— Paul Otchakovsky-Laurens

Le Bel Appétit

Paul Fournel

La recette de cuisine n’est pas le plat, mais elle est la mémoire du plat et sa potentialité. La recette contient le souvenir d’un régal et l’espoir d’une prochaine liesse. Entre les deux, reste le cuisinier qui respecte ou qui transgresse, qui routine ou qui crée et ceci depuis l’invention du feu et du bel appétit.
Si le poème est la mémoire de la langue, la forme est la mémoire du poème. Entre les deux, reste le poète qui respecte ou qui transgresse qui routine ou qui crée au nom d’un régal de lecture.
Les poèmes réunis dans Le Bel appétit sont des poèmes de table, des souvenirs de sauces, des parfums de ragoûts, des...

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La presse

Dis-moi ce que tu manges

« II y a grand danger à trop bien essuyer / L’assiette. On y perd la mémoire du repas », écrit Paul Fournel dans un recueil de poèmes ludique, où l’actuel président de l’Ouvroir de littérature potentielle (Oulipo) chante modestement son amour pour la table et pour l’appétit lui-même.

On picore, on grignote, on prend du rab dans ce livre qui accompagnerait à merveille la préparation d’un dîner, et conviendra aux cordons-bleus érudits comme aux néophytes de l’art de la table. Sa joie met en joie, sa curiosité comme ses émerveillements sont contagieux. On se dit qu’ils sont finalement assez rares, les écrivains qui nous parlent des nourritures terrestres sans recourir à l’incontournable Rabelais. Dans ses jeunes années, Paul Fournel travaillait sur Queneau et sur le Guignol lyonnais. On retrouve l’esprit de l’un et de l’autre dans ces textes, de prose ou de vers, qui rendent hommage aux menus plaisirs de chacun à travers ceux du gourmet-poète : Queneau pour l’exercice de style, Guignol pour la joie du spectacle que devient le poème. Boudin (entaillé avec « une violence moutarde »), banane (« propre comme un fruit neuf »), homard (« en ballade »), couscous (« chef-d’oeuvre de cuisine pédagogique »), Paul Fournel multiplie les odes aux lieux de sa géographie culinaire intime. Ses poèmes sont de petites choses bien faites, réjouissantes et simples comme des chansons, tournées vers la description précise de l’aliment qui devient blason. Comme chez Francis Ponge - qui chantait l’huître et le pain dans Le Parti pris des choses -, le réel se déploie et grossit dans la description de l’objet, ici de l’aliment ou du plat ; une subjectivité sympathique s’affirme et s’observe dans ces miroirs. On dirait que cet écrivain gourmand prend autant de plaisir à manger qu’à écrire, à goûter qu’à chercher des mots. D’ailleurs, il est du genre à parler de ce qu’il mange en le mangeant : « De ce que je mange toujours je parle. / Au moins à moi-même. » Plus que l’amour de la bonne chère, il y a chez lui une touchante attention à tout ce que manger veut dire, aux souvenirs, aux joies et aux peines que renferme la table, aux parties de pêche à l’écrevisse ou au grand-père chasseur de lapins, car « L’homme est la mesure de ce qu ’il mange » et « un vrai repas est fait pour en rappeler d’autres ».

Pierre Benetti, La Quinzaine littéraire, 1er août 2015



Poèmes alimentaire d’un mange-tout


Dans la catégorie terreur culinaire enfantine, le haricot mange-tout occupe le dessus du panier de nos dégoûts tellement des adultes gâte-sauces ont voulu nous faire croire que tout se mangeait dans ses affreuses gousses et cosses dures et ligneuses où des fils sournois nous déclenchaient de terribles haut-le-coeur. Aussi faut-il rendre un vibrant hommage à Paul Fournel, écrivain, qui vient de remettre à sa juste place ce légume dans Le Bel Appétit. « Ce ne sont pas les quelques billes que l’on devine parfois en transparence sous la peau verte de son ventre qui laisseront croire que le haricot mange-tout est de bel appétit », prévient-il, avant d’enfoncer l’infâme : « Plat comme un mensonge, il ne mérite pas non plus le retournement de son nom : en lui, tout n’est pas mangeable puisque la couette ligneuse qui le relie au monde résiste à la manducation. » L’écrivain mangeur sait, cependant, se montrer magnanime à propos du mange-tout quand « blanchi à la juste minute, il est le légume parfait à la frontière entre le croquer et le fondre. Là, j’en suis gourmand et je mange tout », conclut-il.
Voilà qui est bien dit, ou plutôt voilà ce que nous aussi nous aurions voulu dire, se répète-t-on souvent en picorant les poèmes de Paul Fournel, publiés aux éditions P.O.L où les belles couvertures couleur coquille d’oeuf rappellent les nappes des trousseaux de mariage d’avant-guerre (la seconde du siècle dernier). On est assez familier avec les sentencieux de comptoir, les baveux des verres de contact, niais on était ignorant des poètes aux fourneaux, des fricasseurs de quatrains. Jusqu’à découvrir les vers mijotes par Fournel. Extrait de « Homard en ballade » : « On lui mangela queue qu’il a glorieuse,/ Puis, au casse-noix, on craque les coins/ Durs qui cachent des moissons luxueuses, Qu’on aspire cul sec avec grand soin. » Ce mangeur-là aime parler la bouche pleine. Aux autres quand ils sont attablés; à lui-même quand il est seul devant son assiette, « Passant pour un doux dingue qui parle à son rata./ Ce que je dis pourtant est d’une grande importance/ II est question de frites (rarement),/ De sauces qui saucent plus ou moins,/ Question du goût du vin,/ D’un fumet andouillette dont je me souviens bien », écrit-il dans «A haute voix». Et le poète ne se contente pas de savourer, il rissole, gratine, mijote les mots de cuisine qui font la recette de l’escalope de saumon à l’oseille de « Monsieur Pierre » Troisgros : « C’est par la queue qu’on équeute l’oseille qui fera sauce,/ C’est par l’échalote, le vin blanc et le vermouth qu’on la calme, l’agaçante oseille,/ C’est par la crème qu’on la crème et par le citron qu’on l’énerve. »
Attablez-vous avec Le Bel Appétit et un petit blanc frais. Vous dégusterez par bouchées cette écriture riche et corsée comme un fond brun murmurant sur le bord d’un fourneau.


Jacky Durand, Libération, 13 juin 2015

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