— Paul Otchakovsky-Laurens

Bienvenue au paradis

Patrice Robin

Au centre de la scène, Moïse et Marie.
Vingt ans chacun et cœurs à l’unisson.
Un peu en retrait, les parents.
Côté cour, ceux de Moïse, les petits commerçants.
Côté jardin, parc même, ceux de Marie, les industriels.
À l’avant-scène un rond de lumière.
Moïse s’avance.

 

Consulter les premières pages de l'ouvrage Bienvenue au paradis

Feuilleter ce livre en ligne

 

La presse

J’adore ce livre


Rien de tel pour se tromper, dans la vie, que d’essayer de faire du théâtre. Que ce soit en tant que comédien, metteur en scène ou monteur de one-man-show, cette dernière possibilité offrant la plus effroyable des méprises, les types qui veulent faire du théâtre ne sont pas des passionnés comme les autres. En réalité, ils ne veulent pas « faire » du théâtre, comme un peintre ferait de la peinture, un musicien de la musique… Les types qui veulent faire du théâtre, leur ambition, c’est le paradis. Y entrer, y vivre, et se battre avec le diable (l’ennui).
Le livre de Patrice Robin, que j’adore, raconte l’histoire d’un type, Moïse, qui veut faire du théâtre.
Personne ne s’appelle Moïse dans la vraie vie française. Il faut donc chercher des significations dans la fantaisie de ce prénom. Une autre fois.
Parlons d’abord d’écriture. Non pas des phrases, encore moins du vocabulaire, mais à une certaine distance de l’auteur et de nous même, les lecteurs. Il est un peu con, Moïse, sa connerie est le maximum d’éloignement qu’on peut ressentir. La proximité, qui n’est pas encore une empathie, on l’éprouve en suivant par le détail les aventures conjugales, sociales et métaphysiques de ce type bouleversant.
Fils de rien, Moïse tombe amoureux de Marie, une fille d’industriel. Ils se marient sous le régime de la séparation de biens. Le contrat est signé par les parents, car ils sont mineurs, Moïse et Marie. « Quand tout à été fini, le notaire a plaisanté avec l’industriel à propos d’une récente partie de bridge appelant une revanche. »
Cette façon d’écrire, par le détail qui tue, les grands événements de la vie de son héros, je pense que Robin a trouvé ça chez Tchekhov. Pas de sang, pas de larmes, un chuchotement, une économie, limite radin, limite hautain, limite plein de choses. Sans jamais se départir de ce respect, c’est-à-dire de cette distance qui est aussi un vibrato.
À un moment, Moïse réussi à monter sa pièce. « Le département avait un comique et on ne le savait pas », peut-on lire le lendemain dans le journal local. La cruauté des lieux communs coupe le souffle quand c’est un écrivain, qui la signale, un expert en cruautés. Moïse est risible, mais Robin nous garde de ce qui serait sans doute pour lui l’effondrement de son entreprise littéraire : la connivence.
À la moitié du livre, Marie a compris que Moïse ne réussirait pas. Elle sait à quoi ça ressemble, un homme de théâtre qui réussi : elle a couché avec le metteur en scène qui les avait engagés, elle et Moïse, comme figurants.
Les hommes de théâtre ont un truc que Moïse n’a pas. Elle le re-trompe, avec qui elle veut, ça n’a plus tellement d’importance, maintenant. Moïse, son seul amour c’est le théâtre. Un amour qui finira dans la cave d’un café théâtre parisien, à la séance de 10 heures, devant quatorze spectateurs qui baillent.
Le paradis est un cauchemar dont on sort à 30 ans, et dehors c’est la vie.


Christophe Donner, Le Monde, 7 janvier 2006



La chute


Bienvenue au paradis : une passion tragique pour le spectacle.


À quoi se mesure l’intelligence d’un roman ? Par exemple aux perspectives qu’il ouvre, aux pistes qu’il esquisse mais n’exploite pas forcément, sans pour autant trahir une quelconque gratuité.
La première partie de Bienvenue au paradis s’apparente au roman social. Dans ce qui doit être le début des années 1970, deux jeunes tourtereaux, Moïse et Marie, appartiennent à des milieux différents ; les parents du premier sont des petits commerçants, le père de la seconde est un industriel. Marie fréquente des héritiers, Moïse joue au foot avec des fils de femmes de ménage. Quand les deux familles se rencontrent pour la préparation du mariage, les bourgeois considèrent avec condescendance le « brave » homme et la femme « courageuse ». Cependant, entre les deux jeunes gens, l’amour est là.
D’où le roman de mœurs qui semblent se profiler. Avec les contraintes de la vie matérielle, l’amour se fait moins romantique. Marie a même une relation avec le responsable d’une troupe de théâtre amateur qu’elle et Moïse ont approché pour « connaître le monde » dans leur nouvelle ville. Et si le narrateur de Bienvenue au paradis sous-entend à différentes reprises que cet adultère perdure, là n’est pas l’essentiel.
En interprétant un tout petit rôle dans le pièce jouée par ladite troupe, et y remportant un certain succès comique, Moïse a contracté un virus : celui du spectacle et du désire de faire rire. Dès lors,Bienvenue au paradis décrit la mécanique d’une obsession, le style sans fioritures de Patrice Robin s’y prêtant parfaitement. Avec le plus grand sérieux, Moïse se met à écrire des sketches, à concevoir la scénographie d’un one man show, se lance dans des répétitions acharnées, démarche des directeurs de salles.
Il y a là la mise en marche d’un processus, la cristallisation d’une passion, dont l’observation est l’une des belles réussites du roman, qui devient terriblement existentiel (pas un hasard si Camus est l’auteur phare de Moïse). Tout est subordonné à la réussite de la carrière de comique à laquelle Moïse désormais aspire : le travail (des petits boulots alimentaires quand c’est nécessaire), le logement, la vie avec Marie...
Si le lecteur ne sait pas ce que vaut le spectacle de Moïse, les sketches et blagues qu’il invente ne semblent pas bien fameux. En tout cas, les portes ne s’ouvrent pas comme espérées. Bienvenue au paradis est un beau roman sur un sujet grave : que vaut la nécessité sans talent ? Le social du début, l’amour se sont volatilisés. Reste une solitude inexorable, obstinée, tragique.

