— Paul Otchakovsky-Laurens

Je suis complètement battue

Eléonore Mercier

Éléonore Mercier est « écoutante » dans une organisation qui se préoccupe des violences conjugales. C’est à dire qu’elle prend les communications des femmes en état de détresse qui appellent pour pouvoir parler, être écoutées. Elle fait cela depuis plus de quinze ans. Prenant en note sur des cahiers ces entretiens, elle a eu l’idée de réunir en un recueil la première, et seulement la première phrase dite, l’entrée en matière en quelques sorte, la phrase inaugurale par laquelle va commencer l’échange, celle qui dit tout, celle sur quoi va s’appuyer le reste. Cela donne un livre sidérant. Sidérant...

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Traductions

Suède : Elisabeth Grate Fôrlag

La presse

Complainte de la violence


Une fascinante compilation d’appels à l’aide où l’on entend le chant tragique de la violence ordinaire.


Ce n’est ni un roman, ni un essai, ni un récit. Un témoignage sans doute, mais pas seulement. C’est un texte composé de 1 653 phrases. Les toutes premières, prononcées à l’interlocutrice de l’accueil téléphonique d’une association qui lutte contre les violences conjuguales. Elles ont été collectées et alignées les unes derrière les autres par Éléonore Mercier, « écoutante », qui les a notées, jour après jour, depuis quinze ans. L’effet de ce procédé d’accumulation est saisissant. Ces phrases d’introduction, de présentation sont comme des portes derrière lesquelles se cachent, brutes et nues, des tragédies ordinaires, une détresse humaine vertigineuse. Une violence, en fait, beaucoup plus large que strictement conjugale même si, majoritairement, ce sont des femmes en danger qui appellent et, à travers elles, des enfants. L’agresseur est le « mari, le « compagnon », le « conjoint, « l’ami, le « père des enfants, la « moitié », l’« ex »... Beaucoup appellent aussi pour d’autres qui ne veulent ou ne peuvent pas : ce sont des proches (des filles pour des mères, et vice versa, des sœurs pour des sœurs), des collègues de travail, des voisins, quelques professionnels. Il y a aussi des hommes, peu nombreux.

Allusives ou précises, elliptiques ou directes, anodines ou terrifiantes, par euphémisme ou dénégation, élégamment formulées ou empruntées, les entrées en matière déclinent tous les tons de l’aveu, de l’appel à l’aide et de la dénonciation. S’ouvre un effrayant catalogue de situations violentes qui modulent fréquence, durée, intensité, modes opératoires : il y a les coups bien sûr, mais aussi de la vexation à l’humiliation, et de la menace voilée jusqu’à l’intimidation, tout l’éventail mortel de la violence psychique. Et la terreur – « Je commence à avoir de plus en plus peur car avant il frappait sans haine – qui palpite dans presque toutes les phrases, talonnée de près par la culpabilité. « J’ai honte de partout ».

Il est fascinant de voir à quel point une réalité commune – la maltraitance – peut se dire si différemment : aucune redondance. Aucune impression de répétition. Au contraire, ce sentiment inouï que chaque énoncé est unique, en dépit d’images récurrentes, d’emprisonnement, de démolition… Chaque phrase contient sa douleur propre, une manière singulière de raconter l’histoire, qui vient ajouter sa voix à la plainte collective et l’amplifie.

On se dit que de telles formulations, leur involontaire poésie, leur touchante maladresse, la franchise, la terrible justesse, la profondeur naïve qui sont d’une beauté presque indécente, que de telles phrases qui renseignent tant ne s’inventent pas. Est-ce de la littérature ? Franchement, on ne sait pas. « J’ai très envie de croire que l’on peut saisir, à la lecture de ce texte, non seulement ce qui se dit mais aussi ce qui s’entend », avertit l’auteur. On imagine la force de ce texte, lu à haute voix, car le lecteur entend effectivement un cœur de souffrance. Il monte et étreint comme un chant déchirant.


