— Paul Otchakovsky-Laurens

Imitation

Marc Cholodenko

Dans cette « imitation », il est fait comme si.
Comme si on pouvait penser la pensée, temporer le temps. Comme si l’implication même qui nous fait percevoir du successif pouvait être expliquée. Comme si on pouvait formuler ce qui formule.
Ainsi, cette utopie uchronique ou cette uchronie utopique n’imite rien. Elle imite comme si imiter était un verbe intransitif dont le lointain synonyme serait être comme penser, penser comme être condensés et mis à plat en une relation impossible : écrire.
Cette imitation relate cependant quelque chose, une poursuite du sens, étant entendu que le sens ne peut être autrement, en dernière instance, que d’imiter le...

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La presse


Le chant d’Orphée

Voici plus de vingt ans que Marc Cholodenko poursuit, à l’écart, l’une des œuvres littéraires les plus importantes de ce temps. Qu’il la poursuive, en effet, après les succès éclatants de ses débuts, dans le silence de la critique, n’étonnera que ceux qui n’ont pas mesuré à quel point notre époque est résistante à l’œuvre, en donnant au mot de résistance le sens même que lui donne la psychanalyse. Il est vrai aussi que cette œuvre a de quoi déconcerter. Qu’y a-t-il de commun entre le grand style parfait des Etats du désert ou de Métamorphoses et l’austère, rugueuse simplicité de Mon Héros, entre la structure quasi classique des Pleurs et la forme subjective et déconcertante de Bela. J’ai, entre les rougeoiements érotiques du Roi des fées, de Vivant Lanon, et les textes dépouillés publiés ces jours-ci ? Le dernier livre de Marc Cholodenko, Imitation, aide à le saisir.

Marc Cholodenko est le dernier, et peut-être le plus important romancier de la conscience depuis Woolf. L’être mystérieux qu’il poursuit dans ses livres, c’est bien ce tiers omniprésent qu’est la conscience. Et la conscience a ses plaisirs, qui sont les plus vifs. Le narrateur des œuvres pornographiques était voyeur des autres. Le narrateur d’Imitation est voyeur de lui-même. Il expérimente avec passion, et l’écrivain avec lui, en même temps que lui, l’étrangeté radicale de Rimbaud, le je est un autre, l’altérité de soi pour soi-même. C’était déjà le même thème dans Les Pleurs, traité à partir de la conversation des personnages. L’Imitation le traite sous la forme d’un monologue qui, pourtant, ne doit rien au narcissisme, parce que ces pages magnifiques sont hantées par le sentiment de la création arbitraire d’un dieu caché et qui ne nous doit rien.Car ce récit est aussi un récit des origines, dans lequel le narrateur remonte à la source de son être et à la source de tout ce qui existe. Le rapport entre cette quête et celle des ouvrages érotiques est trop évident pour qu’il soit utile d’y insister.

Cette origine est silencieuse. Elle participe de la grande tristesse de la nature Inconnaissable. Les livres de Cholodenko sont tous marqués par le conditionnel, ce temps de ce qui aurait pu advenir et n’est pas advenu. Ce qui est, c’est ce dont on a peur et qui peut- être est impossible à décrire avec exactitude, sauf à retrouver l’esprit d’un enfant. Et le début de tout, qui est toujours inventé, comme il est écrit dans Imitation. Cholodenko n’en finit pas de partir à sa recherche, livrant ce « combat sans mémoire » auquel, pour décor, une chambre suffit. On peut y rêver à toutes sortes de départs imaginaires, dans une gare par exemple, décrite avec un frémissement des premiers jours, et les planches décolorées d’un hangar, et tous les tons du vert.

Mais ce qui ’donne aux livres de Cholodenko, et au dernier en particulier, leur inimitable beauté, c’est que le voyageur littéraire, en même temps qu’il décrit, et donc manifeste sa singularité, doute de se distinguer de la création tout entière. L’écrivain et ses personnages, l’homme et ses semblables, la chambre et l’enfermé, forment une matière indistincte et prodigieuse, presque un corps, que le langage coupe et recoupe comme le ciseau du sculpteur.

Et, certes, la langue de Cholodenko s’est simplifiée depuis ses premiers livres. L’auteur éblouissant a laissé place à un chercheur méticuleux, attentif au moindre tremblement. Mais c’est toujours le même style, né de la conscience, ce style qui donne à Imitation cet air de chant d’Orphée, à l’écrivain son genre nouveau d’échappé des enfers. Peut-être est-ce d’eux qu’il écrit: « Je veux y rester suivre la phrase jusqu’à la fin. » C’est la poésie même, celle qui fait de Cholodenko notre contemporain fraternel, parce qu’il est un maître de son art.

François Sureau, Le Figaro littéraire, 24 avril 2003