— Paul Otchakovsky-Laurens

En enfance

Mathieu Lindon

Ça y est, à nouveau il est un enfant. Il veut s’accaparer celui qu’il a été. Cette fois-ci, l’enfance est une décision. Comme si un enfant l’attendait dans une grotte, protégé du monde et du temps depuis toutes ces années. Avec ses trésors et ses naufrages, il est ce voilier qui flotte à tout vent. Armé de souvenirs, de sensations retrouvées qui s’agglutinent, fidèles et infidèles, il sera à jamais cet enfant-là, dorénavant.

À quoi ça sert, l’enfance ? On tombe là-dedans pour y faire quoi ?

Être un enfant, c’est comme être un dinosaure, ça remonte si loin. Il veut...

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La presse

Lorsque l’enfant paresse…


… c’est qu’il est occupé à inventer le monde. En 111 chapitres, l’écrivain se souvient et nous livre les clés de son univers.


Souvent, l’expression « en enfance » est précédée du verbe « tomber ». Et c’est bien d’une chute dont nous entretient Mathieu Lindon dans ce récit en cent onze séquences, chute dans le souvenir, le rêve et la peur, dans le désir et le fantasme inassouvi, étourdissant plongeon au cœur d’un pays perdu, qui peut-être n’a jamais existé mais dont on reste l’éternel otage ou l’inconsolable explorateur. L’enfance, l’auteur est tombé dedans tout petit, et, comme tout un chacun, il ne s’en est jamais vraiment remis. À quoi ça sert, cette descente aux sources du monde, où trésors et naufrages se défient et s’effacent à n’en plus finir ?

L’enfant de Mathieu Lindon, qui est bien sûr l’enfant Mathieu Lindon, est un héros très occupé. Il doit gérer une fratrie dont il est le cadet, s’imagine footballeur, jockey, tennisman ou cow-boy, organise à coups de dés le tournoi de Roland-Garros, fonce à bride abattue vers Fort Navajo pour y mener son propre frère à moitié mort, négocie des fortunes au Monopoly, part en colonie de vacances, devient sur un coup de tête Tarzan, amant de Lady Chatterley ou homme-grenouille à Bornéo, quand il ne se glisse pas dans la peau de Mortimer en personne à l’instant où il est braqué par un cobra dans Le Mystère de la Grande Pyramide. L’enfance n’est pas une mince affaire, quand il faut en outre assurer du côté de l’apprentissage de la natation et du piano, du latin et du sexe. Même travaillé par les amygdales, les végétations et autres fieffées intrigues de son âge, le personnage, saisi dans cent onze situations différentes qui sont autant d’exploits, au sens exact du mot, c’est-à-dire d’accomplissements décisifs, rend à l’enfance son véritable projet, qui est peut-être d’inventer une alternative au monde réel.

C’est beaucoup d’énergie, bien sûr. S’il lui arrive d’en garder sous la pédale, c’est d’ailleurs uniquement à bicyclette, précaution judicieuse qui lui permettra de battre son cousin à la course. Mais ce qui frappe ici, c’est l’aisance avec laquelle l’écrivain déroule son tapis magique et navigue comme au ras du temps : il y a pourtant loin des chansons de Babar à celles d’Apollinaire qui leur font contrepoint aux portes ultimes de ce royaume englouti. C’est que l’enfance est longue. La grande réussite de Mathieu Lindon, c’est d’avoir conservé à cette chasse frénétique et toujours recommencée à l’idéal son exotisme, ses parfums oubliés, ses faux-semblants, ses cachotteries, sa férocité aussi. « Il aimerait les chevaux s’ils ne le terrorisaient pas » ; « Parfois il triche, dans l’intérêt du jeu, pour lui garder une vraisemblance » ; « Il a envie de se tuer mais aucune d’être mort » : jamais peut-être on n’avait si bien dit la merveilleuse ambiguïté que seule permet l’enfance, ce carnaval d’équivoques qui en signe le privilège et dont il faudra un jour faire son deuil.


Jean-Louis Ézine, Le Nouvel Observateur, 23 avril 2009


Une enfance à toute berzingue


En cent onze courts chapitres, l’écrivain fait entendre une voix d’enfant bourgeois, bien élevé, entre rires et larmes.


