— Paul Otchakovsky-Laurens

Mon ancêtre Poisson

Christine Montalbetti

Ce roman doit autant à l’imagination qu’à une reconstitution familiale et historique. Christine Montalbetti part sur les traces de son arrière-arrière-grand-père, botaniste au Jardin des Plantes de Paris dès l’âge de neuf ans. Elle s’adresse directement à lui dans une complicité littéraire étonnante. Son nom ? Poisson. « Un nom idéal pour un ancêtre, puisqu’il paraît que c’est du poisson que nous venons ».


Jules Poisson est né en 1833. Il verra le monde se transformer jusqu’à sa mort en 1919. Nous faisons avec lui cette traversée du XIXe et des débuts du XXe...

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La presse

Mon ancêtre poisson



Et hop, nous y voilà, lecteurs sautillant aux côtés de Christine Montalbetti qui, cette fois, nous a pris par la main dans les allées du Museum d’histoire naturelle. En route pour l’aventure de son arrière-arrière-grand-père, Jules Poisson, botaniste dès l’âge de 9 ans, et qui connaissait le Jardin des Plantes de Paris comme sa poche. Il naît en 1833 et nous permet de traverser les siècles, le siège de 1870, la Commune, la guerre de 14 - jusqu’à sa mort, en 1919. La narratrice se sent « missionnaire » et détective, mais petite fille aussi, interrogeant sa grand-mère (la petite-fille de Jules, donc) sur cet homme savant et fantasque, «gentiment dans la lune». Elle lit ses articles sérieux pour la Revue horticole ou le Bulletin de la société botanique de France. « Ce que je fais, longtemps, je te lis et à tes phrases je noue les miennes», écrit-elle en l’appelant «mon Jules», cherchant et scrutant au microscope ses désirs et sa mélancolie. On vit au temps de la bougie, puis à celui du bec de gaz, on traverse les époques et les coutumes d’un quotidien gorgé de végétaux, de radis sauvages et de lombrics. Mais il y a aussi la Grande Guerre, qui éventre les hommes et les paysages, où l’on finit d’herboriser dans le sang et contre les rats. Il y a bien des secrets, dans cette histoire d’homme, de savant et de père de famille, qui voit partir son fils au loin. Christine Montalbetti nous fait croire qu’elle digresse avec ses parenthèses, qu’elle doute avec ses interrogations, qu’elle hésite en nous prenant à partie. Mais elle fait respirer les archives pour nous conter le destin meurtri d’un homme dont la vie, jamais anodine, s’achève en novembre 1919 après un dernier article sur les vers de terre, conseillant le mâchefer pour s’en débarrasser. Ça n’a l’air de rien mais, tout à coup, Jules Poisson nous manque et comme son arrière arrière-petite-fille, nous aimerions faire quelques pas avec ce fantôme des jardins que l’écriture chavirante et fantasque de la narratrice fait revivre avec un immense talent de rêveuse hypnotique.



Christine Ferniot, Télérama, 30 août 2019





Belle pêche


Comment ressusciter un défunt ? Grâce à la littérature, répond brillamment Christine Montalbetti, dans Mon ancêtre Poisson, tour à tour grave et malicieux.


