— Paul Otchakovsky-Laurens

Clic-clac

Nathalie Azoulai

« Ma mère a toujours aimé les mélos. »
C’est un souvenir obsédant, devenu douloureux. La passion de sa mère pour un mélo américain, Nos plus belles années de Sydney Pollack, avec Barbara Streisand et Robert Redford. Notamment la scène finale où les deux amants se séparent. Claire Ganz est une cinéaste de renom « qui a tous les droits » dans le milieu du cinéma. Elle décide de tourner Clic-clac, un film dans lequel elle entend revisiter, répéter à sa façon le film culte de Pollack. Et approcher ainsi les larmes de sa mère. Mais le tournage de son dixième film commence mal. Sa...

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La presse

Clic-Clac et En découdre : les prises de vues de Nathalie Azoulai


La romancière Nathalie Azoulai publie simultanément Clic-Clac, fort roman à tiroirs, et En découdre, un vif monologue, chez P.O.L.


Un livre peut-il en cacher un autre ? Si on se pose la question, c’est moins parce que Nathalie Azoulai fait paraître simultanément deux romans, Clic-Clac et En découdre, qu’en raison de sa façon très personnelle de jouer avec le double fond de sa bibliothèque – ou de sa vidéothèque, en l’occurrence – pour dissimuler quelque chose comme une obsession, presque une honte ancienne, le « rosebud » enseveli d’une blessure, peut-être, enrubanné des détours de la culture, des bandeaux et bandelettes de références nombreuses, mais en trompe-l’œil.
La romancière avait obtenu le prix Médicis en 2015 pour Titus n’aimait pas Bérénice (P.O.L) : un livre construit déjà dans le creuset d’une tradition détournée, sur une forme de kidnapping contemporain de ce Racine qu’on croyait trop bien connaître. Clic-Clac fonctionne en apparence selon un principe similaire, puisqu’il se fonde de nouveau sur une référence partagée, cette fois un film qui hante l’héroïne, elle-même cinéaste de renom : Nos plus belles années, de Sydney Pollack (1973), avec Barbra Streisand et Robert Redford, qu’elle a vu et revu avec sa mère, rituellement, chaque année, en pleurant. Pour son dixième long-métrage, elle se propose donc de revisiter cette espèce de mélo culte, en particulier sa séquence finale, archétype de la « scène d’extinction du grand amour », qu’elle entend d’abord vider de ses larmes.


Cruauté géométrique


Dans son film – d’où le cut drôle et cinglant de son titre, Clic-Clac –, pas de sentimentalité ni d’effusions, mais quelque chose comme la cruauté géométrique d’une scène de rupture, sèche et définitive… Le défi est d’obtenir ce résultat de comédiens inexpérimentés et un peu snobs, qui n’y comprennent pas grand-chose et voudraient seulement jouer « dans un film élitiste ». La réalisatrice s’engage dans une sorte d’odyssée obsessionnelle, volontiers comique, pour atteindre la vérité d’une prise, qui l’obligera fatalement à se remettre en question. Ce faisant, elle nous entraîne aussi dans une réjouissante enquête à tiroirs, la référence à Pollack conduisant successivement sur la piste de deux autres films : La Fièvre dans le sang (1961), d’Elia Kazan, et Les Parapluies de Cherbourg (1964), de Jacques Demy.
L’ensemble, très finement documenté, ne saurait cependant se réduire à un jeu de références emboîtées, dans le but d’interroger l’authenticité possible d’une inspiration artistique. A travers les tribulations d’une cinéaste aux prises avec son projet, la matière vive et parfois rebelle des comédiens contrariant l’idéal de l’œuvre rêvée, c’est quelque chose comme une identité qui se révèle : celle d’une femme inconsolable d’avoir perdu sa mère, au fond, ironique mais tourmentée, d’une sentimentalité qui n’ose se dire, comme si une forme de honte sociale la tenait encore, sourdement. N’était-ce pas déjà, d’une certaine façon, le sujet de Nos plus belles années : l’amour finalement impossible entre Redford et Streisand, le pur WASP et la petite communiste ?


