— Paul Otchakovsky-Laurens

Le Singe mendiant

Jean Frémon

« Rimes, échos, pastiches, hommages, simagrées, circonlocutions, reflets ; ces textes mendient un peu de sens, ils ne font que singer une manière. Ils disent combien nos désirs sont mimétiques. »


Ce sont des poèmes.
Ce sont des études. Il n’y a pas là de contradiction. Les artistes, tous les artistes, qu’ils soient ou non écrivains, reconnaissent des influences et même, parfois, les recherchent. Avec Le Singe mendiant, Jean Frémon a voulu rendre hommage à ceux envers qui il se sent redevable. Sculpteurs, peintres, écrivains, leurs rayons, ici réfractés, ne sont pas nécessairement reconnaissables ; ils sont le...

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La presse

Le singe mendiant est une figure en bois originaire d’Afrique occidentale. « La sébille tendue, les yeux vides, entre le désarroi, l’hébétude et la cupidité », peut-être mendie-t-il un peu de sens pour ces textes seconds, débiteurs, sous influence. Nés de la sollicitation exercée par une oeuvre écrite ou peinte, la plupart de ces textes ont, en effet, des prétextes. Afin d’effleurer une oeuvre, de faire affleurer un style, ils se plaisent parfois à singer une manière : « rimes, échos, simagrées, circonvolutions, reflets ; ils disent combien nos désirs sont mimétiques ».


Les hommages à Anne-Marie Albiach, James Brown, Alexander Calder, Jacques Dupin, Louis-René des Forêts, Peter Handke, Edmond Jabès, Michel Leiris, Jean-Michel Meurice, Robert Musil, Bernard Noël, Marcel Proust, Paul Rotterdam, Claude Royet-Journoud, Antoni Tapiès, Gérard Titus-Carmel, Bram van Velde, Jan Voss alternent ici avec des poèmes. Le fait de renvoyer à la fin sous forme de note bibliographique l’origine de chacun des textes - souvent déjà publiés dans des revues - offre la possibilité d’une double lecture. Peut-être faut-il d’abord lire chaque texte pour lui-même avant de vouloir, comme par jeu - et seulement dans un deuxième temps - en deviner le thème ou la circonstance. Car cet art de la variation libre sait mêler l’esquive à l’esquisse, accumuler les changements de ton pour créer une oeuvre en perpétuelle mutation. « Ainsi désignant ce qui manque », consacré à Edmond Jabès, tente de cerner quelques motifs obsessionnels d’une oeuvre, réputée difficile ; « Un temps évaporé », initialement intitumé « Tombeau de Marcel Proust », renoue avec les lieux communs proustiens, pour les détourner au profit d’une esthétique personnelle, où le temps retrouvé devient « temps évaporé » :


Corps jalousés, prisonniers, absents
conducteurs d’un désir
que les mots seuls réalisent
temps retrouvé, désir éteint
étreint, il s’évapire (p. 164)

Or, si certains de ces textes jouent ouvertement de l’imitation, de la parodie ou du pastiche, comme d’un art de la transcription ludique, jamais ils ne se réduisent à une pure copie de leur modèle. En effet, le polystylisme de leur auteur agit comme une glace déformante qui, révélant un modèle en fuite, en offre une vision renouvelée : « Procès plutôt d’une répétition minutieuse reconstitution au terme de laquelle il sera bien téméraire de décider si le modèle est en deçà ou au-delà de l’image qui s’en forme dans un présent des plus vacillants. S’en accommoder. (...) Qui sait si le biais n’est pas au contraire le moyen le plus propre à l’approche inquiète d’un modèle qui ne serait pas encore donné - modèle, projet, étrangement dédoublé, tout à la fois la cause et l’effet, le point de départ et l’objectif d’une infinie course-relais avec, de biais, passage du témoin. » (p. 98)


Cette mimésis sans modèle, épreuve profondément paradoxale, s’exerce d’une représentation mentale l’autre : « écritures visitées perpétuellement par le souvenir d’autres écritures », textes qui tentent de dire une peinture, une ligne imaginaire qui la définirait à nos yeux, tout en sachant que « vouloir manifester une présence est tout aussi vain que prétendre peindre un parfum, dessiner une saveur ».


Par Isabelle Lebrat, Recueil, juin 1992.