— Paul Otchakovsky-Laurens

Outrance utterance

Dominique Fourcade

Outtrance utterance et autres élégies traite de la voix du poème, distincte de la voix du poète. Il traite du temps, de l’air, de la lumière, de l’espace qui sont la matière du mot, et du gouffre, qui est la matière de la phrase. Il traite enfin de la prison, qui est le lieu où opère l’écrivain.


 

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La presse


Les élégies de Dominique Foucade, Un art du laisser-venir


Souvent, en rêve, il met les virgules d’abord...


L’impulsion de franchir, de passer outre. De se contourner ou de se dépasser. Le désir de se redéfinir ou de retrouver le lieu de l’outrance et de l’interdit. C’est toute la question que pose "Outrance, utterance", qui est à la fois, du français à l’anglais, le fait d’aller plus loin ou trop loin, et celui d’articuler (ou de proférer, d’émettre) un énoncé.
Dominique Fourcade se met en roue libre, instaure une détente qui n’est pas un laisser-aller mais, au contraire, un art du laisser-venir. Il se meut dans un espace qu’on pourrait dire aérien, sans entraves, mais ou l’écriture est une lutte nécessaire pour avancer, pour respirer. C’est un espace mental ouvert par la peinture (ou par les mots) comme par les sciences, un espace en tout point sensible à ce qui peut le multiplier, tant la curiosité de l’auteur reste intacte et son souci de bien voir, de dire et de démontrer. Mais non pas tant pour expliquer que pour reculer un peu plus les limites de notre interrogation.


Si le poète, ici, se livre, un poète qui se fait une idée très haute et présente de ce qu’il estime sa mission, c’est qu’il fait partie de l’expérience et se veut un échantillon sociologique pur, susceptible, en quelque sorte, d’intégrer toutes les données. Avant la chute (ou avant la faute), sa phrase est ce grand vol descriptif, au sens où se trouvent mis en question la réalité de l’univers et son avenir, mais dans l’idée que la voix, le mouvement ou la lumière sont des phénomènes de même nature, que la parole est souveraine et qu’en la déployant l’auteur donne corps à l’Histoire.


Ce qu’il demande ou qu’il explore, c’est la mise en liberté inconditionnelle de l’humanité, son accomplissement absolu. Parce que la liberté ne se divise pas et qu’il faut demander l’impossible. Si Dominique Fourcade ne dénonce pas les rapports de force ou la violence, s’il n’est pas un poète de la chute ou des révoltes, il n’en constate pas moins les dégâts. Jusqu’à l’amour se heurte au manque de corps, au déficit global (fût-il implicite) d’un société où "le peuple manque au poème", autant que "le poème manque au peuple". D’où la nécessité d’un regard qui ne cesse pas d’être critique et d’une écriture qui "retourne la peau de la phrase". Et peu importe si l’écrivain est "incapable de venir au bout de la phrase à dire", puisqu’il n’y a pas de point final, et que si "les mots obéissent à la phrase", vient un moment où "la phrase obéit à un mot, un mot de dernière minute". Ecrire est cette façon de vivre, sans retour. "Il y a peu de sol au mot sens."


Voilà pourquoi la poésie de Dominique Fourcade est de celles qui émeuvent, peut-être parce qu’elle brûle sa matière (ou s’agit-il de rompre les attaches) pour mieux atteindre cet intangible dont elle est faite et qui toujours lui manque.
"Elégies" qu’il offre comme un chant muet pour marsquer à son tour le lieu de la comédie humaine, comme une leçon d’apesanteur où nous retrouverions, à travers l’absence, l’univers dans son integralité, tel qu’il est (ou qu’il nous semble être) : suspendu entre ciel et terre.


Ou comme dans les arts plastique sur lesquel elle s’appuie, une poésie plus conceptuelle que figurative, une poésie représentative de l’inexprimable. "Souvent, en rêve, je mets les virugles d’abord" nous dit Dominique Fourcade et ce sont ces phrases sans mots qu’il croit les plus vraies. "Après, on peut ôter les virgules, c’est tout à fait indifférent, la forme demeure le fond."


Dominique Grandmont, L’humanité, 29 juin 1990