— Paul Otchakovsky-Laurens

Des jours que je n’ai pas oubliés

Santiago H. Amigorena

Peut-on aimer deux personnes à la fois ? La question est si simple et la réponse inévitablement si compliquée. Surtout lorsqu’elle n’est pas formulée par celui qui a doublement aimé mais par l’un de ceux qui devaient se contenter de la moitié d’un amour.
Les quelques jours de ce voyage en Italie racontent ce qu’a vécu un homme qui n’était plus aimé qu’à moitié.

 

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Traductions

Brésil : Todavia | Espagne : El Funambulista

La presse

L’amour, ce lieu commun.

Avant d’être un lien, l’amour est un lieu. Dès que la passion s’absente, le premier réflexe consiste à retrouver son lieu de naissance, à parcourir les territoires qui l’ont vue s’épanouir. « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des souvenirs d’amour  », résumait Camille Laurens dans une chanson écrite pour le groupe Indochine.

S’il n’y a plus d’amour, du moins en reste-t-il des traces : tel est l’espoir qui met en mouvement le narrateur de Santiago H. Amigorena, dont le nouveau roman s’intitule Des jours que je n’ai pas oubliés. Père de deux garçons, cet écrivain apprend que sa femme le trompe avec un homme, comédien comme elle. Après avoir hésité à se jeter par la fenêtre, il part pour l’Italie, à la recherche de ces espaces fidèles qui détiennent la mémoire, et peut-être l’avenir, de son amour déserté. Il marche dans les rues arpentées jadis ensemble, se pose devant les tableaux où leurs regards n’ont fait qu’un.

L’amour, ici, désigne moins un objet qu’une situation : le paysage qui me permet de respirer, l’endroit qui m’offre une vie digne de ce nom, autrement dit le cadre où je peux (me) raconter des histoires. Ce que je pleure, ce n’est pas l’être aimé, c’est le monde qu’il m’avait ouvert, et sans lequel je ne sais plus où me mettre.

Sous la plume d’Amigorena, ce monde vaut lieu commun. Comme territoire partagé, bien sûr, mais aussi en tant que stéréotype. Absence, abandon, abîme : l’écrivain ne recule pas devant ces images banales, ces détails futiles qui délimitent l’espace de la blessure amoureuse. C’est ce qui fait à la fois son audace et sa fragilité. À le lire, on croit parfois entendre une chanson populaire. Comme si l’objectif était de s’abandonner au ressassement obsessionnel, et vaguement pervers, qui fait l’ordinaire du Narcisse délaissé. Ne pas faire comme ces petits malins, « les non-jaloux, les jamais-jaloux », qui croient pouvoir éviter les impasses du pathos. Réinvestir pour de bon ces territoires du cliché où trouvent refuge les histoires d’amour. Et avec elles, parfois, le désir de littérature.

Jean Birnbaum, Le Monde, 9 janvier 2014

Ceci est une fiction

Des jours que je n’ai pas oubliés, de Santiago Amigorena, est depuis quelques jours au cœur de rumeurs persistantes : l’auteur y raconterait sous le masque d’un narrateur au coeur dévasté comment une comédienne l’aurait quitté pour un amant présidentiel et casque. Et tant pis si ledit amant est « comédien », les professionnels de l’investigation y voient une métaphore. Et ce texte, très beau et très tenu, d’être soudain déchiffré à travers les lunettes grotesques de la pipolerie. Du boulot de chien, forçant l’auteur à s’inviter à la radio – et sans doute aurait-il dû s’abstenir – pour se plier au pire des exercices quand on est, comme lui, un écrivain exigeant  : faire une explication de texte. Dire  : c’est bien la mère de mes enfants, mais ceci est une fiction. «  Fiction  »  : au pays de Borges – Amigorena est argentin –, ce mot-là a du sens. Mais voilà, dans cette époque shootée à la (télé)réalité, il faudrait que tout livre en découle. En dégouline. Dans Des jours que je n’ai pas oubliés, un homme part en Italie parce que sa femme ne l’aime plus qu’à moitié. C’est le récit, très simpie et très romanesque, d’une défaite amoureuse. La fille est bien LA fille, mais elle pourrait en être une autre. Ce qui compte, c’est ce qu’en fait l’écrivain. Pourquoi un ami qui vous parle de celle qui l’a quitté est-il si souvent barbant, alors qu’un écrivain que vous ne connaissez pas vous touche comme s’il s’agissait de vous  ? Miracle de la littérature. On passe de l’envie de suicide au labyrinthe raffiné de Venise, où elle lui manque partout. Plus rien n’a de goût, d’ampleur, de sens. « Aucun tableau, aujourd’hui ni plus jamais, ne pourra être vraiment beau si tes peux ne sont pas près des miens pour le contempler. » II se plonge dans les Poèmes à Lou, qu’il a apportés, et entrelace la douleur du poète à sa propre fiction. C’est intense, cruel et beau. « Sans toi, je ne suis plus moi-même. Sans toi, je ne suis plus personne. Ce n’est pas plus compliqué que ça. »

Ce n’est pas plus compliqué que ça. Il serait temps qu’on arrête d’interroger les écrivains comme au poste avec cette question stupide : quelle est la part de vrai dans votre roman ? Dans un roman tout est vrai. Et tout est faux. Ça dépend comment on l’écrit. Ça dépend comment on le ressent. On a du cœur, on a du style, ou on n’a rien. En amour comme en écriture. Lisez le donc au lieu d’en parler.

Christophe Ono-Dit-Biot, Le Point, 23 janvier 2014

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