— Paul Otchakovsky-Laurens

Le soleil est battu

Rochelle Fack

Le soleil est battu est le roman à la première personne d’une rencontre amoureuse, d’une passion émaillée de scènes sensuelles, crues, érotiques, mais qui naît et se nourrit d’une relation troublante à la mort. Doris est infirmière en unité de soins palliatifs à Fréjus. Le roman nous fait découvrir le sud de la France sous un jour inquiétant. Le Var sans son tourisme, ses vacances et ses plages.


La passion amoureuse se construit au contact vivant de la mort, de son inquiétante sensualité, qu’il faut à la fois connaître, apprivoiser, pour travailler, et fuir si l’on veut aimer. Doris quittera son travail, sa...

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La presse

L’étoffe d’une libération


Rochelle Fack nous dépeint le portrait méandreux d’une femme envahie de manies, dont le métier est d’alléger les fins de vie, et qui s’avance peu à peu sur le chemin de la lumière.


« La douleur m’occupe. Sa façon de déborder. De travestir les malades, de les faire déparler. » Cette phrase pourrait être une introduction à l’œuvre de Rochelle Fack, qui donne la parole à des héroïnes invariablement bancales affichant, en marge d’une société relativement saine et policée, leurs blessures, leurs forces de caractère et leurs réticences. Ses cinq romans, tous publiés chez P.O.L, sont autant de monologues nous propulsant dans les univers mentaux de femmes saturées d’errances intimes, d’addictions inavouables, d’enfances mal digérées, d’amours malsaines. En 2019, L’État crépusculaire nous maintenait ainsi en apnée, en plein Pigalle nocturne, entre réminiscences adolescentes et déambulation précipitée à travers la ville. Le Soleil est battu s’ouvre quant à lui sur la douleur. En effet, Doris est infirmière dans l’Unité de soins palliatifs de l’hôpital de Muy, dans le sud de la France. Son rapport à la souffrance et à la mort est forcément original en cela qu’elles font partie de son quotidien le plus banal. La sagesse qu’elle en retire, et avec laquelle elle observe comme détachée le monde autour d’elle, la sépare du commun des mortels. De sa ville qui palpite, en plein cœur de l’été, de « touristes bronzés. Du genre à voir la mort comme une tragédie ».
D’ailleurs, ce n’est pas vraiment sa ville. Doris a longtemps vécu à Paris, du côté de la Gare de Lyon, avant de déménager chez sa mère et son beau-père, Alain. Si la première n’a plus toute sa tête, le second met tout son cœur à meubler les silences, à réparer les béances et à oublier les bavures. Il est attachant, apprécie le cassoulet et se passionne pour l’arbre généalogique de cette famille dysfonctionnelle qu’il a adoptée. Doris s’entend bien avec lui. « C’est l’enfance isolée de cet homme. Sa façon de manger son sandwich à la couenne, un peu comme en secret. Et la violence de sa sincérité. » Cependant, elle n’est là ni pour jouer à la garde-malade avec sa mère, ni en raison d’un burn-out ou d’une envie de déménager au soleil. Doris est atteinte de syllogomanie, une maladie qui la pousse à accumuler compulsivement les étoffes. Elle en vole, en achète, en ramasse, en quantité effrayante. Tant et si bien qu’il lui était devenu impossible, dans son petit appartement parisien, de se déplacer et même de respirer. « Tous ces tissus… Tellement aimés… choyés ! Impossible de m’en défaire ! Impossible de les jeter ! Ils me contenaient ! » Il a fallu une intervention des pompiers pour l’en extirper et la ramener à la vie, à coups de bouche-à-bouche.
Un appel inattendu va tirer Doris de son quotidien convalescent : celui de la mère de Xavier, un garçon avec lequel elle était scolarisée et dont elle était secrètement amoureuse, qui lui apprend le décès prématuré de son fils. Pendant ses obsèques, auxquelles elle assiste sans trop savoir pourquoi, elle rencontre son frère, lequel va peu à peu bouleverser sa routine – « J’ignorais que la vie peut se recroqueviller et tout à coup s’étendre, se redéployer ».
Rochelle Fack nous dépeint avec justesse une remontée vers la lumière, sans cesse vacillante, mais pleine de poésie, de vie et d’espoir. Peu à peu, les penchants morbides de la narratrice s’étiolent, son attraction pour les étoffes passe au second plan, l’amour ou ce qui y ressemble prend le pas sur le reste. Les deux cents pages du soliloque qu’est Le Soleil est battu, parsemées de circonvolutions maladives, de noirceur ironique, de lyrisme envolé, sont une ode au langage le plus secret qui soit, celui qui résonne en chacun de nous, dans cet « espace le plus intime et le plus partagé du monde, le séjour innommable où se parle la langue, énigmatique et sans verbe, qui prépare au silence ».


Camille Cloarec, Le Matricule des Anges, Janvier 2021



Doris, belle quarantaine, travaille dans une unité de soins palliatifs à Fréjus. Avant, elle vivait à Paris, dans un appartement envahi de tissus usagés qu’elle amassait par maladie. "Je souffre de syllogomanie, mais depuis presque trois ans, je suis sevrée." Sauvée de l’étouffement textile, son beau-père et sa mère l’ont accueillie chez eux. La mort l’environne, celle de ses patients auxquels elle s’attache et qui lui permet de toucher leurs étoffes, celle que côtoie l’opérateur funéraire Joachim chez qui elle passe parfois la nuit, celle à laquelle a succombé Xavier Scott, un béguin du lycée Lamartine perdu de vue. Son enterrement sera l’occasion de revenir à Paris et de rencontrer Aurèle. La narratrice semble virevolter, étrangement stoïque aux hécatombes mais l’émotion à fleur de peau.


Frédérique Roussel, Libération, Janvier 2021

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