— Paul Otchakovsky-Laurens

La Conférence des objets

Christine Montalbetti

« Nous, les objets, quelques-uns, ce soir, on va sortir de notre silence. On a des choses à vous dire » (le pèle-pommes). C’est donc une réunion d’objets, dans un appartement, qui discutent de leur état, de leur vie, et de ce qu’ils savent du monde. Cinq objets, choisis pour cinq acteurs : une lampe, une boîte à couture, un parapluie, un pèle-pommes, une amulette. Ils parlent de leurs désirs, de ce qui leur manque, de leur histoire, de leur origine. Ils interrogent ce lien qui les unit à leur propriétaire, dont l’absence plane. Tantôt ces objets nous tendent le miroir de nos propres conflits intérieurs, de nos inquiétudes, (ils vivent plus ou moins...

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La presse

La romancière met en scène la réunion de cinq objets qui donne la parole à la matérialité du monde.


À quoi pensent les objets ? C’est la question faussement loufoque que pose Christine Montalbetti dans une courte pièce de théâtre mettant en scène un pêle-pommes, une boîte à couture, une amulette, une lampe et un parapluie. Leur réunion, qualifiée de conférence, leur donne la parole. D’abord pour décliner une identité : j’étrogne, je couds, j’éclaire... Mais aussi pour documenter des états d’âme singuliers, car oui, les objets inanimés ont une âme. Le blues du parapluie, c’est quelque chose, la mélancolie de la lampe, ça n’est pas rien. Et lorsque les objets se mettent à dialoguer, c’est pour faire part, au sens funèbre, de leur soumission ontologique à leur unique propriétaire, une femme, probablement prénommée Christine qui, lorsqu’elle surgira in extremis, va les fédérer en un programme commun : motus et bouche cousue. Rideau ? Pas sûr, car la révolte gronde parmi nos damnés objets, notamment chez la plus Louise Michel d’entre eux, la boîte à couture, qui rêve d’une nouvelle guerre des boutons, ou du côté du parapluie, Ravachol en gésine, qui formente que ses baleines pourraient servir à éborgner. Dans sa "note de jeu", l’autrice écrit à propos de ses objets en pétard : "Leurs revendications sont les nôtres".


Gérard Lefort, Les Inrockuptibles, décembre 2019



La revanche du pèle-pomme


Au studio de la Comédie-Française, Christine Montalbetti défend la cause des objets. En leur prêtant un supplément d’âme.


Avez-vous déjà songé à la navrante destinée d’un abat-jour ? Vous êtes-vous déjà mis à la place d’une latte de parquet, d’une théière dont on ébouillante les parois ou d’un capteur de particules fines ? Toute la journée à manger de la poussière, suspendu dans le fracas de la ville, et pour quel résultat, hein ? Christine Montalbetti vous le demande. Dans la salutaire Conférence des objets, qu’elle a écrite et met en scène, l’auteure se fait le porte-parole des objets qui peuplent notre quotidien. Ceux dont on use sans le moindre égard et qu’on jette ou remise sitôt qu’ils ont cessé de nous servir.
Pour rendre un peu de leur lustre aux lustres et de cachet aux cachets, elle a fait son marché parmi les comédiens du Français. En la personne de Claude Mathieu, doyenne de la troupe et par ailleurs chevalier dans l’ordre du Mérite, elle a vu une boîte à couture. Pierre Louis-Calixte a quant à lui hérité du rôle de parapluie et Anna Cervinka de celui d’une lampe à pied poncé. Bakary Sangaré joue un grigri tandis que revient à Hervé Pierre le rôle complexe de pèle-pomme. Un pèle-pomme à manivelle et ventouse, s’il vous plaît. "Regardez-moi ces pelures, pas des vilaines, au petit bonheur, de la belle ouvrage, un seul ruban tout d’une traite. Vous serez d’ailleurs gentil de ne pas me fourrer au lave-vaisselle." Pas peu fier le pèle-pomme, limite présompteux... La lampe, qui ne cache rien de ses longues journées d’ennui, la ramène moins. On ne mesure pas combien les objets peuvent se morfondre. Ceux-là surtout, qui datent d’avant l’obsolescence programmée et survivent à leur propriétaire, terminent sur le trottoir, ou chez le brocanteur, en attendant, fébriles, un repreneur.
La force de cette pièce pleine de fantaisie est de ne jamais s’écarter du point de vue de ces personnages inhabituels. Car l’enjeu, très sérieux, est bien ici de renouveler notre perception de ce qui nous environne, de réenchanter notre relation au monde matériel et à tous ces objets dont on ignore qu’ils se posent eux aussi des questions existentielles : qui suis-je, où vais-je, s’interroge le coton-tige usagé. Dans quel état j’erre, où cours-je, se lamente la planche à découper. À force, certains commettent l’irréparable. C’est le cas de ces vases, on en connaît, qui se jettent dans le vide, de ces assiettes qui tombent à la renverse et se brisent. Méfions-nous de l’eau qui dort, dit en substence Christine Montalbetti. De l’eau qui dort dans le radiateur qu’on ne prend même plus la peine de purger. Gardons-nous de notre condescendance d’humains anthropocentrés ou nous finirons par le payer.


