— Paul Otchakovsky-Laurens

Lumières d’automne, Journal VI

Journal VI (1993-1996)

Charles Juliet

Une quinzaine d’années séparent Charles Juliet de ce Journal qui paraît en ce mois de février 2010, mais quelle importance ? Il se reconnait d’autant mieux dans celui qu’il était à cette époque que le besoin qui le poussait à tenir un Journal ne la pas quitté. Ce besoin est apparu à l’adolescence quand, écrasé d’angoisse, il a pris conscience que le temps l’entraînait inéluctablement vers la mort. Pour éviter que tout disparaisse de son existence, il fallait réagir, garder trace de ce qu’il vivait, recueillir dans des notes le meilleur de ce qui lui était donné.



Les années ont passé et...

Voir tout le résumé du livre ↓

Consulter les premières pages de l'ouvrage Lumières d’automne, Journal VI

Feuilleter ce livre en ligne

 

La presse

Aux pays des merveilles de Juliet


À quoi tient l’aimantation que provoque chaque tome du journal de Charles Juliet ? Au prodige d’un équilibre parfait entre l’écoute de soi et la captation du monde, entre le don et la réception, entre l’anecdotique et l’essentiel. À l’humble clarté de son écriture, à la fois indulgente et intransigeante, simple et fourmillante. Fondement de sa personne, ce jeu des contraires intrigue et rassure Juliet lui-même, qui note, le 15 mai 1993 : « Comment peuvent cohabiter en moi candeur et lucidité ? Timidité et accès d’audace ? Apparent conformisme et inapaisable révolte ? Vie distanciée et adhésion ? Inclinaison au retrait et spontanéité ? »

Écrit entre 1993 et 1996, ce sixième volume de son journal s’intitule Lumières d’automne, en souvenir d’un jour lointain d’octobre, foudroyant de nécessité : « J’ai traversé la petite ville aux rues mornes et désertes, puis ce fut la campagne. Tracée dans la plaine, la route s’étendait devant moi, toute droite. Je trouvais étrange d’être ce marcheur solitaire allant dire à sa mère qu’il venait de bouleverser sa vie. » Interdit, hagard, ivre d’espérance, Charles Juliet s’apprêtait alors à délaisser la médecine pour devenir écrivain. Que la teinte mordorée de ce jour décisif imprègne encore le titre de son journal, cinquante ans plus tard, montre à quel point l’éblouissement est rémanent. Charles Juliet continue d’écrire comme il respire, impérieusement, discrètement, avec une clairvoyance qu’il décortique dans de courts mantras que chacun peut entonner in petto : « Écrire pour déraciner la haine de soi. Écrire pour déterrer ma voix. Écrire pour me clarifier, me mettre en ordre, m’unifier. Écrire pour gravir la pente qui mène à la simplicité. Écrire pour être moins seul, pour parler à mon semblable. »

Sans cesse à l’écoute de l’autre, Charles Juliet sait aussi se faire messager. Les anonymes lui confient leur parole ou leur regard, dans des cafés, des lettres ou des rencontres impromptues. En quelques phrases, fidèles et attentives, il taille un mémorial à chacun et accède subrepticement à leurs « pré-pensées, ténues, fragiles, inconsistantes, qui ne parviennent pas à coaguler, qui disparaissent sitôt apparues ».

Sans fatras ni flagornerie, il excelle à exprimer son admiration pour d’autres foreurs d’âme : peintres, écrivains, musiciens, acteurs, danseurs. Ses hommages sont des mains nues qui s’agitent lentement derrière la vitre. Jamais il ne s’attarde, jamais il ne fuit. Charles Juliet a le sens de la mesure, de l’équilibre. C’est le fruit d’une existence de quête intérieure, de lutte contre le désespoir, qu’il donne à cueillir aujourd’hui. Son automne est devenu printemps et la magie de cette métamorphose le grise et le pousse au partage. Alors le lecteur sent s’élargir son espace intérieur et entonne l’hymne du diariste Juliet : « Voilà pourquoi j’aime tant les journaux, les écrits intimes, les correspondances… En lisant de tels ouvrages, on a l’impression qu’un inconnu est là près de vous, qu’il vous a pris en amitié et choisi pour confident. Et il est passionnant de recevoir ce qu’il a à vous dire, de pénétrer dans son intériorité, de revivre en le savourant ce qu’il a vécu et que ses mots magnifient. »


Marine Landrot,Télérama,février 2010





Lumières d’automne, si loin des ténèbres : Le sixième tome du journal de Charles Juliet offre un périple apaisé en saison de récolte


Près de deux mille pages et quarante années séparent les premières notes du Journal de Charles Juliet des dernières réflexions du poète et écrivain. Entreprise par un être douloureux, fragmenté, terrassé par le désespoir, cette démarche unique par la singularité et la densité de son contenu n’aura été qu’un lent, très progressif cheminement vers la sagesse, l’acceptation de soi et l’amour des autres. Le premier tome s’intitulait Ténèbres en terre froide (1957-1964). Il fut suivi de Traversée de nuit (1965-1968), avant que Lueur après labour (1968-1981) ne fasse, peu à peu, place à l’espérance. L’intense consentement à la vie qui se fit ensuite jour se nomma Accueils (1982-1988), puis L’Autre Faim (1989-1992), jusqu’à ces douces Lumières d’automne (l993-1996) réchauffant aujourd’hui les stériles sillons d’autrefois. Entre ces deux bornes, la naissance d’un homme à lui-même, pudique, intransigeant et lucide, d’autant plus proche de ceux qui le lisent que son exigence de vérité, sa morale intérieure nourrissent un questionnement universel. Explorant cette vérité du cœur par laquelle tous les hommes devraient se rejoindre, Charles Juliet a dépassé ses années de noirceur et accueille aujourd’hui, mieux que tant d’autres, les joies et la souffrance de ses contemporains. Avec compassion. Avec cette sincérité désarmée, cette simplicité, cette acuité qui le rendent si précieux. Ces Lumières d’automne éclairent avec apaisement ce qui fut jadis de l’ordre du tourment. L’écriture (notamment celle de Lambeaux, paru en 1995), la poésie, les lectures (Camus, tant aimé et redécouvert grâce au Premier Homme publié en 1994), la recherche spirituelle (de Thérèse d’Avila à Tchouang-tseu) y tiennent naturellement une grande place. Rencontres, voyages sont l’occasion de célébrer humblement ce qui s’offre. Sans cesse reformulée, l’aventure intérieure s’y trouve évoquée de manière toujours plus limpide, plus accessible : « Clarifié, unifié, devenu simple, j’ai enfin compris qu’il ne s’agit plus que d’aimer. »


Arnaud Schwartz, La Croix, 4 mars 2010



Et aussi

Charles Juliet Grand Prix de Littérature de l'Académie Française 2017

voir plus →

Vidéolecture


Charles Juliet, Lumières d’automne, Journal VI, Lumières d'automne - Journal VI - 2009