— Paul Otchakovsky-Laurens

L’ Évaporation de l’oncle

Christine Montalbetti

« Pourquoi est-ce qu’on dit ça, évaporé, pourquoi est-ce qu’on parle d’évaporation, toujours est-il qu’il y en a pour prendre leurs cliques et leurs claques et disparaître avant le lever du jour, et ceux-là s’en vont reconstruire ailleurs une vie sous un nouveau nom, et sans doute aussi avec un passé imaginaire, une histoire inventée, si on le leur demande, pour brouiller les pistes. C’est cela qui est arrivé à l’oncle. Un matin, quand tout le monde dormait encore dans la maison, il a franchi silencieusement le seuil, et son corps s’est enfoncé dans la brume bleue de l’aube. »



Nous voici plongés dans un Japon que...

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La presse

Métamorphoses nippones


Dans le dernier roman de Christine Montalbetti, « L’Évaporation de l’oncle », un jeune Japonais part à la recherche de son oncle disparu. La prose somptueuse de la romancière nous emmène en voyage à travers le Japon mythique et préservé des estampes.


On imagine l’ébauche de ce récit à l’heure du crépuscule, lorsque la chaleur d’été à Kyoto se prolonge, lorsque l’esprit de la voyageuse s’est enfin repu de la beauté des lieux. L’Évaporation de l’oncle semble avoir été écrit à cette instant où même les étrangers de passage au Japon, venus là sans doute pour goûter l’envers de l’Occident, rêvent de l’ombre évoquée par Junichiro Tanizaki dans son éloge. Dans son roman, Christine Montalbetti fait entrer cette douce obscurité qu’elle désigne comme la nuit japonaise. Le Japon n’est-il pas le lieu idéal pour disparaître ? Il semble, en tout cas, que Christine Montalbetti en ait été tentée, au point de nous plonger dans un Japon mythique, peuplé de sages et de samouraïs, comme antérieur à l’ère Meji. Au début du récit, un homme disparaît, l’oncle du narrateur, pour « ce péril où il faudrait se cacher le jour et profiter des heures de marche nocturne pour s’inventer une nouvelle identité ». Yasu, son neveu, part à sa recherche, hanté par le souvenir du héros de son enfance. S’en suit alors une fugue dans des paysages imaginaires au rythme des heurts de la mémoire du narrateur. Car sous la très belle plume de Montalbetti, l’homme n’est pas fait de chair et de sang, mais de la vapeur des larmes et de l’ombre de sa fuite. L’écrivain, que l’on connaissait tournée vers l’Amérique et ses genres classiques, comme dans son roman Western ou dans son intérêt pour Stevenson, plonge là dans un univers radicalement inconnu, quitte les néons du triomphe américain, pour s’enfoncer dans « cette maison sombre aux reflets profonds, un peu voilés » qu’est le roman japonais de Tanizaki. Car à travers le récit de la disparition de cette oncle et du périple de son neveu pour le retrouver, Christine Montalbetti nous livre le récit de sa propre métamorphose en terre japonaise.

Une succession de tableaux, qui pourraient être des estampes évoquant la pourriture de l’automne ou la couche blanche de l’hiver, relate la longue marche de Yasu dans le Japon. Qu’est-il devenu, cette homme qui a un jour eu le courage de disparaître ? A-t-il réellement fui la maison de son frère car il aimait son épouse, Sumiko ? Le jeune Yasu cesse peu à peu de s’interroger sur les causes du départ de cet homme, pour se laisser happer par le désir, lui aussi, de disparaître. L’ombre avance au fil de la narration, qu’elle soit dans la maison abandonnée par l’oncle, dans laquelle l’adultère se consumait dans l’obscurité, ou dans le silence qui entoure la disparition du coupable. Seuls d’informulables chuchotements traversent l’esprit de Yasu : « Ce sont des pensées qui ont la texture de sensations, qui vous traversent et s’étirent, qui sont longilignes et interminables ». Des pensées nées du contraste entre l’ombre et « la lumière chiche qui par petites touches fera saillir des parties de leur physionomie ordinairement fondues avec le reste ». Dans ce Japon qui semble n’avoir jamais rencontré l’Occident, la nature et ses fantômes se révèlent bien plus présents que les hommes. Ainsi les poissons d’argent envahissent les maisons dès que les hôtes ont le dos tourné ou les singes tentent d’attraper la lune, la nuit venue. Cette présence du fantastique et son ombrageuse écriture créent une atmosphère semblable à celle du théâtre Nô, ce drame lyrique qui voit des visages grimés de blanc surgir de l’ombre puis disparaître. Ainsi l’écrivain évoque-t-elle ces « hologrammes auxquels on peut comparer les souvenirs quand ils intercalent leurs créatures translucides et fragiles entre le réel et nous ».

Très vite, l’homme ne devient plus qu’une silhouette s’évanouissant dans le tableau qu’elle peint, ne demeure de lui que le mouvement de fuite : « Voilà ce que l’oncle abandonnait dans la nuit japonaise, progressant dans l’obscurité et le vent, les parcelles vides et translucides de sa mue pour avancer corps glorieux et neuf, absent à lui-même, ouvert à toutes les identités ». On ne sait si Christine Montalbetti a atteint au Japon ce suprême soulagement de disparaître un instant à soi-même, mais elle y a en tout cas fait naître une prose somptueuse.


Oriane Jeancourt Galignani, Transfuge, septembre 2011

Le tonton fugueur


Un jeune homme par sur les traces de son oncle disparu, prétexte pour Christine Montalbetti à la recréation d’un Japon mythique. un fantaisie légère et délicate.