Lui, c’est Jules Poisson. Plus tout jeune, pour tout dire, même, défunt depuis un siècle tout juste sonné. Elle, elle est bien vivante, son nom ne sort pas d’un aquarium, mais est inscrit sur la couverture blanche striée P.O.L : c’est Christine Montalbetti. Entre les deux, l’aïeul né en 1833 et l’écrivain, son arrière-arrière-petite-fille, moins un arbre généalogique qu’une ramification de récits, une trame de romans, éclos dans cet atelier d’écriture informel et permanent qu’est la famille, puis rewrités, refondus, augmentés dans Mon ancêtre Poisson. Mais attention, nous prévient et nous rassure-t-elle, « si c’est pour vous mentir, je ne vois pas l’intérêt. » Son Poisson ne nage pas dans les eaux troubles de l’affabulation, mais dans celles de la fiction. Où ce qu’on réinvente, ce sont moins des faits, qu’une présence. Celle, paradoxale, des spectres : «Tout ça pour que tu puisses te mettre à circuler dans la pensée d’autres (...), à cause de cette fabrique de fantômes que c’est, un récit. » Pour « entrer dans la chair [des] jours » de son ancêtre, elle enquête, quasiment en détective amateur (lettres, documents, récits familiaux), mais surtout elle lui parle, Christine à Jules (et à nous aussi, on n’est pas oubliés).
C’est ce ton-là, de la conversation et de la confidence, avec ses incises, ses scansions familières (Christine Montalbetti aime les « hop ») qui fait d’abord revivre Jules. De simple personnage du roman familial, il devient tierce partie d’une conversation à trois, à trois absents les uns aux autres si on y pense bien : l’auteur, nous et donc Jules Poisson. Il ne répond pas, c’est un fantôme, on vous disait, mais c’est comme s’il était bien là. Il fait mentir son nom : il était botaniste au Jardin des Plantes, où il est rentré tout jeune ès jardinier avant d’y devenir préparateur en 1864. Une femme ; un père dont Montalbetti découvre qu’il était bijoutier ; un fils, Eugène. Eugène, c’est un autre fantôme, un fantôme douloureux : il meurt jeune, en Afrique, à Cotonou, en 1910, et, par ce jeu de relais et de transfert que les psychologues appelleraient empathie, et les écrivains simplement littérature, Christine Montalbetti nous rend palpable le chagrin du père à travers elle-même, à travers sa phrase qui s’étire, à travers une confidence qui rapproche les générations : « je sais la façon dont les deuils vous lestent, vous rendent le corps lent et gourd. » On comprendra plus loin, plus tard, à la toute fin, ce que c’est que ce deuil, cet autre fantôme intime de Christine Montalbetti, qui s’immisce dans Mon ancêtre Poisson. On n’en dira rien de peur, par nos mots maladroits de critique, de faire fuir cette fragile présence que la romancière, avec ses moyens, a su rappeler. Il n’y a pas que l’intime autour de Jules Poisson. Il y a le monde, qui vibre ou plutôt hoquette, la Commune et la Première Guerre mondiale. Il est trop vieux, Jules, pour aller au front, mais il n’empêche, il se tisse quelque chose entre lui et tous ceux que la boucherie fauche ou meurtrit.
Christine Montalbetti joue de la contiguïté de l’événement et de la vie de son aïeul, comme une espèce de familiarité entre les deux. Là encore, des absents, tous ceux qui souffrent au front, prennent corps et vie comme par la médiation de Jules. Mais le monde, c’est aussi celui de la nature, arbres et plantes, cette botanique qui est la spécialité de Jules. Et sur laquelle il écrit des articles. Et sans doute est-ce là, dans ce continuum d’écriture, entre l’ancêtre et la romancière, que s’abolit la distance, là que l’un et l’autre se fondent : «Je me glisse dans tes phrases, elles m’enveloppent, parce que c’est ça aussi que font les phrases, vous envelopper, pour peu que vous ayez envie de vous y lover. »


Damien Aubel, Transfuge, 3 septembre 2019


À la rencontre de Jules la main verte


En quête de ses racines, l’auteure explore les archives de son arrière-arrière-grand-père, témoin des guerres de 1870 et de 1914, et botaniste chevronné.


Nous sommes tous des descendants de mérous ou de sardines. Certes, mais Christine Montalbetti compte, dans son arbre généalogique, un arrière-arrière-grand-père qui se nomme Jules Poisson (1833-1919). C’est la destinée de cet ancêtre qu’elle va nous conter, d’abord jardinier, au Jardin des Plantes, dès l’âge de 9 ans. Le lieu n’est pas indifférent, ses serres, sa gloriette, ses galeries de squelettes, son allée de tilleuls qui sera détruite par un cyclone, son zoo, avec une girafe, deux éléphants fameux boulottés pendant la famine de 1871...