Le retour à l’enfance est le seul chemin à portée de ses pieds. Il ne possède, sinon, aucun sens de l’orientation. Il se perd à deux rues de chez lui, emprunte toujours les mêmes itinéraires pour être sûr d’arriver à bon port, voit toute audace géographique se solder par un pur désastre. Mais les lieux de l’enfance, de n’importe où et de n’importe quand, c’est une certitude : il sait s’y rendre à grande foulées. Le journaliste et écrivain Mathieu Lindon, fils du fondateur des Éditions de Minuit, raconte ses souvenirs heureux de jeune garçon solitaire et sensible. Il a grandi au sein d’une famille bourgeoise et cultivée, avec un frère et une sœur, absolument pas près à en découdre avec le monde. Et pourtant.

La construction d’En enfance est rigoureuse. Cent onze chapitres, faits de trois pages chacun, écrits à la troisième personne du singulier. Des morceaux dix-huit carats. On y éclate en larmes, on y éclate de rire. Il n’y a rien de moins niais et de moins doux que l’enfance. C’est un vrai job de manches relevées que de faire entendre sa voix de frêle garçon bien élevé à qui on ne la fera certainement pas. Le fils cadet gaspille ainsi son énergie à creuser un tunnel à mains nues pour passer la tête, parmi tout un petit monde soudé-dessoudé. Un père intransigeant, une mère impeccable, une sœur ironique, un frère dissipé. Sans compter les autres membres de la famille. C’est du « non, mais ! » à longueur de journée. On a peur de tout (un chien aboyeur) et de rien (un cambrioleur imaginaire), mais il faut bien tenter de donner le change.

Le double enfantin de Mathieu Lindon est un garçon inquiet-angoissé-timide-introverti. C’est, du coup, la guerre. Il ne supporte pas que l’on entre dans sa chambre comme dans un moulin à vent alors qu’on n’ose même pas frapper à la porte du bureau de son père ; il s’invente une appendicite, dont il sera opéré, pour sécher une composition de latin ; il souligne au stylo à bille noir le coupable d’un roman d’Agatha Christie, sur le point d’être lu par son frère, pour se venger de lui ; il ne tolère pas que sa sœur lui assène « agressivité égale frustration » du haut de sa supériorité intellectuelle il boulotte en solitaire des pâtisseries offertes à profusion par son oncle. Mathieu Lindon restitue à merveille les miniséismes, les batailles de territoire, les tendresses ensevelies, les estocades finales. Le monde n’est pas plus petit mais plus grand quand on est enfant. Tout y est disproportionné et intensifié.


Le petit garçon fait toujours tout vite


C’est un univers de rigolades (on ne compte pas les fous rires partagés par tous) et de terreurs (on a l’impression d’être déposé sur un volcan vaguement endormi). La figure du frère aîné, admiré-adoré-vénéré, aimante les lignes d’écriture. Le style est figé dans un tremblé. Phrases contenant comme des clous d’émotion. L’auteur se fait danser devant ses propres yeux. On retiendra : « Il a beau être un puits d’affection, il n’en laisse aucune pénétrer en lui. Il est barricadé, peu importe la superficie de ce qu’il protège pourvu que ce le soit bien. » ; « éclater en sanglots est sa prérogative. Il est toujours anxieux à l’idée que ça tombe sur quelqu’un d’autre, quelqu’un de plus adulte, plus compétent, qui serait moins facile à consoler. » ; « s’il veut être seul, quoi de plus important que de lui accorder la solitude ? Ça le rend fou qu’on ne respecte pas son autisme ».

En enfance sonne comme des cailloux dispersés au fond des poches. On peut d’ailleurs s’en servir pour retrouver un chemin perdu. On ne se préoccupe donc pas de savoir si c’est entièrement autobiographique ou non (ça l’est !) pour avaler le tout par grosses rasades. Mathieu Lindon excelle dans le saisi des choses de la vie. Le petit garçon d’En enfance ne se trouve d’ailleurs qu’une seule qualité importante : la rapidité. Il ne fait pas toujours bien, mais il fait toujours vite. À toute berzingue. On ne sait pas trop pourquoi Mathieu Lindon a choisi, à 54&nbs;pans, de se plonger dans son enfance. Elle affleure aujourd’hui sur sa peau, dans son sourire, au coin de ses relations. Alors c’est juste, peut-être, parce que c’était lui et parce que c’était elle : et que ça le reste.


Marie-Laure Delorme, Le Journal du Dimanche, 28 juin 2009

Son

Mathieu Lindon, En enfance , En enfance - entretien avec Philippe Vallet - France Info - 2009