— Paul Otchakovsky-Laurens

Petite vie

Patrick Varetz

Petite vie fait suite à Bas monde avec le même « salaud de père », la même « folle de mère », la même grand-mère dominatrice et infirmière, le même horrible docteur Caudron. Mais cette fois l’enfant a quitté la boîte à chaussures qui lui servait de berceau. Quand son salaud de père ne cogne pas sa folle de mère c’est sur lui que s’abat sa violence, quand il ne craint pas sa mort c’est celle de sa mère qu’il redoute, tandis que les soins de Caudron et l’autorité de sa grand-mère finissent de transformer le monde en enfer.
« Sans eux, sans leur inconcevable propension...

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La presse

Coups et blessures


Le bonheur tient à peu de chose. Un peu de calme suffit. Espérer le fait sans doute advenir. « Je ferme les yeux et je précipite le temps, jusqu’à passer - par anticipation - à autre chose. »


Le narrateur de Petite vie de Patrick Varetz est I’enfant qui dit « je » dans son deuxieme roman, Bas monde (2012). L’avorton, fausse fausse couche, qu’on avait placé dans une boîte à chaussure à la naissance faute de couffin, a grandi, mais il flotte encore dans son pyjama. Derrière la cloison il entend les cris, les râles, l’infernal manège de « Daniel son salaud de père » et de « Violette, [s]a folle de mère », la litanie de leur haine conjugale : « Salopard ! - Putain ! Traînée ! Espèce de peau ! - Salaud ! ». L’accouplement, la scène primordiale, il se le visualise : ce mari minuscule plein de rage, s’agitant sur sa démente épouse, « posé sur elle », réduit à « cette petite chose qu’elle s’apprête à absorber tout entière dans son ventre ». Hors de la chambre, c’est une pluie de coups, les poings qui tombent et frappent inexorablement avec cette colère qui ne quitte jamais Daniel, cette brutalité qui assoie sa toute-puissance de frustré et pallie l’échec de sa « petite vie », quand il revient du bar, après l’alcool et les « pouffiasses ». Violette persiste et signe dans son autodestruction insensée, mêlant à la violence du quotidien l’entêtant cauchemar d’un viol subi au sortir d’un bal - deux types, deux frères, l’aîné la plaquant sur les galets pointant un canif vers son oeil, le cadet sous l’injonction du plus grand s’unissant à elle sans conviction. Daniel allumera le poste, et regardera, hébété, defiler dans le bocal les images d’un monde dont il est exclu. Violette sanglotera, gauloise au bec, et couvrira ses bleus de fond de teint. Après un détour par la poesie, Premier mille (2013), où il visitait à travers une myriade de poèmes le thème du chaos intérieur alliant l’incantatoire au mode des Lamentations, Patrick Varetz renoue avec la fiction et les dramatis personæ de la tragédie familiale. On retrouve ici l’atroce docteur Caudron aux cheveux gommés qui avait accouché Violette et qui a pourvu un poste de laborantin à Daniel, et sa « garce d’infirmière » la grand-mère paternelle du narrateur.Que ce soit de manière romanesque ou avec la fulgurance du souffle poétique, l’écrivain pose la même interrogation existentielle, déjà en incipit de Bas monde : « Je n’appartiens pas à ce monde et j’ignore qui m’y a jeté et pourquoi Tout ici vous contraint au bonheur, justement parce que ce n’est l’inclination de personne. » Vertige du malheur qui vous emporte avec d’autant plus de force que la vie vous a inoculé cette fallacieuse promesse de bien-être.


Sean J. Rose, Livres Hebdo, 8 mai 2015



Mon père, ce zéro


Patrick Varetz rachète la « petite vie » de ses parents


Patrick Varetz a inventé une forme d’autobiographie dont l’individu n’est pas le centre. Il a trouvé, pour raconter la misère sociale, un ton épique, homérique, avec des épithète dont la répétition ennoblit les personnages principaux : « mon père, ce salaud » ou « Daniel, mon pauvre salaud de père », et « Violette, ma mère », « ma pauvre mère », «  ma folle de mère ». On retrouve Violette et Daniel dans Petite Vie, après Bas Monde, le roman précédent, où l’enfant, bébé, dormait dans une boîte à chaussures à partir de quoi il recréait l’univers. Les événements de Mai 68, qui surgissent à la télévision, ont une influence directe sur l’existence de Violette, Daniel et le petit Pascal, double ou fantôme de l’auteur, dans la mesure où l’école est fermée, et l’enfant, boucle chez lui. Il a donc 10 ans. Comme Bas Monde, Petite Vie - « cette petite vie qui, par avance, me terrorise » - est écrit de telle sorte que le langage emporte tout. C’est bien sûr l’enfant qui le découvre, et le possède, mais ce n’est pas une victoire destinée à écraser « mon père, ce salaud », ou « m folle de mère . Le père rapporte de l’usine de pétrochimie où il est laborantin une puanteur terrible. Il souffre d’une maladie respiratoire qui l’asphyxie. Le père cogne la mère : « Mon père, ce salaud. Voici donc un homme sans lèvres et sans vocabulaire, qui se révèle transformé par la colère - une rage sans objet, dont il n’est pas acquis qu’elle lui appartienne en plein. » Le père cogne l’enfant, qui trouve trop court le trajet pourtant long qui le ramène à la maison. C’est que le père tente d’enfoncer dans le crâne de l’enfant des choses qui lui serviront plus tard à ne pas devenir comme ses parents. La mère a des principes ambigus. Elle impose à son garçon une toilette en commun avec un gant peu ragoûtant. Elle avale de quoi se suicider, renonce, parvient à vomir ce qu’elle a ingurgité : « Violette, ma mëre, a avalé trop de couleuvres, malgré qu’aucun homme - jamais n’ait seulement tenté de l’endormir avec de vaines paroles. » L’obscénité est le fait de la mère. Les coups du père, c’est quand même un contact, une tendresse, qui vient à manquer quand le père décide de punir son fils en ne le touchant plus. Comment supporter la mère quand le mythique Caudron, le médecin, envoie à l’hôpital le malheureux chef de famille : « Ce sont peut-être les cris de mon père - ses colères - qui nous font défaut, surtout le soir. On n’imagine pas combien c’est éprouvant, parfois, d’achever un repas sans dispute, et sans les hurlements continus de la télévision dans votre dos.»


Claire Devarrieux, Libération, 6 juin 2015

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