— Paul Otchakovsky-Laurens

Grands Carnivores

Bertrand Belin

Lui est récemment promu à la tête des entreprises familiales, personnage sinistre et cynique, jaloux de son frère peintre, cultive l’art de soumettre et de se soumettre, de servir l’Empire et ses valeurs. Il n’a d’autre ambition que la restauration de ce qu’il appelle « la grandeur du pays » quand son frère rêveur fait l’artiste, aime, désire. Cultive ainsi de vaines activités, néfastes à l’ordre général. La joie de l’un éveille l’irritation voire la détestation de l’autre. De cette faille entre les deux frères naît inévitablement un déséquilibre, et beaucoup...

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La presse

HOMME DE L’ÊTRE



ll a suffi à Bertrand Belin d’un roman, son tout premier, Requin (éd. P.O.L, 2015, et en poche chez Folio), pour qu’on le découvre non pas auteur-compositeur en quête de quelque légitimation littéraire, mais écrivain, d’emblée doté d’un univers, d’une voix juste et expressive. Après Littoral (2016), Grands Carnivores, son troisième livre, confirme la singulière précision de son geste romanesque, la netteté aiguë d’une écriture à la beauté incisive. A quoi s’ajoute une énergique vision politique. On assiste, dans cette fable drapée d’ironie corrosive, à la mise sous tension d’une ville, les fauves d’un cirque de passage s’étant, dit-on, échappés de leur cage pour hanter les rues et y faire planer une saignante menace. Mais les grands carnivores auxquels fait référence le titre sont plus certainement les hommes eux-mêmes, acteurs dérisoires et/ou pions maltraités d’une société qui se prétend «saine et stable» alors qu’elle est individualiste, hiérarchisée et policée. Une société dont les laissés-pour-compte - ceux qui «ne sont rien»... - n’ont pour horizon que le naufrage dans «l’ambre de la désespérance».



Nathalie Crom, Télérama, janvier 2019




Fauves qui peut !



On connaissait Bertrand Belin auteur-compositeur à la voix et aux textes graves, entre Bashung et Biolay, puis on l’a découvert récemment au cinéma (Ma vie avec James Dean). Le voilà livrant son troisième roman, dont la publication coïncide, par le génie du hasard, ou du marketing, avec la sortie de son sixième album Persona, et la promo qui va avec.
Voici donc Grands Carnivores : de vrais fauves se sont échappés d’un cirque dans une ville sans nom, à une époque floue. Dans la même cité, deux frères rigoureusement opposés se méprisent. L’un, peintre rêveur, picole avec sa bande d’"idéalistes eczémateux", "des élégants mal couverts", tandis que l’autre, "un opportuniste grincheux, ventripotent et rabougri", se pousse du col après avoir été, à force de bassesses, promu directeur d’une ridicule entreprise de boulons.
Le premier dort sur une paillasse et se soucie de l’avenir comme de sa dernière cuite. Le second investi de la mission suprême de rétablir l’ordre, menacé par la "faune abjecte" de ces traîne-savates même pas patriotes.
Dans cette farce mélancolique et toute simple, Belin, déjà auteur de Requin, en 2015, dompte tout ce petit monde de grands carnivores avec une mordante maestria.

P.L., Le Canard enchaîné, 13 février 2019



Quand les vrais fauves rugissent dans les têtes



Ce ne sont pas des lions échappés d’un cirque qui sèment la terreur, mais quelques grands carnivores à visage humain qui ont le sens des affaires.


Dans une ville portuaire jamais nommée, en une époque vague, de grands fauves s’échappent d’un cirque ambulant nouvellement installé. Émoi dans les chaumières. Les rues se vident de passants. On met les chevaux à l’abri. Les péniches à betteraves sont bâchées, les écoles fermées. Du côté des bourgeois et des notables, on crie au scandale.
Quel cirque que ce cirque ! À la Brasserie centrale, les langues vont bon train devant les verres de calva. Dans les faubourgs, une petite vieille, qui grappille des grains de café tombés des containers, est retrouvée morte. La faute aux lions, dit la rumeur qui enfle.


Bertrand Belin compose là son troisième roman dans une langue efficace et singulière

Bertrand Belin (48 ans), né et grandi à Quiberon, fils d’un pêcheur de pouces-pieds, compose là son troisième roman dans une langue efficace et singulière. Les personnages de Grands Carnivores arrivent à pas feutrés dans le récit. Il y a le « récemment promu » des « entreprises de ressorts, boulons, roulements et roues dentées ». C’est un ruminant au « conservatisme confinant au folklore ». Son ressentiment se déverse en un long monologue poursuivi jusqu’au creux du sommeil.
La veille de l’évasion des lions, il assistait au vernissage de l’exposition de son cadet, un peintre qui fréquente les faubourgs, "cette faune abjecte", selon lui. Entre les deux frères ennemis se faufile la figure victimaire du « valet de cage », employé du cirque. A-t-il oublié de refermer les grilles avant de se coucher ? Rongé de remords, il se concrétise dans le récit par un incessant ressassement des gestes appris par coeur depuis onze ans : « J’ai fait la merde, changé un os, la paille, changé les bassines et j’ai donné un coup de clé. »


Les acteurs de ce cirque très humain remâchent leur présent d’angoisses. Certains sont davantage prédateurs que d’autres. C’est le cas du « récemment promu », fou de rendement. La ville endosse également le rôle de grand carnivore dévorant ses enfants, à commencer par les ouvriers du port aux grains, ainsi que la main-d’oeuvre bon marché des « usines à décerveler ». Quant aux vrais fauves, décidément introuvables, ils rôdent sous les paupières des habitants, «feulant sous les fronts ». On les imagine le ventre creux. Les préposés aux abattoirs s’inquiètent des odeurs fortes de sang qui exhalent des hangars. La peur grandit démesurément. Un désir de lutte gagne soudain le petit peuple congelé. Le préfet, « soucieux d’offrir à la population un signe clair d’action et d’efficacité», coffre le valet de cage.
« Crooner-rocker » élégant depuis plus de quinze ans, Bertrand Belin, qui vient aussi de sortir Persona, son sixième album, multiplie les phrases longues avec afflux de virgules, propositions encagées les unes dans les autres, comme s’il voulait contenir les informations. Ne surtout pas les lâcher en pleine nature. Ses phrases sont constamment tenues, surveillées, en une belle langue classique dûment réinventée.