Christine Montalbetti est un écrivain pirate. De livre en livre, elle détourne les genres pour mieux les démonter, les dynamiter. Il y eut d’abord Western, long travelling littéraire peuplé de cow-boys, puis, il y a deux ans, Journée américaine, road-novel quasi statique dans des USA de carton-pâte. Avec L’Évaporation de l’oncle, titre aussi énigmatique qu’un haïku, la romancière, admiratrice revendiquée d’Haruki Murakami, quitte les grands espaces américains pour les paysages d’un Japon intouché, tout droit sorti d’une gravure d’Hokusai.


La prose, délicate, est saturée de clichés japonisants tels que les cerisiers en fleurs, « les frondaisons plumeuses des bambous », les femmes en kimono et socques de bois, les cloisons en papier de riz, les samouraïs… L’aspect factice est parfaitement assumé. Comme si tout était d’abord un jeu. En témoignent les irruptions ironiques du narrateur, mise en scène et mise en abyme espiègles de l’acte d’écriture.


Dès le prologue, le décor de ce petit théâtre no est planté, les personnages identifiés et l’enjeu du drame annoncé. Enfant, Yasu est fasciné par son oncle, un voyageur mutique. Un jour, l’oncle disparaît. Il s’évapore. Des années après, Yasu part à la recherche de cet oncle mystérieux, fantôme, fantasme. Tout le roman baigne dans une atmosphère brumeuse et liquide, enveloppée dans le halo des vapeurs du thé ou du saké, floutée par un rideau de pluie où la lumière opalescente d’un croissant de lune. Les personnages avancent en eaux troubles, opaques les uns aux autres à cause des secrets – d’alcôves pour la plupart – et des non-dits. Au fil des saisons, leurs liens se délitent, se dissipent.


Mais ce qui compte dans les romans de Christine Montalbetti, c’est moins l’action que l’illusion, l’art de susciter une réalité, de lui donner forme, de la modeler, par la seule grâce de l’écriture. Et celle de Montalbetti est d’une précision étourdissante. Ses textes sont comme des enluminures ou, plus adaptées, de minutieuses caligraphies, sur lesquelles se déploie un vaste monde dessiné dans ses détails les plus infimes.


La romancière manifeste ainsi un goût prononcé pour les insectes et autres bêtes minuscules. Dans
L’Evaporation de l’oncle, ce sont les poissons d’argent qui ont droit à quelques pages. Autre lubie de l’auteur : les objets qui parlent et mènent leur vie propre. Cette fantaisie désamorce le danger de l’ultraformalisme. C’est aussi la marque de fabrique du style de Christine Montalbetti, à la fois maîtrisé à l’extrême et délicieusement léger.


Élisabeth Philippe, Les Inrockuptibles, 14 septembre 2011



Écriture de l’évaporation, ou le roman rêve japonais


Christine Montalbetti travaille l’imaginaire d’un Japon intemporel, où la recherche d’un oncle disparu se fait voyage initiatique et roman de l’impermanence des choses.


« Une vaste épopée de brume ? ». Surprise : ces mots, qui pourraient condenser l’art de Christine Montalbetti, sont de Jack Kerouac. Réflexion faite, l’auteur de Sur la route ne dissone pas à la première page de L’Évaporation de l’oncle, cinquième roman et neuvième titre de la bibliographie de l’auteur. C’est qu’on oublie que Christine Montalbetti, qui a la réputation méritée d’écrivain de la nuance, de la délicatesse du changement infinitésimal, est aussi une romancière du paysage, de l’espace et de l’action. À sa manière, bien sûr : mais des vallées picardes de L’Origine de l’homme aux immenses ciels changeants d’Une journée américaine, une partie de son œuvre peut se lire comme volonté de regarder la littérature de voyage ou le roman d’aventure avec les instruments forgés par la modernité littéraire de notre dernier demi-siècle. Western, vrai roman du Far West, incorporait à la fois l’évolution du genre sous l’influence de Sergio Leone et consorts, et l’éclatement de la forme romanesque elle-même : l’auteur, multipliant les clins d’œil aux codes, transportait avec malice le lecteur dans son monde à elle, attentive aux micro-événements qui peuvent affecter la vie minuscule d’un coin de ranch au même titre que les grandes péripéties de l’obligatoire gunfight final.


Si on retrouve dans «l’évaporation» de l’oncle un peu de cette attitude, on ne peut qu’être frappé par l’engagement de Christine Montalbetti dans la fiction qu’elle propose aujourd’hui. La prise de distance est perceptible, de loin en loin, l’auteur ne résistant pas au plaisir de faire quelques apparitions dans son texte. Pour le reste, nous sommes dans un Japon classique, intemporel, sans samouraï, un Japon de petites gens. Un jour, l’oncle de Yasu, éternel voyageur comme ceux qu’on peut voir sur les estampes du XVIIIe siècle qui décrivent un peuple qui a la bougeotte, disparaît sans crier gare dans la brume bleue du matin. Yasu se met à sa recherche, et nous voilà dans cette « épopée de brume » sur une autre route que celle du père de la beat generation. Attentive au transitoire, à l’impermanent, Christine Montalbetti compose une musique près du corps, du bruit de la pluie, de l’ univers qui se rétrécit et des idées qui fuient comme le chapeau conique échappant au voyageur. Le soir, à l’auberge, ce sont des rencontres, des récits au bord du fantastique qui dilatent l’horizon vers les fantômes et les divinités. Ce roman, longtemps porté, témoigne de la pleine maîtrise d’un auteur discret dont la notoriété, on le constate avec ce livre, franchi un cap en cette rentrée.


Alain Nicolas, L’Humanité, 22 septembre 2011

Agenda

Jeudi 25 avril
Christine Montalbetti à la bibliothèque municipale de Souillac

Bibliothèque municipale de Souillac
10, rue de la Halle
46200 Souillac

05 65 32 67 92

 

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