— Paul Otchakovsky-Laurens

Les Amours Chino

Christian Prigent

Ce livre fait suite à Les Enfances Chino, roman publié chez POL en 2013.
À la fin du précédent volume, le « héros », Chino, est parvenu au sommet de la pente dite « enfance ». Dans Les Amours Chino, il a basculé sur l’autre versant puis dévalé, longuement, d’adolescence à sénescence, vers les passions (amoureuses, érotiques). Les grandes et les petites. Les « fleur bleue » comme les pornographiques, les durables et les furtives, les douloureuses et les joyeuses, les exotiques et les banales.

De l’évocation de ces épisodes, toujours datés, Christian Prigent a fait un roman, en dix-huit...

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La presse

Les Amours Chino, où vie et forme basculent



Christian Prigent donne un baroque « roman en vers », passage paradoxal à une régularité formelle qui ne fait qu’exhiber l’impossible mise en ordre de la vie et de l’amour.


Chino bascule. Nous l’avions suivi dans ses Enfances, et maintenant, la pente gravie, voici la « dévalée d’adolescence à sénescence ». Et la bascule dans le vers. Si les Enfances Chino commençaient comme un scénario de film, progressaient en accumulant les points de vue, les documents, les notes, dessins, plans, goinfrerie de réel dans les pages de l’écrit, les Amours imposent, dès l’abord, la vision aveuglante de netteté du vers. La mine sévère, trois quatrains sagement rangés sur chaque page, attendent le lecteur. Amours associées à un désir de forme, désir de mise en ordre, peut-être, de ce qui peut se ramasser de toute une vie. La régularité ostentatoire du vers face à l’indiscipline de l’Éros ? Projet jouissif, on l’imagine. Et aussi manière de revenir à une « renaissance », celle des « amours » d’Hélène, de Marie, de Cassandre rimées par Ronsard, archétype du poème amoureux de langue française, même si l’absence du « de » renvoie plutôt au Moyen Âge, comme pour les Enfances Chino d’ailleurs. Les Amours Chino se présentent ainsi comme un « roman en vers », forme qu’on avait rencontrée chez l’auteur dans Météo des plages, où le quatrain compte et rimé était déjà là. Ce qui importe ici, autant que le passage au vers au moment de la bascule, c’est ce que Christian Prigent fait de cette forme, la manière dont il l’utilise pour maîtriser le matériau rebelle de la vie et de la mémoire. Le roman, on l’a vu, se présente comme un ensemble de poèmes de douze vers. Près de trois cents en tout, regroupés en trois quatrains, eux-mêmes rassemblés en dix-huit chapitres, font un volume imposant, à l’échelle d’une vie d’homme. La rigueur exposée dans cette organisation, perceptible « vue du ciel », se dissout à l’approche, à la lecture. Les vers, alexandrins raccourcis, octosyllabes allongés, sont désarticulés par des coupes, des enjambements, des rimes internes. Même si la référence au modèle demeure, l’énergie qui irrigue le roman est mal contenue par la forme classique, qu’elle malmène. On a affaire à un art conscient de ses moyens jusqu’à en organiser l’excès. Quoi de plus important, en effet, que les amours ? Celles de Chino adoptent toutes les formes, se disent selon tous les modes, et l’uniformité typographique des poèmes n’est qu’apparence. On en voit d’élégiaques, de gaillards, pornographiques ou fleur bleue, grinçants, désespérés, triomphants. Toujours blagueurs. Et le roman dans tout ça ? On repérera des épisodes de la vie de l’auteur, l’esprit d’une époque, comme « Chino Mao », où apparaissent de lubriques allusions à l’opéra de Pékin. Les Amours Chino, nourri de lectures de Rimbaud à Proust et Homère, papillonnant des premiers émois aux derniers doutes, est bien, sous les espèces éclatées d’un carnaval baroque, un roman de formation, s’il est vrai que la vie n’est rien d’autre.


Alain Nicolas, l’Humanité, 9 juin 2016