Miroir inerte


Le personnage de la cinéaste s’appelle Claire Ganz : son nom fait entrer quelque écho germanique dans cette histoire, et on se dit que Nathalie Azoulai n’est pas pour rien lectrice de Kafka, comme sans doute de Thomas Bernhard. On y pense en tout cas en passant de Clic-Clac à En découdre, ce monologue très vif d’une femme qui visite chaque après-midi un petit musée de province et se montre de plus en plus obsédée par le gardien, figure muette, miroir inerte de sa mauvaise conscience (de classe), auquel elle s’adresse dans une sorte de ressassement solitaire, impitoyable pour elle-même, presque déviant vers le délire, voué au seul et hypothétique salut d’un aveu – celui du sentiment.
Cet aveu – d’un manque, d’un besoin – fait le lien entre les livres de Nathalie Azoulai, dont l’intelligence narrative, avec sa sécheresse calculée et ses détours un peu retors, semble travaillée par le remords d’une simplicité perdue : celle de l’amour, tout bêtement, des gestes premiers du désir, du corps érotisé ou maternel… Qu’il faille en passer par les cliques et les claques de la culture, ou l’aveu à peine voilé des violences sociales, ne fait que renforcer cette puissance de retour de sa littérature, qui dit très subtilement, et d’une voix non dépourvue de malice, l’exigence d’un certain renouement. C’est là, aussi, sa drôle de beauté.

Fabrice Gabriel , Le Monde, novembre 2019




L’art de se retrouver


La romancière et scénariste Nathalie Azoulai dépeint, dans ses derniers livres, deux attachants personnages féminins, en quête de leur vérité.


Une prose tendue


Des questions, l’héroïne de Clic-Clac s’en pose aussi beaucoup. Claire Ganz a 51 ans. « Figure éminente du cinéma d’auteur », elle veut tourner un film plus commercial, dont le titre est justement « Clic-Clac ». Un film sur l’amour et le chagrin. Sur une femme qui revoit l’homme de sa vie. Celui auquel elle avait dit : « Je t’attendrai toute ma vie. » Celui à qui, là, elle lance : « Je ne veux pas te voir. » La scène, Claire l’explique aux deux acteurs qui vont jouer les personnages de Marie et de Pierre, qu’elle a choisis les plus ordinaires possible. Dans un café, elle leur parle d’une « romance », d’une « bluette », d’un « mélo ». Une « guimauve » qu’elle a vue en entier trente-cinq fois. De Nos plus belles années de Sydney Pollack avec Barbra Streisand et Robert Redford dans les rôles de Katie et Hubbell. Un classique, où l’on pleure beaucoup quand arrive le générique de fin. Une merveille découverte jadis grâce à sa mère, décédée il y a un an...
On aime toujours autant la prose tendue de Nathalie Azoulai, sa manière de raconter des histoires pas aussi banales qu’elles en ont l’air. De donner corps à des femmes qui ont besoin de se mettre en règle avec elles-mêmes et leur passé.


Alexandre Fillon, Lire, novembre 2019




Nathalie Azoulai, l’émotion entre les lames des ciseaux


L’héroïne de Clic-Clac, le nouveau roman de l’autrice de Titus n’aimait pas Bérénice, prix Médicis 2015, tourne un film pour conjurer le mélodrame qui la faisait pleurer à 15 ans. Une approche virtuose de l’écriture par le biais du cinéma.


Clic-Clac, bruit de ciseaux, de coupure. La scène que veut tourner Claire, c’est une rupture nette, un cut final. Marie rencontre par hasard Pierre. Elle marche vers lui : "Je ne veux pas te voir." Elle s’éloigne, pressant à peine le pas. cela a duré comme dans l’Éducation sentimentale, de Flaubert. Il va falloir un moment pour que Marie et Pierre, et qui porteront ces prénoms tout au long du roman — comprennent ce que veut Claire. Pas d’émotion surajoutée, pas de regards brillants, d’élans, d’arrêts, aucun autre mot. Les acteurs proposent des gestes, des attitudes.
Claire répond par des mots qu’ils refusent de comprendre. Scène "distale", scène "pliable". Nathalie Azoulai joue avec le lecteur la même partition que Claire avec ses acteurs. Rien de trop. Pas d’émotion. Quoi alors ? Cette phrase, en voix off : "C’était l’homme de sa vie, celui à qui elle avait dit je t’attendrai toute ma vie." Entre les deuix, advienne que pourra, un roman, peut-être. Celui des personnages du film, celui aussi de ce tournage qui part si mal.


