— Paul Otchakovsky-Laurens

Je ne suis pas une héroïne

Nicolas Fargues

Géralde est une jeune femme de 30 ans. Elle est belle, cultivée, maline mais, voilà, ça ne marche pas avec les garçons. Il faut dire que, bizarrement, elle collectionne les mauvais coups… Pourtant, une rencontre lui redonne espoir : Pierce, un jeune homme néozélandais, posé, séduisant, d’une délicatesse et d’une attention auxquelles elle n’était pas habituée. Cela n’est pas vraiment un coup de foudre, mais une agréable opportunité. La contrepartie est que si elle veut que cela ne soit pas sans lendemain, elle doit rejoindre Pierce en Nouvelle Zélande où il est rentré.
Il se trouve que Géralde est noire. Est-ce que cela...

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La presse

Je ne suis pas une héroïne, de Nicolas Fargue : le couple était presque parfait


Si les horizons lointains ont leur place dans les romans de Nicolas Fargues, l’écrivain n’oublie jamais d’ausculter les mentalités françaises, notre identité, nos angoisses et nos obsessions inavouées. Avec la même acuité, il sonde les battements du coeur et les élans des corps en soulignant les codes sociaux, les préjugés culturels, les mensonges et les faux-semblants qui cimentent les rapports en société tout autant que la vie de couple.


Son oeuvre (douze romans depuis 2000) a quelque chose à voir avec les Contes moraux ou les Comédies et proverbes d’Éric Rohmer (cinéaste que ne doit guère priser Fargues si l’on se réfère à ses allusions au cinéma français et américain dans certains de ses romans), du moins dans la cruauté du regard et le souci de débusquer les hypocrisies des personnages.


Avec Je ne suis pas une héroïne, l’auteur de J’étais derrière toi et de Au pays du p’tit reste fidèle à ses motifs, mais, comme le titre le suggère, il abandonne cette fois les héros ou anti-héros masculins, aussi attachants qu’horripilants, qui sont sa marque pour confier la narration du récit à une jeune femme.


Les enfants tristes


Voici donc Géralde, trente ans, Française d’origine camerounaise, qui a enchaîné les CDD en « milieu rédactionnel », activité assez éloignée de son mémoire à la Sorbonne sur James Baldwin et Toni Morrison. Elle collectionne également les relations amoureuses plutôt décevantes dont Alain (butor guadeloupéen) et Pierce (bel indifférent néo-zélandais) constituent deux spécimens.


C’est en rejoignant ce dernier à Wellington pour un séjour d’un an - projet abandonné au bout de quelques jours - que Géralde rencontre le prince charmant en la personne d’Hadrien. Cet universitaire, reporter, réalisateur de documentaires âgé de quarante-deux ans est élégant, cultivé, délicat, ouvert, subtil... Les amoureux s’octroient une échappée belle avec les mélodies de Burt Bacharach en fond sonore. Un conte de fées pour notre héroïne qui n’avait pas vraiment renoncé au grand amour.


Je ne suis pas une héroïne expose les contradictions, les naïvetés, les doutes, les complexes, les désillusions et les espérances de celle que sa cousine décrit comme « une Noire si parfaite, si peu noire, si blanche aux yeux des Blancs ». Comment composer chaque jour avec une puissante culture d’origine, aux valeurs fortes et souvent antagonistes de celles des femmes « libérées » ? Comment vivre avec ces différences que l’on veut nier ou que l’on exacerbe ? Nicolas Fargues gratte les plaies du multiculturalisme et des origines, confronte les discours officiels sur les valeurs de la République à la vie concrète. Ce roman plein de surprises fait entendre aussi une quête intime et universelle : « Empêcher les enfants qui le souhaitent vraiment de devenir un jour de grands enfants tristes. »


Christian Authier, Le Figaro Littéraire, janvier 2018



Nicolas Fargues à la recherche du Temps éperdu


Une Trentenaire noire célibataire aux prises avec les préjugés en Nouvelle-Zélande


