— Paul Otchakovsky-Laurens

Compression

Nicolas Bouyssi

Le héros du troisième roman de Nicolas Bouyssi est aveugle. Il a une sœur qui s’occupe beaucoup de lui, quoiqu’il en pense ou en dise, et une colocataire qui veille au quotidien. Cette histoire commence alors que la sœur du héros ne vient pas à un rendez-vous fixé. En fait, il ne s’agit pas d’un simple rendez-vous raté : elle disparaît et ne réapparaîtra pas de tout le livre. Désarroi du personnage dont toute la vie va devoir s’organiser autour de cette disparition qui le remet aussi en cause, grand malaise du lecteur qui entre dans un esprit que la cécité a passablement perturbé. Phobique de tout ce qui peut ressembler à de la compassion ou de...

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La presse

Une vie, mode d’emploi


Quand un détail mène une vie à l’explosion : c’est ce mouvement que travaille Nicolas Bouyssi de livre en livre, avec une absolue délicatesse.


En deux ans et trois romans, le très cohérent Nicolas Bouyssi s’est déjà taillé une forme de spécialité. Chez cet écrivain de 37 ans, c’est toujours de changement de vie, au sens quasi ontologique beaucoup plus que pratique du terme, qu’il est question. Dans Le Gris, son très impressionnant premier roman, comme dans En plein vent et comme, aujourd’hui, dans Compression, on rencontre ses personnages au moment où toute leur existence est remise en question.

À partir de là, il s’agit de savoir ce qu’ils vont faire de cette opportunité, jusqu’où ils sont prêts à aller pour prendre leurs distances avec une vie qu’ils ont moins choisie qu’accepté de se voir imposer. Quels cheminements mentaux ultratortueux vont les mener à saisir cette chance – si c’en est une. Nicolas Bouyssi est un formidable écrivain de la crise intérieure, qu’il décrit d’une voix où viennent se mêler une absolue rigueur et une absolue délicatesse.

Alors que, dans ses deux précédents livres, la prise de conscience venait de ses personnages eux-mêmes, de leurs cogitations sur leur mode d’existence et celui de la société tout entière, dans le parfaitement maîtrisé Compression elle vient d’un élément extérieur. Le narrateur, un homme aveugle, se retrouve soudain abandonné par sa sœur, son seul lien affectif. Ils avaient rendez-vous, elle l’a planté, pour ne plus reparaître de tout le livre, alors qu’elle passait le voir deux fois par jour, et que ni la police, ni les hôpitaux n’ont rien à son sujet. La remise en question de ses habitudes – horaires, jours de promenade à deux… – débouche sur celle de son rapport au monde tout entier.

C’est donc l’histoire d’une émancipation que raconte Nicolas Bouyssi. Mais s’il est un écrivain aussi intéressant, c’est parce qu’il prend la tangente par rapport aux attentes de son lecteur. Son personnage le dit lui-même : il n’est « pas touchant » – comme devrait l’être un personnage de roman, plus encore affublé d’un handicap. Il ne veut pas d’empathie ou de pitié, avec le cortège d’expressions toutes faites que ces réactions entraînent. Il se décrit avec une hyperprécision parfaite pour coller à une voix d’aveugle, sans rien cacher de ses défauts ou de la semi-folie où l’a plongé l’impossibilité de distinguer « un souvenir d’un fantasme ».

Son handicap n’est pas son problème principal, mais une limite sur laquelle il vient buter dans ses tentatives d’autonomisation, qu’il s’agisse d’obstacles pratiques ou de la sollicitude proche du harcèlement que son état déclenche chez les passants. Et s’il aime passionnément se plaindre, c’est pour des raisons qui n’ont pas forcément de lien avec son incapacité à voir, mais avec des blessures d’enfance.

Après la « compression » dans laquelle il a maintenu son existence, on assiste, au fil des pages, à une explosion : de folie, de violence, des carcans minuscules qui contenaient sa vie… Et puis, aussi, du statut d’un lecteur malmené par le personnage et son auteur. Qui s’avère être parmi les jeunes écrivains français à vraiment compter.


Raphaëlle Leyris, Les Inrockuptibles, 31 mars 2009