— Paul Otchakovsky-Laurens

Zama

Jean-Jacques Viton

Zama, le titre de ce livre est une expression de langue arabe qui peut se traduire par « tu parles !  » et « allez ça va ! ». Il dénonce joyeusement une exagération dans le discours de l’autre. Zama est aussi le nom d’un petit personnage qui traverse le livre (une sorte de lointain écho au Plume de Michaux) dans un décor aux allures cinématographiques.

De dizain en dizain défilent des acteurs qui se battent, fuient, s’entre-tuent… On y rencontre des chevaux noirs, des anges, des mouettes, des chiens, des souvenirs d’enfance déterminants (la femme nue, la tête de mort nazie, le tangage d’un navire), tout un univers de...

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La presse

Viton, entre A et Z



Avec Zama, Jean-Jacques Viton invente un corps parlant pour ceux qui, privés du langage et démunis de tout, jetés à la marge, réinventent d’autres gestes, et d’autres veilles du monde.



Le nouveau livre de Jean-Jacques Viton franchit un cap de plus face à tout ce qui jusque là s’est écrit sous son nom propre. Non que les livres précédents ne méritent pas Zama ; mais parce que ce dernier s’offre la liberté, en plus de s’écrire en 118 dizains, d’un personnage au nom tout ouvert entre la première et la dernière lettre de l’alphabet. Ce n’est d’ailleurs pas sans raison ni résonnance que ce nom croise avec son propre livre les mythologies babéliennes, mais aussi celles du voyage d’Ulysse, des navettes accompagnant ci et là avec l’agilité magique des fileuses les gestes de l’écrivain, métis caché à la ruse fine et généreuse : ouvrons Zama, et au premier dizain le ton est donné, il est celui de l’écart et de l’exil entre quoi passe le chas de l’aiguille de l’écriture et ce qui en elle s’expose à la traversée : « dire aller nulle part ne dit rien / se fixer là d’où l’on dit ça veut dire / allons n’importe où mais n’importe où / contient un vague goût de quelque part / sans le nommer rien/dire aller nulle part est un plan désorienté / hors des corridors d’agendas / aller n’importe où c’est débrouiller / les va-et-vient opaques / c’est avancer vers un là-bas ». Au travers de ce jeu presque dialectique entre là-bas et nulle part se profile la possibilité, pour Zama, allons-nous vite comprendre, de se décentrer et d’inventer sa ligne de fuite à lui (mais ç’aurait put très bien être à « elle ») : « la résistance c’est avoir la force de changer en soi […] / mais pas n’importe comment / […] une parole minoritaire pour faire surgir le réel/comme le cinéma de Straub et Huillet / cette allure ce pas cette désorientation naturelle ».



On pense parfois à Pasolini, aux lucioles dont il disait la disparition, puis à celles qui demeurent, entre Odessa et Istanbul, Chicago et le Japon ou l’Amérique latine par exemple, et que Viton semble suivre via Zama, depuis les zones grises où quelque chose même de la mélancolie et de la tristesse se plie, puis se déploie encore en autre chose. Peut-être en une petite intensité lumineuse, la lumière juste dont tous les corps pourront se vêtir. C’est le mot de la fin (« quelque part où le léger demain attend ») qui le dira en une issue magnifique, mais c’est aussi aux derniers vers d’une page, un ravin d’herbes sèches, jaunes et très chuintantes, qui se donne : «  une odeur mélangée poussière et sueur / campagne en plein soleil silence moiteur / envahie par l’inquiétude / vision du train arrêté dans une gare vide ». L’instantané photographique vient immédiatement ici à l’œil, les images étant, qu’elles soient d’ailleurs ici pure saisie ou mouvante, telle que le cinéma les donne à voir, ce qui remonte à la surface des mots comme à leur propre condition de formation. Ces « grands désordres d’images », une fois donnés, selon la phrase de Nizan ouvrant Zama, étant autant le régime de la fuite que sa possibilité, l’une et l’autre la même condition de se rendre poreux à tout ce qui vient à nous de par le monde, y compris et d’abord à travers toutes les images qui font naître l’inquiétude. Ici, il n’est pas anodin que l’écriture soit l’instrument enregistreur, la table de montage, à partir desquels des panoramas viennent à leur visibilité, et la douleur de l’Histoire avec Jean-Jacques Viton, qui sait citer entre les lignes, ne cache pas sous «  le petit bossu devant son petit banc / messager du royaume de l’oubli », Walter Benjamin, celui-là qu’il appelle « l’ange du paysage », et avec lequel il nomme bien le royaume de ceux que l’on prive de toute langue, qu’ils soient le plus précaire des hommes ou celui que la violence de l’économie aura rendu fou. Les livres de Viton ne nous épargnent pas de ce à quoi le langage de la littérature se doit d’être perméable, jusqu’au bout et avec la véracité qu’il se donne comme sa propre et seule arme.



Emmanuel Laugier, La Matricule des Anges, février 2013


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Jean-Jacques Viton, Zama, Jean-Jacques Viton lit quelques pages de Zama - novembre 2012