— Paul Otchakovsky-Laurens

L’ Invité du miroir

Atiq Rahimi

Parution à l’occasion de la sortie du nouveau film d’Atiq Rahimi, Notre Dame du Nil (en salles le 5 février 2020).
L’invité du miroir est un bref récit poétique dans la continuité de Terre et cendres ou de Syngue Sabour. Ce texte est inspiré par l’expérience de l’auteur au Rwanda sur le tournage de son dernier film Notre Dame du Nil (libre adaptation du roman de Scholastique Mukasonga, Gallimard, 2012).
« Me voici, écrit l’auteur, vingt-quatre années plus tard, avec la même rage, les mêmes questions, le même besoin viscéral de reconnaître les désastres de l’Histoire, de les nommer, les...

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CRITIQUES


A l’origine, dix mille kilomètres les séparaient, et les voici aujourd’hui réunis, sur grand écran. Lui, né à Kaboul, en Asie centrale. Elle, à Nyamata, en Afrique de l’Est. L’un et l’autre ont choisi, pour se sauver, d’écrire en français. Exilés, ils ont demandé à notre langue, qui s’assoupissait, qu’ils ont réveillée, d’exprimer leur colère et leur souffrance, si ressemblantes.
Car l’Afghan Atiq Rahimi, prix Goncourt 2008, dont le frère a été assassiné, et la Rwandaise Scholastique Mukasonga, prix Renaudot 2012, dont la famille tutsie a été décimée par les Hutus, viennent chacun d’un pays déchiré par une longue guerre fratricide. Pour le premier, adapter la seconde, c’est montrer l’universalité des tragédies et du devoir de mémoire. Le choix d’Atiq Rahimi s’est porté sur « Notre-Dame du Nil » (en salles le 5 février), le roman très autobiographique de Scholastique Mukasonga, qui se déroule au début des années 1970 et préfigure, dans un décor de rêve, le génocide de 1994. Sur la crête Congo-Nil, à 2500 mètres d’altitude, là où naîtrait le grand fleuve égyptien, un pensionnat catholique, gouverné par une mère supérieure blanche et placé sous la protection d’une statue de Vierge noire, rassemble des jeunes filles bien nées. Elles y sont préparées à devenir de « bonnes épouses, bonnes mères, bonnes citoyennes, bonnes chrétiennes », bref, la future élite du pays. Tandis que, au loin, le président hutu Kayibanda commence à lancer des opérations punitives contre l’ethnie rivale, le collège Notre-Dame du Nil applique un quota et n’accepte que 10% de Tutsies. Elles sont, dit une élève dont le père est ministre, des « parasites », des « cafards », qu’il faudra bien un jour éradiquer. Le roman et le film, fidèle, racontent comment la peur gagne peu à peu ces jeunes filles à la peau moirée et au nez fin, qui subissent chaque jour des humiliations, et qu’un planteur de café (joué par Pascal Greggory) peint à fresque pour laisser une trace des descendantes de l’empire des pharaons noirs. On se garde bien de reprocher à Atiq Rahimi sa propension à esthétiser voire embellir un sujet si grave, tellement on lui sait gré d’avoir accompagné Scholastique Mukasonga (désormais normande) dans son retour au pays natal et de lui avoir rendu, en images, ce passé dont elle a réchappé pour faire son œuvre et témoigner. Du Rwanda, l’écrivain-cinéaste afghan est d’ailleurs revenu avec un petit livre, « L’Invité du miroir » (POL, 18 euros), où il écrit : « Il faut nommer l’horreur, sinon elle reviendra. »


Jérôme Garcin, L’Obs, janvier 2020



Des mille et une montagnes aux mille collines


Atiq Rahimi, Un ovni poétique pour décrire l’horreur, au Rwanda comme en Afghanistan.


« Génocide ! (…) Il faut nommer l’horreur, / sinon / elle reviendra sous le nom qu’elle voudra, / sous le masque qui l’enchantera. » C’est Atiq Rahimi, cinéaste et écrivain, qui lance ce cri. Nommer l’horreur ? Le Goncourt 2008 avec le délicat roman Pierre de patience sait de quoi il parle. Né à Kaboul, il a vécu la guerre en Afghanistan et la peste des talibans. Son frère a été assassiné. Lui est un rescapé qui a trouvé l’asile en France.
Son nouveau titre, L’Invité du miroir, est un ovni, sur la forme et dans le fond. Sur la forme, il mêle récit, recueil de poésie et carnet de voyage dessiné. Sur le fond, on se demande, avant d’ouvrir le livre, ce qu’Atiq Rahimi est allé faire au Rwanda. Une fois fermé, le lecteur reçoit les mots de l’écrivain comme un uppercut. On est sonné.
Il est rare qu’un homme touché par une tragédie sur penche sur une autre. On se souvient d’André Schwarz-Bart, l’auteur du Dernier des Justes (un autre Goncourt, en 1959) auquel on a reproché de faire un pont entre la Shoah et l’esclavage. Atiq Rahimi a été touché par le roman de Scholastique Mukasonga, Notre-Dame du Nil (Renaudot 2012). La rescapée du massacre des Tutsis évoque, à travers la vie de lycéennes au début des années 1970, ce qui allait devenir en 1994. Rahimi en a fait un film (sortie : le 5 février). Et de son tournage est né L’Invité du miroir. « Non, ce n’est ni par hasard ni par nécessité si je me trouve ici, au Rwanda, pour tourner un film sur les prémices du génocide. Il y a autre chose. Un autre élan. Indéfinissable », écrit-il. Ce drôle de livre est un bijou littéraire qui a, en effet, quelque chose d’indéfinissable. Rahimi narre la rencontre avec une mystérieuse femme en robe bleue, sans nom ni mémoire, un homme « plus ivre que le vent », des pêcheurs et une fille qui nage dans le lac Kivu. « Il y a eu, qu’il n’y ait plus », dit le conteur.
L’écrivain affirme que trois images s’invitent à lui, toutes issues du printemps 1994 : le séisme de la guerre civile en Yougoslavie, la calamité de la guerre fratricide en Afghanistan, et l’atrocité du génocide au Rwanda.
« Du feu, de la machette, du sang, des cadavres, des ruines, des larmes… envahissent les médias, mais pas encore la conscience du monde. » Rahimi cherche à comprendre et à nommer. Sur une double page, le mot « génocide », est écrit en quarante langues. « Me voici vingt-quatre années plus tard, toujours avec la même rage, les mêmes questionnements, le même besoin viscéral de re-connaître les désastres de l’Histoire, de les nommer, les filmer sans cesse. » Tout le long du livre, il est question de la puissance et de la fragilité des mots. Le pays des mille et une montagnes (Afghanistan) résonne avec celui des mille collines (Rwanda).
Partout, la poésie s’écrit avec des blessures et des cicatrices : « Depuis longtemps,/ nous ne parlons plus avec nos morts./ Ils ne nous comprennent plus./ Il faut retourner à l’âge de pierre./ Retailler des pierres/ et y installer les mots oubliés dans la source de nos maux. »


Mohammed Aïssaoui, Le Figaro, février 2020


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