Des ombres orphelines


Jules devient préparateur au laboratoire du Muséum et botaniste chevronné. La famille colporte la légende d’un savant fantasque dont les farces, parfois macabres, seront dévoilées, non sans un amusant suspense, du début à la fin. Mais la descendante dispose de peu de documents sur l’ancêtre sinon les articles qu’il a écrits sur le grand acacia du Jardin, les casuarinées (oui...), les cactées, les kakis, les palmiers, et son ultime texte sur les lombrics ! Elle accède à certaines de ses lettres, à son écriture mince et fluide qui est un signe vivant de lui. Aux lames où ses doigts ont disposé ses graines chéries et ses fleurs. Elle questionne des livrets de famille, corrige des mythologies. Une photographie lui révèle un mélange de chagrin secret et de «joie inattaquable». Le sentiment de la tristesse court, cependant, à travers le livre. On le retrouve, avec le fils du botaniste qui fait le même métier que son père mais vit, loin de lui et de sa mère, au Dahomey et, à la fin de l’histoire, avec la révélation d’un deuil personnel. Le plus étonnant, dans cette exploration, c’est la façon, souvent volubile et inventive, dont la romancière peuple les lacunes, restitue les climats d’une époque, les événements frappants, les découvertes d’alors qui bouleversent la vision du monde. Très belles pages finales sur la guerre de 14-18. Christine Montalbetti, avec son écriture vivace, ses interpellations du lecteur, son sens aigu des adjectifs, rassemble ainsi tout un terreau d’indices, d’hypothèses, d’intuitions affectives, de perceptions parfois hallucinatoires. Cet humus de jardinier lui permet d’enraciner petit à petit son personnage, de l’incarner. Elle fusionne avec l’absent, l’habite, crée une intimité profonde, émouvante. Le roman est «une fête bizarre», écrit-elle. Fête, car s’y joue la joie vitale de créer et en même temps l’opération troublante où l’on fait bouger des fantômes, où l’on suscite et poursuit des ombres orphelines. C’est l’obsession secrète de cette quête que de donner la main à ces absents et à ces errants. Le romancier veillant à ce quelque chose reste du monde ou quelqu’un. L’entreprise de repêcher Poisson qui semblait d’abord aléatoire, teintée d’humour, trouve son aplomb, sa profondeur arborescente, tous ses échos, son ampleur magnifique.


Patrick Grainville, Le Figaro Littéraire, 31 octobre 2019


Rêverie généalogique


Le nom du plus ancien aïeul que se connaisse l’écrivaine Christine Montalbetti est «Poisson». Amusant, se dit-elle, puisque nous sommes tous censés descendre, justement, du poisson. Point de départ d’une rêverie généalogique, cette bizarrerie lui donne envie d’en savoir plus sur cet ancêtre entouré de légendes familiales. Où est le vrai, où est la fiction ? L’écrivaine s’intéresse-t-elle à son aïeul pour lui-même, ou pour s’apercevoir elle-même sous un nouvel angle ? Qu’attendre d’une telle démarche, si ce n’est entretenir la mémoire d’un homme de science, qui débuta comme jardinier à 9 ans au Jardin des plantes, à Paris, avant de devenir un botaniste remarquable? Sans doute tenter de « réparer l’irréparable, incomplètement, naïvement, éperdument, écrit Christine Montalbetti, dans le deuil où je suis non seulement de toi mais aussi de notre rencontre impossible (...) qui fait que nos corps ne se seront jamais croisés dans ce Jardin (...) et de sorte que les pages de ce livre sont le seul lieu où nous pouvons nous tenir ensemble, fragilement ». Comme à son habitude, Christine Montalbetti interpelle de manière ludique ses lecteurs. Mais sans doute le fait-elle ici d’une manière d’autant plus joyeuse que la connivence qu’elle instaure permet à son « ancêtre Poisson » disparu d’entrer dans la galerie de portraits de tous nos ancêtres.

Florence Bouchy, Le Monde des Livres, 8 novembre 2019


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