— Paul Otchakovsky-Laurens

J’ai décidé d’arrêter d’écrire

Pierre Patrolin

Qu’est-ce que le désir d’écrire ? Un besoin ou une envie ? Ou encore une manie à laquelle on succombe...Un vice, une habitude contractée malgré soi. Il suffirait alors de décider de s’arrêter pour tenter de le vérifier. Mais cela ne s’avère pas si facile...
Formuler une telle intention d’arrêter d’écrire, c’est affronter de redoutables contradictions qui finissent, ici, par donner un drôle de roman, bouleversant et onirique ! Faut-il vouloir écrire qu’on a cessé d’écrire, ou s’interdire d’écrire qu’il a été impossible d’y renoncer ? Ou encore se priver d’écrire...

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La presse

Que c’est difficile d’arrêter d’écrire !



Certains décident d’arrêter de fumer. De boire de l’alcool. De manger de la viande ou du gluten. D’autres décident d’arrêter le jogging, le tennis ou la drague. Pierre Patrolin, lui, écrivain (une demi-douzaine de livres), a décidé d’arrêter d’écrire. Pas bête. Comme il y a de plus en plus de Français qui écrivent et de moins en moins qui lisent, c’est une résolution sociologiquement heureuse. Pierre Patrolin en a marre de se relire, de se corriger, de biffer des mots, de déplacer des virgules. De conserver et comparer les différentes versions de ses textes. À quoi bon ? Il préfère « laisser le monde exister sans besoin d’être décrit ».


Bien, très bien, mais comment faire quand la démangeaison de l’écriture ne vous lâche pas et qu’à tout moment vous avez envie de noter une réflexion, une description, une question, ne serait-ce qu’un mot ? Le type qui arrête de fumer vire toutes les cigarettes de chez lui, et basta! Mais l’écrivain qui a fourré des stylos dans toutes ses poches et dans tous ses tiroirs? Et qui, surtout, a pris l’habitude de griffonner ce qui lui passe par la tête sur tous les papiers qui lui tombent sous la main, y compris les bordereaux de cartes bancaires, les enveloppes usagées et même sur la paume de ladite main...


La lutte est terrible. Pierre Patrolin écrit, il n’écrit plus. Il est faible, il est fort. Il note, il déchire. Il jette stylos et crayons, il en retrouve, il en rachète. « Aujourd’hui encore, j’ai voulu commencer par renoncer à la première phrase. Celle qu’on écrit avec une tasse de café à la main, le matin. La première phrase de la journée. Celle qui tourne un peu la tête. Qu’on écrit en toussant. » Le lecteur même non fumeur est bien obligé de convenir que cela rappelle l’allégeance à la première cigarette du matin. Pire : comme le fumeur qui arrête, il grossit. Et son comportement devient de plus en plus bizarre. Il est nerveux, irritable. Jour et nuit. Jacqueline, sa femme, s’en alarme. Elle constate qu’il ne l’embrasse plus, qu’il n’a plus envie d’elle, qu’il ne lui parle même plus. Le refus d’écrire va-t-il provoquer la mort de son couple ?


Un jour, un petit oiseau a tapé avec son bec sur la vitre d’une fenêtre. C’est une mésange. Elle revient très souvent cogner de toutes ses forces, à coups de bec sonores. Peut-être, elle, veut-elle écrire, s’exprimer, raconter ? Mais la vitre ne retient pas ses mots. L’homme qui ne veut plus écrire regarde un peu bêtement la mésange qui aimerait être lue.


Sitôt l’oiseau reparti, il se retrouve seul avec son terrible désir d’écrire. Alors, pour ne pas succomber, il lit. Il lit sans cesse, obstinément, plongeant ses yeux dans des livres de toute nature - quel éclectisme! - pour en extraire des phrases qu’il note puisque nous les lisons. Ce ne sont pas ses mots à lui, ce sont ceux de ses confrères qui, eux, n’ont jamais cessé d’écrire. Mais il triche de plus en plus, allant jusqu’à dicter des phrases à son téléphone portable ! On peut de moins en moins lui faire confiance. Il a quand même l’honnêteté de reconnaître ses dérapages tout en en minimisant la portée. « Je n’écris plus. Ou presque plus, quatre mots qui m’échappent de temps en temps, avec le sentiment d’une fiction. Une page, parfois sans importance. Des phrases qui ne sonnent pas. Du vide, en mots. Des histoires. Des images, comme les autres. Sans conséquence. » Si, cela a eu de terribles conséquences ces cinq mots qu’il avait écrits au dos d’un prospectus au début de son sevrage : « Une forêt grise et verte ». Dans cette forêt, il y a bientôt un homme sans bagage qui marche, qui marche, qui ne sait pas où il va mais qui prend conscience qu’il est suivi. Par une bête ? Non, une femme. Que font-ils ? L’amour. Puis, remontant une rivière, ils se séparent. Elle va mal se terminer cette aventure sylvestre, surtout pour la femme.


Mais qu’est-ce que vient faire cette histoire à dormir debout chez un écrivain qui ne veut plus écrire ? C’est une scandaleuse entourloupette. Il n’a cessé de laisser son imagination divaguer dans les bois et, à l’insu de son plein gré, d’en relater toutes les péripéties. De même a-t-il succombé à son irrépressible désir d’écrire le récit de sa tentative perdue de ne plus écrire. Preuve en est ce livre fou fou fou où Pierre Patrolin, ce farceur doué à l’humour impassible, joue avec une réalité fictive, avec ses nerfs et avec les nôtres.



Bernard Pivot, Le Journal du Dimanche, novembre 2018


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