Philibert Humm, Le Figaro, décembre 2019



Les choses inanimées déballent leurs états d’âme


Au Studio de la Comédie-Française, une pièce inventive de Christine Montalbetti, "La Conférence des objets", fait parler boîte à couture ou parapluie.


L’appartement est vide. Sa propriétaire est partie pour la journée, ou quelques heures. Pendant ce temps, les objets sont seuls. Qu’en pensent-ils ? La question semble absurde. Elle ne l’est pas vraiment, si l’on aime la fantaisie et que l’on fait confiance au théâtre. Un spectacle en témoigne : écrit et mis en scène par Christine Montalbetti, il s’appelle La Conférence des objets, et il est présenté au Studio de la Comédie-Française, situé dans la galerie du Carrousel du Louvre. Il y avait du monde, le soir de grève où nous l’avons vu, comme il y en avait au T2G de Gennevilliers, au Théâtre national de la Colline, d’autres jours de grève. Certes, les pertes financières sont patentes pour les théâtres. Mais des gens se déplacent, dans des conditions difficiles, pour voir un spectacle. Les directeurs de salles disent qu’ils sont "émus", et on les comprend : le désir d’entendre des histoires surmonte bien des obstacles.


Chacun des objets est associé à un comédien ou une comédienne


Et des histoires, justement, les objets du Studio de la Comédie-Française en ont beaucoup à raconter. Ce sont, par ordre d’entrée en scène : une boîte à couture, un parapluie, un grigri, un pèle-pommes et une lampe. Chacun est associé à un comédien ou une comédienne : Claude Mathieu, Pierre Louis-Calixte, Bakary Sangaré, Hervé Pierre et Anna Cervinka. Christine Montalbetti a écrit spécialement pour eux. Elle leur a demandé de parler de leur objet fétiche, puis elle a laissé voguer son imagination. Bien sûr, elle avait une idée en tête. Pas celle, romantique, de Lamartine — "Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?" — mais une sorte de petite obsession : s’approcher au plus près de ce qui nous entoure quotidiennement, et souvent nous ressemble.
Ce n’est pas compliqué d’éplucher une pomme avec un couteau. Si l’on se munit d’un pèle-pommes, c’est que l’on trouve à cet ustensile plus qu’une utilité : une séduction. Il déroule sans accroc la peau qui dessine une magnifique spirale sur la table de travail, et cela, grâce à l’obstination quasi maniaque de différents bricoleurs qui n’ont cessé de perfectionner sa technique depuis son invention, dans le Massachusetts, au XVIIIe siècle. Hervé Pierre nous l’explique, avec le sourire d’un amateur d’absurde éclairé. Il n’est pas dupe, et se demande si, au fond, ce pèle-pommes qu’il manie avec tendresse, sur scène, et qu’il incarne, en parlant à sa place, ne serait pas un gadget.


