— Paul Otchakovsky-Laurens

Le Genre des dames

Gérard Gavarry

Un savant qui renvoie son domestique trop curieux et qui finit par épouser la fille de son ancien patron. Achille et Julie – une belle brune, un beau blond. La grosse Camille qui tire les cartes, Achille en barman, le Cercle des Dames... Fernande va mourir : qui la remplacera au Conseil ? et quels privilèges guignent les candidates à la succession ?...
Une histoire louche, faite d’indices, d’allusions, de sous-entendus. Une histoire dont seraient lisibles surtout les empreintes et dont les à-côtés occuperaient le devant de la scène. Des lieux : Paris, Paris aujourd’hui, à peine gagné par les Tropiques, le Jardin des Plantes, une piscine, Saint-Lazare, la mosquée. Des...

Voir tout le résumé du livre ↓

Consulter les premières pages de l'ouvrage Le Genre des dames

Feuilleter ce livre en ligne

 

La presse

Un homme dans un jeu de filles


[…] Pour son troisième livre, Gérard Gavarry se pose en observateur minutieux des us et coutumes féminins. Sans l’ombre d’une misogynie, il les épie avec son regard amusé et sa prose limpide. Qu’elles soient chez le coiffeur ou en train de garer leur « mini », rien ne lui échappe. « Quand Julie marchait vite comme ça, avec ce petit sourire et cet air absorbé, c’était que le proche avenir s’annonçait faste. »

Gérard Gavarry affectionne les formules brèves qui disent tout, en laissant flotter une image. Le Genre des dames est un roman sensible et tendre, un peu comme ces pralines qui trônent sur les buffets mondains, dont le goût sucré ne se perd que doucement.


Laurent Lemire, La Croix, 13 octobre1984


Pièces d’anatomie rares


Le genre des dames, pas le genre féminin, ni le bon genre, ni le mauvais genre, c’est un genre littéraire. La phrase courte et sèche. Je pensais à Élina Labourdette dans un vieux film de Bresson. Les sentiments claquent sans abandon, comme un obturateur photographique. Gérard Gavarry donne un plaisir de mots, après se l’être donné à lui-même. Bonne et suffisante raison pour le lire. À propos de l’histoire de ce roman, je n’ai retenu que des bruits de portières 1930 et un érotisme toujours habillé. Gavarry étudie des regards, des fragments de conversation, des odeurs avant la pluie et tout ce qui se passe avant que la porte ne se ferme sur l’ordonnance de plaisirs dérobés. Je salue une fascination exceptionnelle, dans la littérature d’expression latine, pour les points cardinaux et pour les pièces d’anatomie rares. Je cite : « … pour contourner les flaques d’eau, quand le garçon prenait par le nord-ouest, elle prenait par le sud, sud sud-est, trop systématiquement pour qu’on ne voie pas là un refus du contact, un recul à l’idée que pussent s’effleurer son acromion à elle et son épicondyle à lui. » Prenez vite le dictionnaire, mais je préviens votre déception, ça se passe des années lumière au-dessus de la ceinture. Ceux qui ont terminé de lire tout l’œuvre de Nabokov et de Perec doivent lire Gavarry comme on mange une biscotte, en compagnie, dans des draps frais, en regardant la mer grise par la fenêtre et en buvant du thé.


Alain Hervé, Le Magazine littéraire, N° 211,octobre 1984


Gérard Gavarry habite, dans le Ve arrondissement, au cœur de ce périmètre dont son roman décrit avec précision les rues et les lieux : entre la place du Puits-de-l’Ermite et le Jardin des Plantes, là où la mosquée dresse un décor exotique et familier.

