— Paul Otchakovsky-Laurens

Nous allons perdre deux minutes de lumière

Frédéric Forte

Nous allons perdre deux minutes de lumière est une phrase entendue par l’auteur à la télévision, prononcée par une présentatrice météo. Frédéric Forte l’a aussitôt perçue comme un titre de livre potentiel. Et plus qu’un titre, comme modèle, matrice d’autres phrases et de vers. Ce livre est ainsi un travail sur la phrase comme objet poétique familier, pour faire du poème une expérience à la fois intime et partageable, une parole à laquelle chacun peut s’identifier. L’idée était bien de confronter cette phrase matricielle à ce qui fait un quotidien, à...

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La presse

Le temps qui tourne


On ne remerciera jamais assez les Goncourt d’avoir, à travers les lauriers attribués à L’Anomalie d’Hervé Le Tellier, remis l’Oulipo sous la lumière des projecteurs. Et d’avoir rappelé la dimension ludique et accessible de ce mouvement littéraire, bien vivant et toujours aussi inventif. Pour preuve, l’étrange et fascinant petit livre de Frédéric Forte (membre du collectif depuis 2005), Nous allons perdre deux minutes de lumière. Un titre inspiré par les mots d’une présentatrice météo, qui donne le programme et les contraintes de cet exercice littéraire : sept mots pour sept parties de sept pages, sept titres (en braille, pour symboliser la perte de lumière !) qui déterminent le contenu du texte ; douze syllabes pour des pages composées de douze strophes de douze syllabes chacune. Faisant se côtoyer « le merveilleux avec l’ordinaire », l’auteur explore alors très librement (et sans majuscule en début de phrase !) le quotidien, le plus anecdotique parfois, soudain troublé par un mouvement, une sensation et la mort qui se rappelle à nous. Comme l’absurde si nécessaire de nos vies — eh oui, « c’est vrai que ça prend du temps d’apprendre à écrire grenouille en japonais »...


Baptiste Liger, Lire, Mars 2021



Frédéric Forte et la lumière de la phrase


L’auteur tisse des vers autour d’un bulletin météo entendu à la télé. Son livre est un travail sur la phrase en tant qu’objet poétique familier.


La phrase a été prononcée par une présentatrice de bulletin météo. Frédéric Forte en a tout de suite senti le potentiel. « Un concentré de poésie », dit-il en présentant son livre. La poésie est là, ô combien, pour qui sait l’entendre, mais pas forcément où on pourrait l’attendre. Pas dans la mélancolie des jours qui raccourcissent, de la lumière qui s’en va « tout doucementsans faire de bruit », comme dit cette chanson qui parle d’automne. Ce qui séduit l’auteur, dans cette phrase, c’est sa parfaite simplicité. Son assurance grammaticale, son absolue véracité, et son irréfutable appartenance à l’univers du quotidien, de « l’infraordinaire », en cela la poésie s’affirme et s’impose.


Sept « chants » de sept pages, douze lignes et douze syllabes


« Nous allons perdre deux minutes de lumière » est aussi un vers. Pas l’alexandrin classique de deux fois six syllabes qui a imprimé son rythme dans toutes les oreilles, mais un « trois fois quatre » plus rare et plus dansant. Ce vers de douze syllabes et de sept mots est un puissant appel à la construction d’une forme solide. Frédéric Forte, membre de l’Oulipo, ne pouvait qu’être incité par le rapprochement sept-douze. D’abord parce que l’arithmétique nous dit que ce sont la somme et le produit de deux mêmes nombres, trois et quatre. Ensuite parce que ces deux nombres ont une fonction particulière dans le calendrier. Ils sont en quelque sorte les « représentants du temps ». L’auteur, composant son livre en sept « chants » de sept pages, chacune d’elles étant constituée de douze lignes de douze syllabes, l’inscrit dans une forme cyclique, le rattachant, à son échelle, aux grands ensembles épiques, dont il paraît comme une version condensée. On appréciera d’autant plus le caractère minimal, « prosaïque » des pages que nous propose Frédéric Forte, jouant du contraste entre la « grande forme » patrimoniale et l’ordinaire des notations relevées. Elles appartiennent à la vie quotidienne du poète et de ses proches, mais il faut y regarder de plus près. L’ouvrage n’est pas un journal. Au sein d’une même page, les événements sont parfois chronologiquement éloignés. Et on remarquera que si chacun des « chants » est nommé d’après un des sept mots de la phrase-titre, les textes y font référence d’une manière qui ne laisse pas les affects sur la touche. Ainsi le chant « Perdre », situé au pays de Galles, fait référence au labyrinthe où les enfants « n’ont presque pas essayé de se perdre », au « petit goût amer de la perte », à « perdue perdue encore une soirée dans la plaine ». Le chant suivant,
« Deux » mentionne la disparition de « B », le romancier et traducteur Bernard Hoepffner, noyé presque au même lieu au même moment. On lira de la même façon « Nous », « Minutes » ou « Lumière ». La vie quotidienne fait son entrée dans le poème sous le signe des mots qui sont là, à l’attendre, dans la lumière propre à chacun des chants. Lumière dont le déclin est rappelé par le recours au braille notant chacun de leurs titres. Ce chemin, d’un point à un autre à la manière d’un astre ou d’un photon, ne conduit pas au néant vaste et noir. Il mène à une nuit étoilée, pleine d’éclairs et de phosphènes, où même les aveugles peuvent voir par la magie de l’écriture.


Alain Nicolas, l’Humanité, 11 mars 2021



« Constellation d’hiver », un article de Christian Rosset à propos de Nous allons perdre deux minutes de lumière, à retrouver sur la page de Diacritik.



Un article de Émilien Chesnot à propos de Nous allons perdre deux minutes de lumière, à retrouver sur le blog Sitaudis.



Une chronique à propos de Nous allons perdre deux minutes de lumière, à retrouver sur le blog de Daniel Pozner.


Vidéolecture


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