Velléités de révolte


Car, oui, les objets ont des états d’âme. Ils se posent des questions. Ils ont aussi des peurs, comme celle d’être oublié, pour le parapluie, et même des velléités de révolte, comme la lampe qui incite ses camarade à faire la grève pour s’insurger contre le peu d’attention qu’on leur porte, et pointer la pénibilité de leur tâche. "Qui d’entre nous accepterait seulement d’être une théière, dont on ébouillante les parois ?", demande la boîte à couture, en s’adressant à la salle. "Songer à votre assiette qui, à chaque morceau de viande que vous coupez, se prend le tranchant de la lame du couteau contre sa faïence", enchaîne le parapluie.


Les objets savent ce qu’ils valent et combien il nous serait difficile de nous passer d’eux


Puisqu’ils ont la parole, les objets ne se privent pas de nous apostropher. Ils sont fiers, les bougres, ils savent ce qu’ils valent et combien il nous serait difficile de nous passer d’eux. Mais brisons là sur ce qu’ils nous racontent. Arrêtons-nous sur celles et ceux qui les incarnent, dans le petite appartement à toile de Jouy sur le mur, et à chausse-trappes, imaginé par Éric Ruf, l’administrateur général de la Comédie-Française. Pierre Louis-Calixte porte une chemise bleue où sont dessinés des nuages, comme le ciel où, de parapluie, il aimerait se transforment en cerf-volant. Il a une grâce aérienne. La boîte à couture de Claude Mathieu est accrochée par des bretelles à sa robe, dont elle épouse les couleurs. La comédienne en joue, de son jeu aiguisé par quatre décennies à la Comédie-Française, dont elle est la doyenne de la troupe.
Quand Bakary Sangaré parle, dans son costume noir, les autres l’écoutent, comme le conteur qu’il est, dessinant avec ses doigts ailés des paysages, des hommes, des animaux et des pierres. Les petites lunettes rondes et les bretelles d’Hervé Pierre répondent à l’art de l’acteur de franchir avec humour les gués de la vie. Quant à Anna Cervinka, avec sa longue robe rouge et son petit gilet tricoté, elle évoque une fine mouche de la mélancolie. Les voir, tous les cinq, heureux de s’amuser à jouer des objets fait le sel d’un spectacle qui ne va certes pas très loin, mais possède une indéniable qualité : il est charmant !


Brigitte Salino, Le Monde, décembre 2019



"La Conférence des objets", Christine Montalbetti ou le parti pris des choses


La romancière, dont plusieurs textes ont déjà été transposés au théâtre, signe sa première mise en scène avec cette pièce écrite pour des acteurs de la Comédie-Française où des objets divers prennent la parole en l’absence de leur propriétaire. Sans tapage, mais avec une charmante délicatesse, ils nous font partager leurs états d’âme. Une merveille.


Il y a, bien sûr, ce vers abondamment cité: “Objets inanimés avez-vous donc une âme (…)“. Incantation passée dans la langue de tous les jours et tellement banalisée qu’on en a oublié le nom de l’auteur – un certain Alphonse de Lamartine, paraît-il. Précisons que le vers, généralement énoncé dans une version tronquée, mérite d’être restitué dans sa totalité: “Objets inanimés avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer?
Il n’est pas certain que Christine Montalbetti ait eu à l’esprit ces mots du poète en concevant La Conférence des objets, pièce de théâtre finement écrite et mise en scène qu’elle présente en ce moment à la Comédie-Française. Impossible pourtant pendant qu’on assiste à ce joli spectacle de ne pas y entendre une réponse à la question posée par Lamartine.
Interprété avec une délicate dose d’humour par les acteurs Claude Mathieu, Hervé Pierre, Bakary Sangaré, Pierre-Louis Calixte et Anna Cervinka, la pièce se déroule dans l’intimité secrète d’un appartement dont la propriétaire s’est absentée. Il y a là, entre autres objets, une boîte à couture, un pèle-pomme, un œil-de-tigre, un parapluie et une lampe. Rien de plus normal à cela près que, dans le clair-obscur, on entend prononcer des mots quelque peu étranges.