Une ligne de crête entre le sentimental et le cérébral


Et celui de la surprise. Cette scène existe déjà. Elle a déjà été tournée. "Pas une scène de cinéphile, pas du grand cinéma", avoue-t-elle à Pierre et Marie. Elle vient de Nos plus belles années, un film de 1973 de Sydney Pollack, avec Barbara Streisand et Robert Redford. "Une bluette, une romance, un mélo", confie-t-elle, un peu honteuse. C’est que Claire Ganz est une cinéaste célèbre, récompensée dans le monde entier, et dont les choix sont à l’opposé du kitsch lacrymal hollywoodien. Mais elle l’a dit : elle va tourner "contre" la scène de Pollack. Nathalie Azoulai avait, dans Titus n’aimait pas Bérénice, déjà écrit contre, et avec Racine. Sans comparer le moins du monde Pollack et Racine, l’autrice prend au pied de la lettre l’idée qu’on écrit dans sa bibliothèqye contre tous les livres qu’elle contient. Dans Clic-clac, la mise est doublée.
C’est Flaubert qui est convoqué, si l’on se souvient que la dernière phase de l’—ducation sentimentale était "c’est là ce que nous avons eu de meilleur". Mais, comme le dit Claire à ses acteurs; "soyons les premiers à le faire comme nous allons le faire". De la sécheresse brute du début à la sophistication du jeu avec les références, tout pourrait conspirer à l’écriture d’un roman cérébral et minimaliste, bannissant tout affect. C’est ce qu’on dit des films de Claire. L’émotion est pourtant le matériau principiel de Clic-Clac.
D’abord parce que la violente opposition entre le "je ne veux pas te voir" et "c’était l’homme de sa vie, celui à qui elle avait dit je t’attendrai toute ma vie" troue d’entrée le cœur du lecteur, comme celui des acteurs.
Ensuite parce que dans ce vide entre ces phrases se logent plein d’histoires. Celles des mélos qu’elle voyait avec sa mère, qui vient de mourir. Cette transmission des larmes entre mère et fille, elle l’avoue à Marie et à Pierre. Elle leur en fait don à son tour, exige qu’ils visionnent le film, tout en refusant tout épanchement. Elle veut tourner "pour ne plus pleurer". Et le film de Pollack pourrait être inspiré d’un mélo plus flamboyant encore, de Kazan, la Fièvre dans le sang. Quant à l’histoire du scénario, elle est elle aussi pleine de passion, de dépendance, d’orgueil. Elle appelle le pathos que Claire refuse. C’est pour cela qu’à peine ouverte, la porte des sentiments doit se refermer, comme les ciseaux : clic-clac.
Tenir la ligne de crête entre le sentimental et le cérébral est un art que bien peu possèdent. Le roman de Nathalie Azoulai suit cette trajectoire avec une virtuosité qui tient de la subtilité des notations caractérisant les personnages, à la finesse du jeu entre l’identification et la distance, et à l’efficacité qui permet l’approche indirecte, par le biais du cinéma ou du musée (De Nathalie Azoulai, lire également : En découdre, P.O.L, 96 pages, 13 euros). Clic-Clac emporte le lecteur, peut lui faire perdre la tête, mais pas la raison et ses plaisirs.


Alain Nicolas, l’Humanité, décembre 2019




La romancière de Titus n’aimait pas Bérénice (Prix Médicis 2015) s’empare cette fois du monde du cinéma. Claire Ganz, cinéaste de renom, débute le tournage de Clic-Clac, un film dans lequel elle va revisiter le cultissime Nos plus belles années, de Sydney Pollack, avec Barbra Streisand et Robert Redfort. Tous les ans, elle le revoyait avec sa mère, qui connaissait chaque réplique et pleurait lors de la scène finale où les deux amants se retrouvent à New York avant de se séparer. Son but est d’ôter l’aspect larmoyant de cette séquence symbole de la fin d’un grand amour impossible entre deux êtres, elle, la communiste, et lui, le produit de l’élite. Claire veut une scène de rupture sèche et sans effusions — d’où le titre Clic-Clac —, mais ses acteurs capricieux ne comprennent pas et les prises de vue se multiplient. Les amoureux du 7ème art seront comblés par ce livre qui mentionne aussi deux autres films : la Fièvre dans le sang, d’Elia Kazan, et les Parapluies de Cherbourg, de Jacques Demy. Finalement, à travers Nos plus belles années, l’obsession de la cinéaste n’est-elle pas de retrouver sa mère disparue et d’évoquer sa propre vie sentimentale tourmentée ? Nathalie Azoulai a réussi un livre brillant, original et souvent réjouissant.


A. M., Version Femina, décembre 2019

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