MURIEL STEINMETZ, L’Humanité, 14 février 2019



Nos ennemies les bêtes



Les animaux du cirque se sont échappés, la population, menacée, tremble et disserte. Une fable incroyable à dévorer crue.



Il avait pourtant tout bien fait comme il faut, le gardien du cirque : « Ce n’est pas possible que j’aie oublié de refermer, j’ai fait l’eau, la paille, un coup de râteau sur la merde, un coup sur le bas des planches, j’ai regardé ce qu’il y avait qui traînait comme os, j’ai fermé et je suis rentré manger ma soupe. » Bernique ! Les lions sont lâchés, ils rôdent dans la ville, tout comme les tigres et autres fauves de grand appétit. Tel est le motif de Grands carnivores de Bertrand Belin, compositeur et chanteur de son état, romancier aussi, puisqu’on lui doit déjà Requin (2015) et Littoral (2016), deux brefs récits soliloqués d’une acuité trempée dans l’humour à froid.

La ville menacée d’être bouffée toute crue est aussi indécise que déplaisante. Y règne sur une foule de prolétaires harassés un « asservisseur patenté » secondé par un « récemment promu » qui mène avec vice une usine de boulons, rongé qu’il est par la haine qu’il voue à son frère artiste. On s’inquiète. Qui s’en étonnerait ? On philosophe au comptoir de la brasserie centrale où le patron s’instruit en essuyant les verres : « La rumeur urbaine, le brouet de l’actualité, les restes d’opinions, les débris de déplorations, [...] tout ça lui entre dans la tête sans peine, fait un tour, s’agglutine à de vieux débris de moralité pour ressurgir en de vagues considérations dont le refrain consiste [...] en une condamnation systématique des autres, autres de toute façon possible pas comme lui, pas d’ici, pas du quartier, pas pareils. » Seuls ceux qui dévoreront cette fable caustique en sauront l’épilogue. Les autres, tant pis pour eux, ignoreront à quelle sauce ils seront mangés.



Alain Dreyfys, Le Nouveau Magazine littéraire, Mars 2019



Règne animal


Un conflit entre deux frères, au moment où les fauves d’un cirque se sont échappés? Avec son troisième ouvrage, le romancier-musicien Betrand Belin réussit une intrigante parabole politique.



La relation entre frères, parfois, ressemble à un combat de fauves. Si les rugissements et les coups de griffes se révèlent certes peu spectaculaires, ils n’en sont pas moins explicites et insidieux. Ainsi, l’aîné, ambitieux en diable, vient d’avoir une promotion dont il rêvait depuis longtemps. Le voilà enfin « directeur des entreprises de boulons ; ressorts et roues dentées » de l’exploitation locale, étendard économique d’une vieille ville portuaire. Nourrissant chaque jour « le vide vorace dont il est devenu l’esclave et l’écrin », le fondateur de la société voit d’ailleurs en ce dernier non pas un élève, mais un véritable «fils spirituel » - même si leurs rapports ont quelque chose d’ambigu. Le « récemment promu », qui « est de cette espèce d’hommes qui signent au bas des documents, non de celle qui les rédige », tient là sa revanche sur son cadet qui, contrairement à lui, a été dès son plus jeune âge un garçon aimé. Faute d’affection, le grand frère a cherché à être redouté, développant au fil des ans un véritable « art de soumettre », seule forme de création qu’il respecte, à la différence de la peinture et des « croûtes » de son petit frère. Celui-ci, d’ailleurs, expose ses nouvelles toiles au Grand Hôtel, au moment où un cirque monte son chapiteau dans la cité. La fête bat alors son plein, en particulier dans le quartier mal famé du Labyrinthe, où les saltimbanques font couler l’alcool à flots. Mais la grande beuverie peut amener les drames : les fauves se sont échappés et demeurent introuvables. Le valet de cage, qui affirme avoir « bien refait la paille, changé l’eau » et avoir fermé l’enclos, serait-il un fieffé menteur?


Aliénation des individus
Connu en tant que musicien et chanteur. Bertrand Belin construit une oeuvre littéraire singulière, composée de brefs romans minimalistes aux airs de paraboles politiques. Après Requin et Littoral, il signe avec Grands carnivores son livre le plus ample et le plus réussi, où chaque mot semble à sa place. Par petites touches et un indéniable sens du rythme, il construit un monde à part entière, reposant sur les oppositions familiales, sociales et philosophiques, sur l’aliénation des individus et sur la peur de l’invisible. Qui n’a pas toujours de crinière...



Baptiste Léger, Lire, Mars 2019



"Bertrand Belin : Quand j’écris, j’ai l’impression de sonder ma colonne vertébrale", un entretien de Maryline Heck avec Bertrand Belin à retrouver sur le site Diacritik.



Et aussi

GOOD P.O.L : concert de Bertrand Belin et Rodolphe Burger (Poitiers)

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Vidéolecture


Bertrand Belin, Grands Carnivores, Bertrand Belin lit quelques pages de Grands carnivores février 2019

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