Dialogue édifiant


Alors voilà. Je vais parler“, dit le pèle-pomme par la bouche d’Hervé Pierre. À ceux qui considèrent que les objets n’ont pas forme humaine, on répondra que ce que nous montre ici Christine Montalbetti ce n’est pas seulement leur aspect extérieur, mais leur âme que nos yeux humains ne peuvent évidemment pas voir en temps normal. Il y a là d’ailleurs un paradoxe amusant: car si ces objets parlent, c’est justement parce que personne ne les voit, ni ne les entend.
Le spectateur devient donc, en l’occurrence, un voyeur censé assister à ce dialogue édifiant entre des objets à leur insu. Être le témoin de pareils conciliabules ne manque pas d’ironie dans ces temps de robotisation galopante où nous sommes de plus en plus confrontés à des objets qui parlent et réagissent à nos gestes, comme si tout conspirait à rapprocher notre quotidien d’un univers à la Philip K. Dick.
Cependant, alors que des ingénieurs travaillent sur des robots androïdes imitant l’homme à la perfection, les objets vivants de Christine Montalbetti nous renvoient une tout autre image de nous-mêmes dans la mesure où le souffle qui les anime c’est en quelque sorte nous qui le leur insufflons. Ils sont issus de nos rêveries, de l’imaginaire de l’enfance, ils appartiennent à l’univers du conte, on les a déjà rencontrés chez Andersen ou chez Kafka.
Ce qu’il y a sans doute de plus attachant en eux, c’est qu’ils ont des humeurs, des émotions, des états d’âme. Ils savent ce qu’est le désir et aussi la mélancolie. Ils ont une histoire. Ils ont même une vie. Mais le plus étonnant, peut-être, c’est qu’ils sont doués d’imagination. Ce qui les amène à se projeter au-delà d’eux-mêmes, à ne pas vouloir demeurer dans leur état.
Ainsi le parapluie (Pierre-Louis Calixte) se rêve en cerf-volant, par exemple. La boîte à couture (Claude Mathieu) en boîte de peinture. L’œil-de-tigre, une amulette africaine (Bakary Sangré), voudrait devenir une grosse pierre comme celle qui se situait à l’entrée de son village. C’est là que se révèle ce qui est peut-être un des secrets de la réussite de ce spectacle, l’identification, voire l’empathie des acteurs avec l’objet qu’ils représentent.


Yokaï


Il y a à cela une explication toute simple qui est qu’avant d’écrire son texte, Christine Montalbetti leur a demandé de choisir plusieurs objets dans lesquels ils souhaitaient s’incarner. Donc parlant au nom de leur objet, c’est un peu en leur nom propre qu’ils s’expriment. Mais il y a aussi un autre aspect qui joue un rôle important dans ce spectacle. Aspect qui renvoie à cet état singulier où cédant à une sorte de flottement, l’imagination transfigure l’environnement immédiat au point de donner à la moindre chose présente, un vieux fauteuil, une théière au bec ébréché, un abat-jour de guingois des sentiments humains.
Christine Montalbetti en est bien consciente qui, par exemple, écrit dans son roman Trouville Casino: “Dans la solitude de la maison (…) il te semblait que les meubles mâchonnaient de petites pensées qui n’étaient pas toutes gentilles à ton endroit“. C’est bien de cela qu’il s’agit dans ce spectacle où se laisse deviner derrière ces petites pensées “mâchonnées“, une autre dimension, empruntée cette fois à la culture japonaise, selon laquelle on considère qu’avec le temps certains objets se métamorphosent pour devenir des yokaï; autrement dit des êtres dotés d’une vie mystérieuse, des esprits en quelque sorte.
On se demande alors si le charme singulier qui émane de cette création à la fois sensible et remarquablement équilibrée de Christine Montalbetti ne vient pas de ce que, l’air de rien, elle réalise un tour de force relevant quasi de l’impossible: mettre en scène des yokaï.


Hugues Le Tanneur, Des mots de minuit, décembre 2019

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Christine Montalbetti, La Conférence des objets, Christine Montalbetti invitée d'Olivia Gesbert France Culture