— Paul Otchakovsky-Laurens

Sarabandes, passacailles, naïades en bikini

Marc Cholodenko

Est-ce l’érotisme de la langue ou celui de situations et d’images mystérieusement évoquées dans le texte qui donne à ce petit livre le rythme d’une fugue ? Séduction, voyeurisme, pornographie. On y croise entre autres apparitions les demoiselles d’un concours de Miss en talons hauts et maillot une pièce, affublées de noms obscènes, les peintres Le Lorrain, Manet, Sol LeWitt, ou encore les Nuits de Cabiria de Fellini, Mae West, Ophélie, un empereur mongol… Mais on y entend aussi des propos salaces, des paroles rapportées, une cantate de Bach, une ballade irlandaise, ou les cris de la jeune garde en 68 à la Mutualité… Et surtout on doit se rendre à un...

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La presse


Ici où rien ne s’invente et tout apparaît il n’y a rien de compréhensible ni partageable qui vienne troubler la sidération de la beauté, ni d’immensément incompréhensible et regrettable comme le temps pour diluer et gauchir ses effets.
On ne va pas vous mentir, l’onirisme littéraire, ça nous ennuie un peu. Depuis belle lurette, le rêve nous semble n’être plus utilisé, en littérature, que dans le carcan étroit de la métaphore ou de la métonymie. Le rêve sera l’expression d’un vécu inconscient (que sa relation sur la page permettra de faire affleurer à la conscience du lecteur), il sera une « ouverture » dans le « réel » (quoiqu’on entende sous ces vocables), il sera l’occasion de se défaire d’une architecture ou d’une structure reconnaissable (souvent à fort peu de frais), etc. Mais toujours, le rêve littéraire est supposé dire quelque chose d’autre que lui-même, dont il est censément l’incarnation, la cause ou l’effet. L’écrivain onirique devenant alors le démiurge par lequel quelque chose, du rêve, est soustrait, qui l’explique ou lui donne une fonction.
Ici cependant l’espace est restreint où conjecturer et doit se refermer comme un œil épuisé pour se rouvrir reposer sur la simple visibilité comme mer brasillant de lumière aurorale où frais qu’ils fussent les bikinis n’ont plus lieu ni aucun corps assez vêtu pour suggérer la nudité ni aucune brise encore pour rien apporter à penser qui puisse retenir le voir d’être traversé par le vu le regard repoussé à l’arrière du regard par le poids de ce qui y est posé.
Avec Marc Cholodenko le rêve est pris au sérieux. Il est ce qu’il est. Il n’est soumis à aucun impératif qui lui serait extérieur. Ainsi, circonscrit à lui-même, le rêve est-il disposé à voir émerger en son sein un langage propre qui en épouse et en dise les contours. On est bien dans un rêve, mais par le langage du rêve. Et c’est cela qui est rend ses Sarabandes, Passacailles, naïades en bikini aussi prodigieusement belles (et drôles aussi) qu’indispensables. L’espace onirique n’y est neuf que parce que le langage avec lequel il nous est rapporté est suscité par le rêve lui-même. Avec ses jeux, ses tours et détours sexuels, ces glissements sémantiques. Et par une étrange réverbération, ce jeu langagier, qui devrait pourtant être d’autant plus éloigné du réel éveillé qu’il utilise comme jamais les outils de l’endormi, nous renvoie à une fascinante exploration de la langue et de ses limites.
Chaque texte, par devers même le plaisir ou l’effort qu’il procure, est un exercice vers une autre lecture. Et dans ce cheminement de lecteur, il nous plaît de penser que l’œuvre de Marc Cholodenko en forme comme une acmé. Un aboutissement qui ne serait pas une impasse.
Mieux vaut utiliser la langue pour creuser.


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