— Paul Otchakovsky-Laurens

Vous serez mes témoins

Nina Yargekov

Soit une jeune femme qui se suicide. Sa meilleure amie, ou qui se dit telle, est traînée en justice par toute une série d’institutions, et d’organisations, de groupements et d’associations qui veillent au respect du vrai deuil, de la véritable affliction, de la peine sincère dont il semble que l’accusée se pare de manière tout à fait illégitime et fondamentalement malhonnête.

Le livre est donc composé d’une série de témoignages, actes d’accusation, expertises, plaidoiries tous plus parodiques les uns que les autres et de ce fait irrésistiblement drôles, mais aussi singulièrement vraisemblables en tout cas plausibles, qui tendent...

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La presse

“ Vous serez mes témoins ”: comment faire le deuil d’une amie suicidée?


Après le suicide de sa meilleure amie, une jeune femme convoque tout un tribunal pour expier sa culpabilité. Nina Yargekov tire d’une expérience dramatique un roman conceptuel et drolatique, douloureux et hilarant.



Nina Yargekov est une jeune femme étrange. On l’imagine se parlant toute seule entourée d’animaux empaillés. Elle est double, et vit en assez bonne compagnie avec elle-même. Du moins c’est ce que l’on croit depuis son excentrique premier roman Tuer Catherine (2009), au titre clairement programmatique : la tuer, oui, sauf que la Catherine en question, c’était aussi Nina, une part d’elle, alors comment ensuite écrire tout un roman si l’on se tue juste avant ? Page 277, elle livre même le mode d’emploi de son roman : un travail de deuil non rémunéré, « alors je veux au moins des droits d’auteur ». Et pour bosser, elle bosse : elle construit tout un dispositif, convoque un tribunal, situations, de personnages absurdes qui jugeront la profondeur et la véracité de sa douleur. Pur univers mental drolatique, Vous serez mes témoins tient la souffrance à distance en même temps qu’il n’est question que de ça : le manque de l’amie complice, l’incompréhension face à ce geste d’une radicalité et d’une douleur sauvages, la culpabilité de n’avoir pas compris, d’être toujours en vie. De quoi, donc, être accusée :
« En effet, il vous est reproché de vous être, du 14 juillet 2007 à ce jour, sur le territoire national et depuis un temps non prescrit, sciemment livrée à des opérations réservées aux titulaires du grade de ‘meilleure amie’ sans détenir les conditions exigées pour l’exercice de cette profession », dixit le juge.
Psychiatre, avocat, ex-amoureux, mère, pâtissier à la cour (!), tous les agents possibles et imaginables du réel sont présents pour la défendre ou la condamner, l’interroger, la harceler sans relâche. Le temps passe. Premier mois, elle envoie une carte postale : « Chère mémé. Je t’écris depuis ma chambre à coucher, où il y a la mer maintenant. C’est venu d’un coup, une grande mer noire et gluante recouvrant la moquette. »
Désespoir. Et tout de suite après, action :« Endeuillés de tous pays, unissez-vous ! Refusez les euphémismes qu’on vous impose, les silences qu’on vous inflige, la bienséance dans laquelle on vous enferme ! Blasphémez, jurez, crachez, plaisantez avec la mort ! Que plus jamais elle ne soit source de gêne ! Faites des blagues. »
Bref, écrivez.
Ecrire, c’est sauver sa peau. Et Yargekov est prête à manier tous les registres de l’écriture (technique, narrative, encyclopédique, tract, etc.) pour ne pas sombrer avec Elodie. Au risque, comme souvent chez elle, de l’exercice de style. Mais après tout, souffrir avec style n’est pas donné à tout le monde, et le chagrin a plus de panache quand il se décline à l’humour noir.


Nelly Kapriélan, Les Inrockuptibles,19 mars 2012

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Nina Yargekov, Vous serez mes témoins, Vous serez mes témoins - 2011