, mais vous voyez de qui je veux parler. Et que ces critique pseudo-littéraires, en réalité fainéants paraphraseurs qui font exprès de l’oublier et de ne pas rire à ses exploits, se méfient… Une chose pourrait l’empêcher le commissaire d’égorger un représentant de chez P.O.L avec le bandeau rouge du dernier prix Goncourt que le commissaire Liberty n’a même pas ouvert mais qu’il trouve d’autant moins mérité qu’il est publié chez le même éditeur… une seule chose, disais-je, pourrait arrêter son geste justicier : le premier roman du jeune Théo Diricq, Encore un jour sans massacre. Attiré par le titre, il pourrait bien lire ce livre et ouvrir les bras en s’écriant : « Fiston ! »


Christophe Donner, Le Monde 2