« C’est un roman de quartier, dit-il, ça m’amuse et je n’ai pas à aller trop loin pour les repérages. Les informations érudites ou pseudo-érudites que je donne sont exactes, vérifiées, même si parfois j’en invente quelques-unes délibérément. Cela donne un petit côté flaubertien. Et puis je trouve important d’exhumer ce qui devient un peu invisible à force d’être vu. Pour moi, d’ailleurs, Paris a longtemps été plus exotique que l’Afrique. J’ai eu une enfance africaine, voyageuse. Mon père était administrateur des colonies, comme on disait à l’époque. Donc les enfants suivaient, au gré des affectations. J’ai des souvenirs magiques de ces années-là. Paris était alors le lieu dont j’entendais parler et où je revenais rapidement, de temps en temps. Cette double référence reste vivace pour moi. »

Gérard Gavarry a d’abord écrit « en collectif » et cosigné en 1968, alors qu’il était tout jeune, un roman « assez farfelu », La Barbacane. Puis, après un long silence, il y a deux ans, seul désormais, il a publié Jojo, roman d’aventures parodique et burlesque, marqué par l’empreinte de Raymond Roussel.

Ancré dans la réalité la plus quotidienne, son dernier roman, Le Genre des dames, est tout aussi improbable, puisque, à travers un récit d’apparence anodine, il y est question, ni plus ni moins, des Amazones. Entre une belle brune, Julie, et un beau blond, Achille, il ne s’agit peut-être que d’une affaire de cœur. Pourtant des jeux d’échos et de reflets renvoient à d’étranges arrière-plans : quel rapport entre Le Cercle des dames, où Achille devient barman, et les lointaines Minas, peuplade à laquelle le père de Julie, un vieux savant, consacre ses recherches ?

Une finalité secrète semble orienter le roman, une énigme sans cesse repoussée et qui, peut-être, n’est qu’un leurre. « Il n’y a rien ! Il n’y a rien ! », proclame l’épigraphe, empruntée à Jacques le Fataliste. « Mon point de départ était un certain rapport à la connaissance, au désir de savoir. Je voulais aussi poser la question du genre, le masculin, le féminin. Et les Amazones me paraissaient des figures exemplaires, une sorte d’état limite, dans la mesure où, dépouillées de tous les codes qui renvoient généralement à l’idée du féminin, elles sont pourtant, ô combien ! des femmes, et des femmes à part entière.

Mon personnage ne s’appelle pas Achille par hasard. Il m’a en effet été inspiré par l’Achille antique, que sa mère avait fait élever dans un gynécée pour le soustraire à la guerre de Troie. L’épisode d’Achille et de Penthésilée est aussi présent, mais j’ai mêlé à ce monde mythique des Amazones celui des guerrières africaines, dont je connaissais l’existence. Dans l’armée du roi d’Abomey, il y avait traditionnellement un régiment d’élite constitué par des Amazones, et je me souviens d’avoir visité, enfant, au Dahomey, le tombeau royal qui était gardé par des femmes, dans une crypte à demi souterraine… »

Dans Le Genre des dames, rien n’indique clairement la présence d’Amazones. Elles nourrissent une rêverie, une illusion, un simple doute. Disons qu’un soupçon plane et pousse à réinterpréter toutes sortes de coïncidences et de signes insolites : un air de musique, un animal empaillé dans une vitrine, une statue dans un jardin public. « Une lecture complice, idéale, serait frappée par les mille indices que j’ai glissés un peu partout dans mon livre. »

Rassemblés, ces détails forment comme un rébus à déchiffrer. Il s’agit en somme de jouer le jeu du romancier.

« Pour moi, la part ludique de la littérature est une composante importante. Je pense à Queneau, plus pour le traitement de la langue que pour la construction narrative, et à tout ce que dit Perec là-dessus, ici ou là… J’adhère totalement à cette famille, s’il y en a une, qui réconcilie finalement le jeu et le travail de l’écriture. Qui dit jeu ne dit pas du tout fantaisie, absence de règles… Je travaille de façon extrêmement méticuleuse.

Cette rigueur est aussi une condition nécessaire pour que je puisse m’impliquer. C’est un masque, si l’on veut. Je pars d’éléments personnels, autobiographiques, mais mes règles du jeu veulent que je les déplace, que je les transforme, que je les remodèle. En somme, ça ne devient de la littérature qu’au prix d’un renoncement. »

Monique Petillon, Le Monde, 30 novembre 1984