— Paul Otchakovsky-Laurens

La Place de l’autre

Œuvres III

Bernard Noël

Nous publions le troisième volume de ce qui pour n’être pas exactement les œuvres complètes de Bernard Noël y tend.

Sur près de 900 pages sont regroupés des textes épars publiés ici et là, dans des revues, dans des plaquettes, ou inédits, en tout cas pour la plupart introuvables. La thématique générale est ici celle de la littérature, de la création littéraire. Cela passe par la critique (Rimbaud, Mallarmé, Villiers de L’Isle-Adam, Blanchot, Artaud, Sade, Michaux, etc.) mais une critique très particulière car elle ne cesse de poser cette question : qu’est-ce qu’écrire ? Cela passe aussi par des textes qui...

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La presse

Bernard Noël, penseur du verbe

L’écrivain octogénaire a réuni une centaine de textes rares. « La Place de l’autre » propose des réflexions sur l’écriture et le langage qui éveillent des questions éternelles sur ce qui nous fait humains.

Qu’est-ce qu’écrire ? « C’est mettre noir sur blanc ce qui n’est ni noir ni blanc. » Voici l’une des réponses que donne Bernard Noël dans La Place de l’autre, volume conséquent (près de 900 pages) rassemblant des textes courts, publiés de manière éparse entre 1967 et 2012. Après Les Plumes d’Éros qui réunissait des textes sur le sentiment amoureux et L’Outrage aux mots compilant ceux qui traitent du politique, ce troisième opus s’attache à l’écriture. Il offre une vision en « coupe » d’une œuvre immense et multiple. Né en 1930, dans une famille paysanne de l’Aubrac, Bernard Noël a d’abord gagné sa vie en écrivant des notices d’encyclopédie avant de se consacrer à l’écriture sous toutes ses formes, romans, essais sur la littérature (Henri Michaux, les surréalistes) et la peinture (Matisse, Olivier Debré, Zao Wou-Ki), le théâtre, et surtout la poésie. Celle-ci est le point cardinal de sa recherche – une poésie indissociable de l’expérience intérieure et de la quête de vérité, contre les « glorieux mensonges ». Son œuvre poétique a été couronnée par le Prix international de poésie Gabriele d’Annunzio en 2011.

Dans La Place de l’autre, résonnent des interrogations qui n’ont cessé d’habiter l’écrivain, et qui nous incitent à repenser des évidences. À commencer par l’acte d’écrire cet effort finalement mystérieux qui consiste à mettre le « dedans » à l’extérieur de soi, à transformer l’intimité du corps en langage et en pensée. En écrivant, Bernard Noël espère « voir la germination des mots et de la pensée dans l’épaisseur ténébreuse de [son] corps ». Préoccupé par la place du langage, Bernard Noël a réfléchi, dès 1975, à la généralisation de la dégradation du langage dans notre société. Constatant que les mots sont quasiment vidés de leur sens par les « abus de langage », en particulier dans les médias, il invente le terme « sensure » pour désigner la privation de sens (et non de parole comme la censure). Il relie cette perte de substance du langage au règne de l’image. « Dans le monde dans lequel nous vivons, le visuel peut occuper le mental, c’est ce que fait la télé par exemple, de telle sorte que le lieu de la pensée est remplacé par le lieu de la représentation qui va manipuler la pensée. » En attirant notre attention sur la façon dont nous pensons et nous parlons, ce penseur poète tire en quelque sorte un signal d’alarme concernant l’évolution des rapports humains. « Cet appauvrissement du langage, rappelle-t-il, induit aussi une dégradation de la relation avec l’autre, c’est-à-dire de ce qu’il y a d’essentiel dans la vie, et par suite des solidarités. La richesse de la relation est faite de nuances. » Aujourd’hui, à près de 84 ans, il veut écrire sur le collectif, justement sur le « nous ». Il avoue qu’il se heurte à une difficulté « l’écrire dans cette époque tellement éloignée de la solidarité collective me paraît quelque peu désespéré ».