Véronique Rossignol, Livres Hebdo, 25 février 2010




La maltraitance en 1653 phrases


Travailleuse sociale à l’écoute des femmes battues, Éléonore Mercier a réuni les premières phrases de leurs appels en un livre sidérant.


« Je suis complètement battue », « Mon père est violent avec toute la famille », « Mon mari menace de nous tuer moi et les enfants  », « Je vous appelle parce que mon concubin m’a tapée plus que d’habitude  », « Je commence à avoir de plus en plus peur car avant il frappait sans haine », « J’ai bien sûr été battue », « Je pense que je suis victime de violences psychologiques ». Sept phrases parmi les 1 »653 qui composent le livre d’Éléonore Mercier. Presque toutes viennent de femmes – »moins de trente sont au masculin.

La première, Je suis complètement battue, donne le titre. Elle ouvre aussi et ferme le texte, expression crue d’une violence dingue, physique et morale, d’angoisses atroces à propos des enfants. Passe encore qu’« on » les frappe, disent-elles en substance, mais qu’on ne touche pas à leurs petits. Aucun commentaire, juste une explication de l’auteur, « écoutante » dans une organisation qui se préoccupe des violences conjugales.

Pendant dix-sept ans, elle a noté dans des cahiers les communications des femmes appelantes. Puis, elle a réuni en recueil les premières phrases de ces appels. Ces mots dits en premier, et qui disent tout. « Je… », « Mon… », « Ma… », « C’est pour… ».

Qu’il est difficile de respirer après. L’ensemble est sidérant, dérangeant, douloureux, donc nécessaire. Témoignage sur notre société et OLNI, objet littéraire non identifié. Ni roman, ni récit, ni essai, cette longue incantation surprend par sa force littéraire. Tant de vérité et de misère derrière les maladresses de vocabulaire, de style ou d’expression. Tant d’espoirs déçus, d’existences cassées au-delà des mots.

« Nous avons reçu ces phrases comme ça, par la poste, explique-t-on chez l’éditeur, P. O. L. On n’a touché à rien. Éléonore Mercier est venue avec ses cahiers, une sorte de « main courante » des appels. Il nous a semblé extraordinaire de lire dans chaque phrase – qui est chaque fois une première phrase – une vie. D’imaginer la multitude de ces vies et, avec elles, le tragique, la souffrance, la violence, la solitude, l’inquiétude, mais aussi, et juste avant sans doute, l’amour, la passion ou la misère. »

Les phrases recueillies par Éléonore Mercier parlent de femmes et d’hommes. Elles sont des débuts d’histoire de gens et des débuts de fiction. La puissance de ces fictions et de ces imaginaires en dit sans doute plus long sur le réel que beaucoup de documentaires. N’est-ce pas là, la littérature ?


Lucie Cauwe, Le Soir, 12 mars 2010.




L’écoute contre les coups


Depuis dix-sept ans, Éléonore Mercier exerce le métier d’« écoutante », dans une association de soutien aux femmes battues. Et depuis dix-sept ans, elle note dans ses cahiers les mots que lui disent au téléphone ces femmes en détresse. La première phrase par chacune prononcée, surtout, car, explique-t-elle, « cette première phrase dit tout »  le désarroi, la peur, la honte, l’impuissance, l’amour aussi. Replongeant dans ses cahiers, Éléonore Mercier a souligné certaines de ces phrases – 1653, sur près de 20 000 – et, avec ce seul materiau, a composé presque par hasard, un livre. Comme un chant, une litanie, une incantation âpre et foudroyante, étrangement poétique et émouvante. Ce long poème,Je suis complétement battue, Éléonore Mercier l’offre à lire comme un objet esthétique et politique : un hommage aux femmes, de la part d’une féministe résolue, pour qui « le féminisme est un humanisme », et l’offense faite aux femmes une atteinte à la dignité humaine.


Nathalie Crom, Télérama, 17 mars 2010.


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Son

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