C.K., Politis, 23 février



Marie se marie


Moïse et Marie, voilà deux beaux prénoms pour débuter dans la vie. Mais la vie n’est-elle pas finie avant d’avoir commencé ? Dans ce troisième roman comme dans les précédents, Patrice Robin semble le penser. Il moule à froid la solitude et l’horizon mort de ses personnages, clowns blancs et petits soldats du quotidien. En petites scènes muettes et précises, il décrit cette fois l’histoire de ce jeune couple, depuis leur rencontre au lycée, dans une ville de province, jusqu’à leur séparation et leur divorce, quelques années plus tard. Moïse est d’un petit milieu. Marie est bourgeoise. La description de leur mariage est drôle comme un feu de détresse quand le bateau a coulé. Le père de Moïse se laisse pousser la moustache pour la cérémonie, « le beau monde en portant toujours une » : « Le brave homme n’a obtenu qu’une barre sombre de poils drus, indisciplinés et sans épaisseur. Qu’il a gardée jusqu’au jour J et rasée le soir même. » Chez Robin, la grammaire isole comme le reste ; les subordonnées sont donc souvent fixées par des points : enchaînement mécanique et burlesque des situations et des hommes, pris dans le corset de ce qu’il serait exagéré d’appeler un destin. Moïse et Marie s’aiment, se trompent, s’enferment. Ils voudraient vivre. Comme tout le monde, Moïse devient un artiste – comique et sans succès ; il veut exister, donc il s’en va. C’est cela, le sujet du livre : comment exister. La réponse se trouve sur une scène sans spectateur.


Philippe Lançon, Libération, 2 mars 2006



Les vies précaires de Patrice Robin


Une histoire d’amour à l’image de la société dans laquelle elle éclôt : fragile, intermittente, vouée à se briser.


La trajectoire de Moïse – le personnage principal de Bienvenue au paradis – pourrait être celle de Patrice Robin. Il ne faut donc chercher aucune clé du côté de la Bible, même si la compagne de ce Moïse-là s’appelle Marie. Quant au « paradis  » du titre, il vient d’un spectacle de danse (Welcome to paradise)dont une scène inspire au narrateur la poétique ellipse finale. Accrochés l’un à l’autre sur une balançoire qui tournoie, le couple se disloque, la femme tombe comme brisée, puis disparaît en partie sous un nuage de talc. Image tendre et amère, un rien grinçante, à l’image du funambulisme qui semble égarer les premiers pas de Moïse dans la vie réelle.
Comme Patrice Robin, Moïse est fils de petits commerçants. Comme Patrice Robin, Moïse commence son parcours par des petits boulots (notamment la comptabilité), tout en consacrant l’essentiel de son temps au théâtre – ou du moins à une bien incertaine carrière d’acteur – auteur d’histoires courtes (ce qui fut le cas de Patrice Robin dans les années 1980). C’est d’expérience que Bienvenue au paradis évoque ces vies suspendues dans les arrière-salles du spectacle ou les arrière-cours de l’animation culturelle. On est dans le monde de l’intermittence – y compris celle du coeur.
Car ce bref roman est une histoire d’amour à l’image de la société précaire. Belle dans l’élan de la jeunesse. Et tournant court dès qu’il s’agit d’être adulte. Tout n’est qu’ébauche : le couple de Marie et Moïse, né d’une romanesque flamme lycéenne, mais aussi l’ambition littéraire du jeune homme et ses bribes de culture philosophique (dont Patrice Robin tire de jolis effets, volontairement approximatifs).
Et c’est ainsi, flottant, mal assuré, que Moïse se dirige vers l’échec annoncé, tandis que Marie – issue, pour sa part, de la bonne bourgeoisie – s’en tire de manière pragmatique, abordant les rives sagement déstructurées du boboïsme.
Tout tient, on s’en doute, à la narration bien réglée, rapide, avec ses accélérations, ses sauts, voire ses pirouettes. Si le personnage de Moïse est touchant par sa prétention naïve et ses foirades, le monde du spectacle vivant et autres animations fait l’objet d’une critique sévère, même si elle est rieuse.
Après une dizaine d’années passées dans ces parages, Patrice Robin se consacre désormais aux ateliers d’écriture et à ses livres (Les Muscles, P.O.L, 2001, puis Mathieu disparaît, P.O.L, 2003). Bienvenue au paradis confirme ses qualités, notamment son art des bons angles d’attaque et sa capacité à renouveler la forme.


Jean-Maurice de Montremy, La Croix, 2 mars 2006