Au fait, qui est cet « autre » mentionné dans le titre du recueil ? Ce sont les artistes sur lesquels Bernard Noël a écrit ; c’est aussi le lecteur. Lui-même lecteur inlassable de Dante et de Rilke, Bernard Noël affirme depuis longtemps que la lecture comme activité d’interprétation créatrice.

Naly Gérard, Témoignage chrétien supplément, 27 février 2014

Bernard Noël, et l’autre qui nous saisit

Le troisième volume des œuvres de l’auteur des Plumes d’Éros rassemble des textes hantés par l’altérité. Les Plumes d’Éros – Tome I, c’était en 2010, où se rencontrent avec ce qu’il y a d’amoureux dans ce dieu de la fiction qu’est Éros quelques-unes des autres plumes de Bernard Noël. L’Outrage aux mots – Tome II, en 2011, comprenait ses principaux textes politiques, a-t-on dit, et avec raison, mais peut-être ajouterais-je que toute son œuvre me semble relever du politique dans la mesure où Bernard Noël porte la langue, qu’il la renouvelle infiniment quand le pouvoir qui l’instrumentalise la défigure, la fige et « se perpétue en la dégradant ».
Avec cette Place de l’autre – Tome III, c’est quelque 900 pages que l’on pourrait faire tourner autour de trois axes celui de données autobiographiques souvent teintées d’ironie, celui des entretiens et celui de ces mouvements vers les autres, de Sade à Bataille en passant par Gilbert-Lecomte, Michaux comme vers de nombreux autres que l’on salue. Et c’est peu de dire que la question de l’écriture, du vide, qu’œil du cyclone, elle porte en elle, hante ces pages : « Il me faudrait dire pourquoi j’écris », s’exclame Bernard Noël il le faudrait oui, mais voilà, ça n’est jamais ça, et malgré ça, « de l’autre côté du désespoir », il décide d’écrire quand même.
Cette place de l’autre quelle est-elle ? Bien sûr, c’est celle du « tu », mais elle est aussi bien celle de ce « je » qui s’ouvre sous les coups du dehors, de cet autre que l’on devient à partir du moment où l’on est contre ce que le « tu », l’autre, fait de moi. Pour Bernard Noël, la place de l’autre est toujours de l’autre côté, « en moi derrière moi ». Il est effraction. Il est celui qui vient à l’improviste. Il est surprise, l’autre en moi dont je suis l’hôte, ma part d’ombre. Quand l’autre vient au jour, c’est au prix de ma disparition. Quand ce bloc d’impensé survient, quand l’écriture en cours lui fait place, elle maintient l’énigme de ce qu’il en est de ce qui est venu. C’est toujours l’autre qui nous saisit dans l’écriture comme dans la lecture. C’est lui qui appelle au dehors, qui rompt, qui éveille le vif. C’est lui qui dans les cendres de ce qui se tient devant, en face, voit depuis l’arrière les flammes anciennes. Entre le mort et le vivant, un éclat. Il éclaire la part inconnue de nous. La part vive, dans la langue rendue à son vivant désordre, où bat l’humain. De l’humain en formation.
Là est la bonne nouvelle de ce livre. Il dit à sa manière l’humain d’abord ! Et par humain, j’entends moins l’homme que cette chance d’homme qu’est tout homme quand il s’empare de ce pouvoir qui est le sien de se saisir comme mise en question de sa propre existence d’apprendre à voir – « seul le regard sauve », disait Simone Weil –, de s’alléger dans les questions, d’agrandir sa sensibilité. Tout cela que peut la poésie quand elle sait laisser à l’autre sa place !

Alain Freixe, L’Humanité, 27 mars 2014

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Bernard Noël, La Place de l’autre, Qu'est-ce qu'écrire Bernard Noël novembre 2014

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