— Paul Otchakovsky-Laurens

L’ état crépusculaire

Rochelle Fack

L’état crépusculaire est un récit parlé qui mêle plusieurs époques et plusieurs lieux pour constituer un monde nouveau où la métamorphose est loi. Un monde habité par des personnages mutants, ayant muté, ou se trouvant dans l’incapacité de le faire par accès de mélancolie. Il y a l’absence, le manque, l’ennui. Et puis la ville que j’ai fini par prendre pour une grande discothèque, le tombeau d’un amour manqué.

J’avais seize ans. Je cherchais à fuir ma vie de lycéenne apparemment sans histoire. Tous les week-ends, je trouvais refuge au Folie’s Pigalle. C’était un rituel. Une espèce de...

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La presse

Émois mélangés


C’est un souvenir de jeunesse, écrit comme en « état crépusculaire », entre une rue du Caire et le quartier de Pigalle, à Paris. La narratrice est amoureuse de Mercedes, serveuse au légendaire Folies Pigalle, boîte de nuit gay et branchée des années 1990. Elle vit avec Emma, qui est un garçon, et ils aiment les combinaisons zentaï, à savoir en latex intégral, pour des trips de claustration érotique. Ils ont des problèmes d’adolescents : « Les lieux sont les plus forts. Face à eux, les humains ne valent rien. Ce sont les lieux qu’il faut connaître, aimer ! C’est avec eux qu’on peut se lier. » Un roman joliment tendu pour retrouver les émois et le fromage blanc cérébral du jeune âge adulte, quand on ne sait pas avec qui l’on se mélange, quand le corps est une liquidité aisément échangeable et qu’on se réveille chaque jour à côté d’un ou d’une inconnu(e) avec qui l’on prend « quand même le temps de fumer une cigarette (...), puisqu’il me tient la main ».


Éric Loret, Le Monde des Livres, 19 avril 2019



Une topographie de la mémoire



À quoi ressemble un livre écrit en dormant ? Écrit entre de courtes phases de sommeil selon une méthode toute surréaliste, L’état crépusculaire se lit comme on erre dans une ville ou un rêve. Monologue intérieur, le quatrième roman de Rochelle Fack explore un état entre chien et loup, proche du somnambulisme. Le fantôme d’une histoire d’amour de retour, la narratrice remonte ses souvenirs le long des boulevards du 18e arrondissement de Paris et des rues du Caire. Les lieux se juxtaposent : l’arrondissement de ses nuits adolescentes et le quartier de Sayeda Zeinab où elle vécut alors qu’elle était en charge d’une mission d’urbanisme. Rochelle Fack trace une topographie de la mémoire aussi détaillée que lacunaire. Une traversée imprévisible aux accents magiques.


Retrouvez l’intégralité de cet article de Flora Moricet sur le site de En attendant Nadeau.




L’émotion des villes


LONG MONOLOGUE BOURDONNANT, L’ÉTAT CRÉPUSCULAIRE DE ROCHELLE FACK RETRACE L’ERRANCE D’UNE FEMME À LA RECHERCHE DE SON PASSÉ. HYPNOTIQUE.




« Les lieux sont les plus forts. Ce sont eux, les marqueurs de mémoire. Ils contiennent toutes les peines. Ce sont des buvards de sentiments. » Voilà pourquoi la narratrice, après un séjour prolongé au Caire, déambule dans Paris. Elle y poursuit des souvenirs de son adolescence et des nuits dans les clubs de Pigalle en compagnie du mystérieux Emma. Ce dernier l’a quittée avant son départ en Égypte, où elle a été envoyée en tant qu’urbaniste responsable du chantier de Sayeda Zeinab. Mais il hante les pages du récit et fait de brèves apparitions çà et là, ombre fuyante toujours en mouvement : « Emma ne gesticule pas par nervosité, il se met à bouger pour éviter de sombrer ». Tandis qu’elle rumine ses dernières années, la narratrice erre des magasins des Halles aux bars de Barbés en passant par son bureau place de Vendôme, convoquant sans cesse Emma, leurs soirées pleines d’excès et d’intensité. Telle une ritournelle sans fin, les mêmes thèmes reviennent : celui de Misr (Le Caire), ville de perdition dans laquelle elle s’est engouffrée et mariée ; celui des mondanités de New York, inextricablement mêlées au nom de l’artiste Jeanne Tripier, décédée en 1944 ; et enfin celui des boîtes de nuit parisiennes du Klub et du Folie’s, desquelles se dégage une forme d’oubli apaisant.
L’inquiétude de la narratrice semble croître au fil des pages. Elle se précipite d’un lieu à un autre, éprouvant une peur étrange à l’idée d’être enfermée, s’imaginant mourir à tous les coins de rue. Son sens des réalités - « il y a, dans la nuit des angoisses, un jour qui siège et ne se dérobe pas. Des gens sortent, d’autres sont trop sortis, mais tous marchent vers un ailleurs dont ils font l’hypothèse. » - s’affaisse peu à peu. Une certaine urgence la prend à bras-le-corps. Alors qu’Emma est plus que jamais insaisissable, la narratrice s’enlise dans une solitude dangereuse. Malgré la cohérence apparente de ses propos, le rythme saccadé de ses phrases, pétries d’exclamation et d’hystérie, souligne sa détresse mentale. « Les quartiers ont la faculté d’envahir les esprits. Ils ressortent du passé comme des mains levées. Il faut leur donner la parole. Toujours ! » Rochelle Fack nous plonge avec brio dans les affres psychiatriques de cette femme malade, créant une tension telle qu’il est impossible de s’en détacher. Jusqu’à la fin du roman, l’on espère assister à un cauchemar éveillé duquel l’on se sauverait. L’on se persuade presque pouvoir croire la narratrice, au lieu de l’observer sombrer dans une forme de folie fatale de laquelle elle ne reviendra pas. Car le mal dont elle souffre - « l’état crépusculaire est caractérisé par une baisse plus ou moins importante et durable du niveau de vigilance » - est, littérairement, incurable.



Camille Cloarec, Le matriucle des anges, avril 2019.


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