A quel point Nicolas Fargues se moque-t-il de son héroïne, de son insignifiance, de sa pensée au ras des pâquerettes, de sa connerie, à laquelle les réseaux sociaux offrent une belle visibilité ? Elle a 30 ans et utilise avec ferveur Instagram et Facebook. Difficile d’assigner à l’auteur un point de vue sur son personnage tant le ton de Nicolas Fargues, publié depuis ses débuts par P.O.L, oscille entre sarcasme et empathie. Le jeu de cache-cache que dispute Fargues avec le second degré crée chez le lecteur une bonne surprise : on ne sait avec lui sur quel pied danser. Le portrait que Libération lui consacrait en 2008 relevait cette incertitude et les ambiguïtés de I’auteur, notant que, ne serait ce que physiquement Fargues était « trop beau pour etre vrai ». II n’a ni l’agressivité de Michel Houellebecq ni l’ironie aux coudées franches d’Emmanuelle Bayamack-Tam mais il est comme eux un écrivain qui capture un air du temps et nous le restitue, échantillon comique et tres juste, sans lourdeur, de la médiocrité ambiante. Attraper ici et là la banalité puis la transformer en un texte drôle, l’exercice n’est pas à la portée de tous. Géralde, I’héroïne de ce roman à la première personne, est une femme noire d’origine camerounaise ; une célibataire à la recherche du grand amour. Elle accumule les boulots et les coups d’un soir ou deux. Sa creativité, son talent, du moins le pense-t-elle, se concentrent dans ses selfies et les « posts » qu’elle mitonne pour les accompagner. Elle n’en rate pas une. Elle se qualifie de « Flamme libérée » et vérifie le nombre de « J’aime » qui récompense son imagination. Si celle-ci venait à faiblir elle aurait toujours la possibilité de remplacer la légende par trois petits coeurs mignons. Géralde a des copines aussi creuses qu’elle. Elle est titulaire d un M2. Intitulé du mémoire : « l’Etre a sa place» chez Toni Morrison et James Baldwin.

Maligne. Géralde a un coeur gros comme ça. Manque d’amour, vacuité, Géralde sait ce que flexibilité veut dire, elle plie bagages et part en Nouvelle-Zélande dans I’espoir d’y retrouver peut-être un compagnon, en tout cas de changer d’air. Et c’est à partir de ce moment là que Nicolas Fargues déshabille lentement son héroïne de sa naïveté. Je ne suis pas une héroïne prend à I’autre bout du monde un tournant : pour se venger d’un homme, Géralde devient maligne. Je ne suis pas une héroïne : tel est le titre de ce livre moqueur sur une fille très seule des années 2010 qui se démène pour trouver un homme ; tel est aussi le cri que pousse Géralde après avoir réussi un exploit loufoque que les journaux célèbrent : elle refuse de devenir une vedette de fait divers et des médias. Quelle bonne idée a Fargues de jouer avec le titre de la chanson de Daniel Balavoine Je ne suis pas un héros.Comme le chanteur, Géralde est en accord avec son temps : entourée de précarité, indignée par un tas de choses insignifiantes et au bout du compte, touchante.

Qui-vive. Nicolas Fargues est parti en Nouvelle-Zélande lui aussi. La dernière page du livre nous apprend que Je ne suis pas une héroïne fut écrit en residence à Wellington. L’écrivain est habitué des voyages et de l’expatriation : il a vécu au Liban, à Madagascar, en Afrique : il a épousé une Congolaise avec laquelle il a eu des enfants.
Son roman autobiographique, J’étais derrière toi (2006), raconte le naufrage de son mariage. Est-ce en s’éloignant autant, en prenant tant de distance que Fargues réussit si bien à entrer dans la peau d’une jeune femme, noire de surcroît ? II nous montre une Géralde sur le qui-vive, captant une multitude de préjugés des Blancs à son égard
alors même qu’ils se gardent de les énoncer : ses cheveux crépus ou le fait qu elle ne soit « pas Charlie », alors qu’elle même appartient à une minorité, I’empêchent de se fondre dans la masse. Fargues parsème son roman de ces écarts qui blessent Géralde, et le fait sans appuyer. II est tout aussi fin quand il se met a la place d’une fille qui cherche à satisfaire le désir des hommes en étouffant le sien : « Je ne peux m’empêcher de fredonner les paroles de cette chanson de Lauryn Hill qui m’ont toujours semblé écrites sur mesure pour caractériser mes relations avec les hommes : Tell me who I have to be / To get some reciprocity », pense-t-elle tandis qu’elle dîne avec un homme au restaurant. II ne I’invite pas, ils partagent l’addition. Outrée par les gougnafiers mais prête à leur dérouler le tapis rouge, Géralde incarne un comportement féminin daujourdhui.


Virginie Bloch-Lainé, Libération, janvier 2018

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